C'est une déclaration de guerre en bonne et due forme qu'a prononcée, hier, le dictateur Mouammar El Gueddafi dans un discours-fleuve à partir d'un immeuble désaffecté. Après avoir lâché ses sbires, ses chars et ses avions de combat contre le peuple qui le vomit, le fantasque dirigeant a opté pour l'escalade verbale. Particulièrement acariâtre, le roi en déclin, a fait étalage de sa «science» pour mater les millions de Libyens qui réclament depuis quelques jours sa tête. Loin d'adopter une attitude conciliante que lui commande la gravité de la situation, le fantasque El Gueddafi a, au contraire, redoublé de férocité en promettant de marcher sur les cadavres de Libyens. «En avant ! En avant !» s'écriait-il le poing en l'air, à la fin de sa déclaration de guerre contre son peuple. De fait, les forces du changement en Libye devraient se préparer désormais au pire. Et le pire, El Gueddafi, le fou, a repoussé dangereusement ses limites après plus de 800 morts uniquement à Tripoli, selon des recoupements. Hier, des centaines de cadavres ont été brûlés et les rues nettoyées pour faire disparaître les traces du massacre qu'il a ordonné. Tel un sanguinaire pour qui l'odeur du sang renforce son ivresse du pouvoir et sa puissance, El Gueddafi en a demandé davantage, hier, à ses supporters. «Ila al amam ! Ila al amam !» criait-il fiévreusement comme un possédé, invitant ses ouailles à répandre le sang de ceux qui contestent. C'est sans doute la première fois qu'un dirigeant d'un pays prend aussi crûment le monde entier à témoin contre son peuple qu'il menace des pires châtiments. «Je suis la fierté de la Libye !» Morceaux choisis d'une littérature guerrière aux accents exterminateurs : «Liquidez-moi ces chats et ces souris qui manifestent dans les rues» ; «il faut en finir avec ces gens drogués par les Tunisiens et les Egyptiens», ou encore : «Allez-y à Derna qui est gouvernée par les partisans de Ben Laden !» lançait-il aux militaires qui lui sont encore fidèles espérant un clin d'œil aux Américains. Le «guide» brandit le code pénal puisé dans son «livre vert» pour prononcer sa fatwa contre les manifestants armés : «Ils encourent la peine de mort !» Et dans la bouche d'El Gueddafi, cet article du code pénal est vite suivi d'une promesse d'application : «Ils (les manifestants) risquent de subir une riposte similaire à celle de Tienanmen (Chine) et de Falloujah (Irak).» En clair, le dictateur est déterminé à commettre l'innommable pour sauver son trône, irrémédiablement condamné par son peuple et l'histoire. Signe de sa vision aussi paranoïaque que schizophrénique, El Gueddafi justifie par anticipation ses crimes contre l'humanité qu'il s'apprête à commettre, aux yeux de la communauté internationale : «Nous sommes libres d'user de la force qu'il faut pour restaurer l'ordre.» Bonjour le chaos ! Le fantasque «guide» dont le discours était complètement décousu – comme d'habitude – a poussé son narcissisme pathologique jusqu'à confondre sa personne avec son pays. «El Gueddafi est la fierté de la Libye !» tonne-t-il «modestement». Seul John Kerry… Quid des manifestants ? «Ce sont tous des jeunes enfants drogués ; il n'y a pas une seule personne qui soit normale parmi ces gens-là», lance, sans rire, l'indécrottable despote. En revanche, il nie qu'il a eu recours aux bandes de mercenaires qui sèment mort et désolation à Tripoli, Benghazi et Derna. Pourtant, la chaîne Al Jazeera a montré, hier, une dizaine d'éléments de cette légion (du déshonneur) étrangère recrutés en Afrique noire. On y apercevait surtout des passeports du Soudan, du Tchad, du Niger et du Nigeria. A l'heure où nous mettons sous presse, des sources rapportent que le bras droit du guide, Ahmed Kadhaf Addam – dont le nom fait tressaillir –, a été envoyé en Egypte pour recruter des mercenaires. Le dictateur sait qu'il ne pourra plus compter sur l'armée qui commence à lui désobéir, sort donc son chéquier pour s'offrir une armée de mercenaires. Un groupe d'officiers libyens a en effet appelé, hier, les militaires du pays à «rallier le peuple» afin d'écarter Mouammar El Gueddafi du pouvoir, selon Al Jazeera. Les militaires rebelles proposent, d'après la même source, de marcher d'abord sur Tripoli, la capitale. Un peu plus tôt, des informations ont fait état de l'assignation à résidence du général Abu Younis Bakr, commandant en chef des forces armées libyennes, en raison de son incapacité à mater les manifestations anti-Gueddafi, alors que les gardes frontières libyens ont abandonné leurs postes à la frontière avec l'Egypte. Le sénateur américain, John Kerry, n'a pas hésité, hier, à mettre en garde les militaires libyens contre «d'éventuelles poursuites pour crimes de guerre». Il a par ailleurs invité les dirigeants du monde à «faire pression pour précipiter la chute du régime». Mais rien de bien concret n'a été décidé dans ce sens si ce n'est le commentaire d'Angela Merkel qui a qualifié le discours d'El Gueddafi «d'effrayant». Or, les Libyens qui se font massacrer à huis clos attendent plus que de simples déclarations attristées ou encore la suspension de leur pays des réunions de la Ligue arabe. Question à un dinar libyen : El Gueddafi est-il un mal utile pour les Occidentaux ?