El Watan 31 mai 2010 Saisissant l'opportunité du trentième anniversaire du printemps berbère d'avril 1980, le président du Mouvement pour l'autonomie de la Kabylie (MAK) a proclamé la constitution « d'un gouvernement provisoire kabyle, qui aura pour mission de mettre en place les institutions officielles de la Kabylie, et de représenter celle-ci auprès de la communauté internationale ». Même si nous, militants autonomistes, comprenons que la situation d'impasse de la Kabylie peut conduire à des initiatives extrêmes, il est de notre devoir et de notre responsabilité de rappeler des principes d'éthique politique qui doivent s'imposer à tous les acteurs, et singulièrement les autonomistes, pour ne pas discréditer notre combat. Tout militant, toute association ou organisation politique kabyle a le droit de parler de la Kabylie, de penser Kabylie, de s'engager ou de proposer des projets politiques. Mais cela n'autorise aucun individu, aussi courageux et éminent soit-il, ni groupe, aussi engagé et sincère soit-il, à s'autoproclamer représentant de la Kabylie, de parler en son nom et d'engager son avenir, s'ils n'ont pas été légitimement mandatés. A ce titre, les arguments mis en avant pour justifier la proclamation intempestive de ce « gouvernement provisoire kabyle » sont irrecevables. Un gouvernement provisoire devrait tirer sa légitimité d'une situation de gravité exceptionnelle (guerre, répression massive ou climat insurrectionnel) d'une ampleur telle que l'émergence d'un groupe représentatif, issu d'un véritable mouvement populaire en sa faveur, devient nécessaire pour la négociation et la résolution du conflit. Si la situation de la Kabylie est tragique sur les plans économique, social et sécuritaire, elle est toutefois loin d'une situation d'urgence qui pourrait justifier la mise en place d'un pouvoir de fait accompli. Sur le plan politique, et la commémoration du trentième anniversaire du printemps berbère l'a mis en évidence, la Kabylie, dépolitisée, démobilisée, est réduite à l'impuissance. Engluée dans les difficultés quotidiennes, plongée dans l'insécurité, polluée par un environnement délabré, fatiguée par l'échec des luttes politiques, elle tourne le dos aux partis traditionnels, sans adhérer encore aux nouvelles propositions politiques. Pour toutes ces raisons, ce « gouvernement kabyle provisoire » n'a aucune légitimité et ne peut être fondé à parler au nom des kabyles et à représenter la Kabylie. Défendre son peuple et vouloir le représenter, c'est d'abord le respecter et être à l'écoute de ses aspirations. C'est la Kabylie, au cas où elle choisirait démocratiquement la voie de l'autonomie, qui se donnera ses instances de représentation, et dont la forme dépendra de la réalité du moment. Car l'autonomie de la Kabylie ne saurait se faire sans – ou contre – la volonté du peuple kabyle. Ce n'est pas en forçant artificiellement le cours de l'histoire et en se substituant à la volonté populaire que nous ferons l'économie du chemin, long et difficile, qui mènera vers l'autonomie. Il faudra du temps pour que le processus historique s'accomplisse. Loin de résoudre les problèmes, l'incompréhensible initiative prise par le MAK piège les autonomistes et ouvre la voie à un aventurisme aux lendemains incertains. Dans un climat délétère marqué par un quadrillage militaro-politique sans précédent, une décision aussi grave qu'irresponsable ne peut faire que le jeu des luttes claniques qui agitent le sérail et nous impliquer dans des enjeux qui ne nous concernent pas. Faute d'une réelle adhésion populaire encadrée par une organisation puissante, la Kabylie risque d'être une nouvelle fois le théâtre de dérapages violents, avec leur lot de sacrifices inutiles. Les manipulations occultes, en favorisant les surenchères des uns et les provocations des autres, visent à compromettre la voie encore fragile de l'autonomie, laquelle a pour but de reconstruire la région, non dans l'adversité avec le reste des Algériens, mais dans la recherche de convergences et le respect des différences. Option profondément démocratique dans son esprit, l'autonomie doit l'être aussi dans sa pratique ; elle ne peut s'accommoder d'une reproduction jusqu'à la caricature des pratiques héritées du mouvement national et du FLN, comme le zaïmisme, les tentations hégémoniques, l'arbitraire et la politique du fait accompli. Les luttes politiques kabyles (partis, mouvements, archs) au départ généreuses, ont été perverties par cette culture de mépris des fondamentaux démocratiques. Si la lourde responsabilité du pouvoir reste entière, ces dysfonctionnements expliquent aussi les échecs successifs et les limites de nos luttes. Malgré de lourds sacrifices, la Kabylie n'a récolté que des traumatismes collectifs, et des plaies encore béantes. Sans la nécessaire rupture avec les méthodes anciennes, le combat autonomiste risque, à son tour, de sombrer dans l'échec programmé malgré l'engagement sincère de nouvelles générations de militants. Pour éviter de nouveaux drames, dont seul le pouvoir pourra tirer profit, il est temps de faire le pari de l'intelligence et de la générosité pour restaurer la sérénité, loin des surenchères et de la fuite en avant. Il est grand temps d'instaurer un véritable débat démocratique, public, et nécessairement pluriel, seule et unique voie pour construire nos convergences, gérer nos divergences et sortir de l'impasse actuelle. Renvoie : A. A. B : Membre fondateur du Mouvement pour l'autonomie de la Kabylie. M. B. : Membre du Cercle d'études et de réflexion sur l'autonomie de la Kabylie A. T. : Ancien animateur du printemps berbère au CUTO, militant autonomiste Par Ahmed Aït Bachir , Aziz Tari, Malika Baraka