Au sixième jour de grève, les greffiers durcissent leur mouvement de protestation et en appellent au président de la République en tant que premier magistrat du pays. La décision de les remplacer par des huissiers d'audience fait tache d'huile et suscite la réprobation des robes noires. Une rencontre avec le ministre de la Justice est prévue pour aujourd'hui. En grève depuis mercredi dernier, les greffiers ont paralysé de nombreuses juridictions et administrations judiciaires à travers le pays. Déclenché à l'est du pays, le mouvement s'est étendu au Centre, à l'Ouest et au Sud. Leurs revendications se résument en une augmentation salariale, un statut à la hauteur de leur mission et des conditions de travail plus humaines et respectueuses de leur dignité. En réaction à ce mouvement, le ministre de la Justice, par la direction du personnel interposée, a instruit les procureurs généraux d'informer les grévistes de l'application prochaine du nouveau régime indemnitaire, exigeant d'eux la reprise «immédiate» du travail sous peine de «mesures disciplinaires» et de «remplacer ceux qui persistent dans leur mouvement de grève par des huissiers d'audience». Ce qui est considéré par les professionnels du droit comme étant «une grave violation qui annule tout acte de procédure. La mission de greffier n'a aucun rapport avec celle de l'huissier d'audience». L'objectif de la mesure est tout simplement de casser la grève au lieu de chercher à ouvrir le dialogue avec ses principaux initiateurs. Certains chefs de cour, comme le procureur général de Constantine, ont fait appel aux forces de police pour évacuer le hall du tribunal, suscitant la colère des grévistes qui désormais font de son départ «une exigence indiscutable». Hier, les avocats ont exprimé leur «solidarité» avec les greffiers auxquels «un soutien indéfectible» a été affiché. A ce titre, le conseil de l'Ordre d'Alger, à l'issue d'une réunion extraordinaire, a décidé de «boycotter toute audience dont la composante n'est pas réglementaire». Dans un communiqué signé par le bâtonnier d'Alger, maître Abdelmadjid Sellini, il est clairement indiqué que les codes de procédure civile, administrative et de procédure pénale n'autorisent en aucune manière et dans aucune situation le recours aux huissiers de justice en substitution aux greffiers. «Etant donné que toutes les composantes désignées pour juger les affaires programmées au niveau des juridictions dépendantes de la cour d'Alger comportent des huissiers de justice à la place des greffiers – ce qui constitue une lourde violation de la légalité et un grave précédent unique dans les anales – les avocats décident de boycotter les audiences dans un souci de préservation des droits des justiciables», a déclaré le conseil de l'Ordre. Il a appelé les autorités judiciaires «à retarder les affaires de justice jusqu'au retour de la légalité des composantes de l'audience». Pour sa part, la Ligue algérienne des droits de l'homme (Laddh) de maître Boudjemaâ Ghechir, a elle aussi exprimé sa «solidarité» et son soutien aux greffiers qui, selon elle, «font l'objet de pressions, d'intimidations et d'humiliations de la part de certains procureurs de la République et procureurs généraux».Dans le communiqué qu'elle a rendu public hier, elle a dénoncé «la manière avec laquelle le ministre de la Justice a traité la grève et le recours aux huissiers d'audience en remplacement des greffiers sur la base d'une mauvaise interprétation de la loi régissant la profession d'huissier de justice». Elle a «violemment» fustigé «les agissements humiliants et vils de certains chefs de juridiction à l'égard des grévistes», avant d'appeler le ministre de la Justice à ouvrir le dialogue avec les contestataires «pour prendre en charge leurs revendications socioprofessionnelles». En fin de journée, le ministre a demandé aux greffiers de désigner un représentant pour chacune des 36 cours pour prendre part à une réunion prévue aujourd'hui à 16h. A signaler que les grévistes ne comptent pas revenir sur leur mouvement de grève «tant que leurs revendications ne sont pas prises en considération». Une situation qui pénalise lourdement les justiciables, renvoyés chaque jour des tribunaux et cours de nombreuses régions du pays sans aucune explication.