Hosni Moubarak est sorti, samedi en soirée, du plus que compromettant silence qu'il observait depuis le début des graves violences dans son pays, voilà une semaine, qui ont déjà fait des morts, des blessés, d'importants dégâts matériels et ouvert la voie au pourrissement de la situation. Plutôt que de rassurer, son «discours à la nation» a produit l'effet contraire, celui d'ameuter encore davantage les centaines de milliers de manifestants en colère qui, dans les rues du Caire, de Suez et d'Alexandrie, réclament purement et simplement son départ et la fin de son système politique autoritaire basé sur le principe dynastique de la succession familiale. Sa ferme décision de ne pas quitter le pouvoir qu'il conserve depuis 30 ans, où les deux tiers des 80 millions d'Egyptiens vivent en dessous du seuil de pauvreté dont 4 à 5 millions vivent, eux, carrément dans des cimetières, est ressentie par la population comme un mépris pour ses aspirations à la justice sociale et à la démocratie. L'opposition égyptienne, toutes tendances confondues, y a vu, elle, une provocation. Le puissant mouvement des «Frères musulmans», qui tente de prendre solidement pied dans le mouvement de contestation populaire et de se positionner en force pour la conquête du pouvoir par la rue, à l'image de ce qu'avait vainement voulu faire le FIS en octobre 88 en Algérie, y voit l'occasion rêvée de croiser le fer avec une dictature vomie à l'intérieur et rejetée, soudainement comme en Tunisie, par ses meilleurs alliés en Occident, plutôt qu'avec une future démocratie. Le ton menaçant de Moubarak Moubarak aurait dû non pas demander à son peuple de l'écouter, comme il l'a fait samedi, sur un ton à la limite de la menace parfois, ce que dans leur désespoir et malgré eux, les Egyptiens ont fait pendant trois décennies, mais de les écouter, pour la première fois. L'occasion unique se présente encore à lui (pour combien de jours ?) comme une dernière chance d'éviter le pire à son pays, à ce peuple qui a tant souffert, comme la majorité des autres peuples arabes soumis aux régimes totalitaires et corrompus, de l'humiliation et de la misère sociale. Ensuite pour lui-même et sa famille de ne pas connaître, ce qui paraît inévitable au regard du rapport de force qu'il a engagé avec son peuple, de connaître le sort des despotes. Le cas du shah d'Iran qui avait trouvé refuge en Egypte dans son départ précipité à la fin de la décennie 70 pour échapper à la révolution islamique aurait dû lui ouvrir les yeux. Le président égyptien aurait dû voir venir la contagion tunisienne dans son pays où les aspirations, les slogans scandés par les manifestants sont les mêmes qu'en Tunisie. Il a hélas ignoré, délibérément, l'écho de la rue, faisant fi du sort qui a été celui de Ben Ali, pourtant son cauchemar et celui de tous les despotes. Moubarak a choisi de changer de «fusible» en annonçant un changement de gouvernement. Une mesure qui n'est pas la réponse qu'attendaient les Egyptiens. Dans ce qui semble être une ultime manœuvre pour contrer les revendications populaires, le «raïs» est en train de précipiter les événements, d'encourager la violence, et vraisemblablement, aussi, de précipiter son destin. Dans tous les cas, Moubarak vient de démontrer, une nouvelle fois, qu'il n'a rien compris à son peuple. Le raïs lâché par ses alliés Contesté à l'intérieur, le président égyptien est lâché par ses meilleurs «alliés» à l'extérieur. Les pays européens «amis» n'ont même pas pris le soin de remanier la forme de leurs réactions ambiguës à travers le scénario tunisien où ils donnent l'impression de «n'avoir rien vu venir». Un bricolage diplomatique ambivalent dosé de prudence et de volonté de ne pas insulter l'avenir de leurs relations avec ce pays clé pour la sauvegarde de leur stratégie du Proche-Orient. Seuls les Etats-Unis paraissent savoir ce qu'ils attendent du «raïs». Son départ bien sûr, même si le président Barack Obama ne l'a pas exigé expressément dans la conversation téléphonique qu'il a eue, samedi soir, avec le président égyptien. Le message du chef de la Maison-Blanche n'est pourtant pas assez difficile à décoder quand Obama signifie à son interlocuteur de ne pas réprimer la révolte populaire, de répondre sans délais aux aspirations politiques des citoyens égyptiens. En avertissant, directement, que les Etats-Unis n'hésiteraient pas à revoir leurs relations avec l'Egypte en fonction de l'évolution de la situation sur le terrain. Les USA craignent une dérive à l'iranienne Le ton impératif employé par Obama est nouveau dans les relations entre les Etats-Unis et l'Egypte. Les Américains craignent visiblement une «dérive à l'iranienne» dans ce pays incontournable pour le maintien de l'équilibre géostratégique dans la région. Aux yeux de Washington, les «Frères musulmans», c'est la mise en place d'un redoutable «axe du mal» composé de l'Egypte, de l'Iran et de la Syrie, alliée du Hamas palestinien et du Hezbollah libanais. L'instabilité politique en Egypte constitue une menace pour les intérêts des Etats-Unis et la stabilité de la région où Israël, dont Moubarak est un allié sûr, croise les doigts. Pour les masses égyptiennes en particulier, et arabes en général, le ton impératif des Américains sont des instructions à des régimes soumis aux intérêts de l'Occident. C'est suffisant pour exaspérer la rue arabe.