Aujourd'hui, la Libye forme un véritable rempart contre le départ vers l'Europe de centaines de milliers – deux millions et demi, selon M. Frattini – de candidats à l'émigration en provenance d'Afrique subsaharienne. L'Europe du Sud, première porte d'entrée d'un éventuel afflux massif de migrants en provenance de Libye, se mobilise avec une réunion, hier, de ses ministres de l'Intérieur à Rome, à la veille d'une rencontre à Bruxelles sur ce thème qui divise les Européens. Les ministres italien, français, espagnol, grec, chypriote et maltais vont tenter d'élaborer «une ligne commune» et «soutenir la position exprimée par l'Italie à l'égard de l'Union européenne», a indiqué le ministère italien de l'intérieur. Pour eux, l'enjeu est de taille. Rome affirme craindre une vague d'au moins 200 000 à 300 000 immigrés en cas de chute de Mouammar El Gueddafi en proie à une insurrection d'une ampleur sans précédent. Un «exode biblique», «dix fois plus que le phénomène des Albanais dans les années 1990», a prédit le ministre italien des Affaires étrangères, Franco Frattini. Les Italiens ont encore en tête les images poignantes d'énormes bateaux déversant des milliers d'Albanais sur les côtes sud de la péninsule, jusque-là terre d'émigration. Aujourd'hui, la Libye forme un véritable rempart contre le départ vers l'Europe de centaines de milliers – deux millions et demi selon M. Frattini – de candidats à l'émigration en provenance d'Afrique subsaharienne. Un traité conclu en août 2008 entre l'Italie et la Libye a entraîné, selon les autorités italiennes, la diminution de 94% des débarquements de clandestins en Italie, avec une politique de refoulement immédiat, d'ailleurs dénoncée par les associations de défense des droits de l'homme. La Commission européenne prend très au sérieux les menaces des autorités libyennes de cesser toute coopération avec l'UE dans la lutte contre l'immigration illégale. Mais, jusqu'à présent, toutes les réunions à Bruxelles consacrées à cette question ont achoppé sur la question de la solidarité. La France, l'Allemagne, le Royaume-Uni, la Finlande et la Suède ont opposé une fin de non-recevoir aux propositions de la Commission de «partager le fardeau» du traitement des demandes d'asile. Les pays du sud de l'Europe s'en sont offusqués au point que le leader de la Ligue du Nord, parti anti-immigrés, Umberto Bossi, a lancé, en forme de provocation, que si de nouveaux migrants arrivaient, «on les envoie en France et en Allemagne». Le hiatus entre Italie et Union européenne est apparu à la mi-février lorsque l'Italie a vu arriver sur les côtes de la minuscule île de Lampedusa plus de 5 000 jeunes Tunisiens fuyant la crise économique et l'insécurité après la chute du président Ben Ali. «L'Europe nous a laissés seuls face à cette urgence», avait alors déploré le ministre italien de l'Intérieur avant que les tensions ne s'apaisent. L'Union européenne a déployé depuis dimanche la mission Hermes de Frontex (l'agence de surveillance des frontières européennes), «un signal clair de solidarité européenne entre Etats membres et une preuve concrète de l'engagement de la Commission européenne», avait déclaré Cecilia Malmström, commissaire européenne chargée des questions d'immigration. Frontex apporte notamment un soutien naval et aérien à la surveillance des frontières. Outre l'appui de Frontex, Rome a officiellement demandé une aide de 100 millions d'euros pour faire face à cette vague de migrants. Sur ce point, Bruxelles n'a pas encore donné de réponse.