L'un comme l'autre ont choisi le dessin pour mode d'expression et chacun à sa manière, Plantu et Dilem font de leur crayon un porte-voix. Tous deux, au nom de l'association Cartooning for Peace, sont passés cette semaine par Alger, Oran et Constantine pour une rencontre sur le thème «Caricature, un dérapage contrôlé». En 1951, naît Jean Plantureaux à Paris. Enfant, il dessine plus qu'il ne suit ses cours. Après avoir abandonné ses études de médecine, il se tourne définitivement vers sa vocation première. Le talent indéniable du jeune caricaturiste attire l'attention de Bernard Lauzanne, rédacteur en chef du quotidien le Monde. Plantureux devient Plantu. De l'autre côté de la Méditerranée, celui qui deviendra Ali Dilem entre à l'école et mènera la vie banale d'un jeune Algérien, évoluant dans un quartier populaire. Ces deux grands noms de la caricature se sont retrouvés cette semaine dans les Centres culturels français d'Alger, Oran et Constantine pour promouvoir la paix entre les peuples à travers la caricature. «Je ne rêvais pas de devenir dessinateur, ma mère voulait que je sois ingénieur et mon père médecin», raconte Dilem. Déjà au lycée, il prenait un malin plaisir à flirter avec l'interdit. «J'adorais dessiner Chadli, l'interdit suprême, dans des postures inconvenantes…» «Ni cancre ni brillantissime à l'école», il entame plusieurs licences, mais c'est à l'Ecole des beaux-arts que son avenir va se jouer. Denis Marquez, professeur à l'époque, lui parle d'un ami qui essaie de relancer un journal, disparu depuis des années, Alger républicain. Inspiré par une émission télévisée de l'époque où l'ancien président Chadli Bendjedid avouait jouer au tennis, le jeune étudiant publie sa première caricature dans les colonnes d'Alger républicain, ressuscité. Ce sera la première caricature d'un président en Algérie. Dilem est né. Fleur ou constellation Pendant ce temps-là, Plantu rencontre Yasser Arafat à Tunis, lors d'une exposition de ses dessins. Yasser Arafat dessine lui-même l'étoile de David du drapeau israélien sur un dessin de Plantu qui obtient le Prix du document rare au Festival du scoop d'Angers. Deux ans plus tard, Plantu fait réagir Shimon Peres, leader de la diplomatie israélienne à l'époque de ce dessin, à Jérusalem. Le dessin de Plantu deviendra le premier document cosigné par les deux chefs politiques. L'Algérie des années 1990 baigne dans le sang. Mauvais temps pour le caricaturiste qui n'hésite pas à dénoncer tous les travers d'une société malade. Celui qui n'épargne ni généraux ni tangos finit par être pris entre deux feux, tiraillé entre des poursuites judiciaires et des menaces de mort. Mais aujourd'hui, Ali ne veut pas s'attarder sur cette époque-là. «Je ne veux pas que ce soit un mérite, je voudrais qu'on retienne de moi ce que je vais laisser, nos journaux nous survivront. La presse algérienne a payé un lourd tribut pour sa liberté», rappelle-t-il. Et celui qui a cumulé près de neuf ans sous les verrous pèse ses mots. Aujourd'hui, un amendement porte même son nom. «Il n'y a rien de flatteur, quand votre nom est lié à des lois scélérates et liberticides, s'exclame-t-il, j'aurais préféré que mon nom soit donné à une fleur ou une constellation jusque-là inconnue.» En 2002, Plantu fête trente ans de publication dans les colonnes du journal le Monde et compte près de 15 000 dessins. Une réponse à l'interdit Plantu s'attache à ce que «le dessin imprimé fasse rebondir un débat ou une réflexion». «Le dessinateur n'est qu'un passeur, si vraiment le dessin est réussi, il donnera envie de s'intéresser à l'essentiel : l'article», précise-t-il. Oui, on peut rire de tout, s'accordent à dire les deux caricaturistes, mais tout dépend «de la manière, de la société et de l'époque», nuance Ali Dilem. Il prend pour exemple le tollé qu'a soulevé l'affaire des caricatures du Prophète. «Je ne dessinerai pas Mohamed, non pas que je sois plus lâche qu'un Danois, mais parce que je ne vois pas en quoi ça servirait ma cause», s'indigne-t-il. A ce propos, Plantu s'est dit «surpris par les menaces de mort proférées contres les Danois, je trouve ça disproportionné», tout en convenant que l'on pouvait nourrir sa passion sans pour autant blasphémer. «C'est comme ça qu'on a créé la fondation Cartooning for Peace qui est une réponse ferme et éditoriale à l'interdit : nous voulons continuer à déranger, nous ne voulons pas humilier inutilement les croyants.» En octobre 2006, à l'initiative de Plantu et des Nations unies, une douzaine de journalistes caricaturistes du monde entier, dont Dilem, se rencontrent autour d'un colloque «Désapprendre la tolérance». Cartooning for Peace naîtra de cette rencontre et aura pour leitmotiv une meilleure compréhension entre les peuples. Dès lors, les dessinateurs de presse les plus pertinents de leur génération sillonnent le monde en exposant leurs caricatures, brandissant leurs crayons contre l'intolérance. «Il y a un mur de séparation entre les Palestiniens et les Israéliens ? Nous contournons le problème et discutons par dessins interposés.», déclare Plantu, Pour Dilem, «une caricature ne doit pas être politiquement correcte, mais doit échapper aux codes de la haine».