Au bord de la crise nucléaire qui risque de s'étendre à toute la région, le gouvernement japonais tente, depuis une semaine, de limiter les dégâts. L'enjeu immédiat, dans les jours qui viennent, est le refroidissement coûte que coûte des réacteurs afin d'éviter l'explosion thermique susceptible de libérer une quantité importante de radionucléides dans l'atmosphère. Ainsi, une cinquantaine de «liquidateurs» (nom donné au personnel civil et militaire intervenant après un accident nucléaire majeur) agissent au mieux. Tous les regards sont braqués sur ces travailleurs restés sur le site de la centrale de Fukushima pour refroidir les réacteurs accidentés et le combustible irradié. Ils sont considérés par les Japonais comme étant les nouveaux héros du Japon, prêts à sacrifier leurs vies pour sauver la nation. Dans un milieu contaminé par les radiations, ces employés de l'exploitant Tokyo Electric Power sont chargés de suppléer à la panne du système de refroidissement et de l'alimentation électrique de la centrale. «Les gens qui travaillent sur ces centrales se battent sans reculer», commente Michiko Otsuki, une employée de la centrale de Fukushima 2, située à 12 km des réacteurs endommagés. «Je ne peux que prier pour la sécurité de tous... N'oubliez pas qu'ils travaillent pour protéger chacun d'entre nous en échange de leurs propres vies» a écrit Mme Otsuki dans un message sur le site de socialisation japonais Mixi. Le Premier ministre, Naoto Kan, a également salué le courage de ces travailleurs qui «s'efforcent d'arroser, de faire tous les efforts possibles sans même penser au danger». Lorsque Tokyo Electric a lancé un avis à la recherche de vingt «liquidateurs» pour participer aux opérations, il a reçu plusieurs candidatures d'employés qui avaient été évacués au début de la crise, selon l'agence japonaise Jiji. Selon David Brenner, directeur du centre de recherches radiologiques à Columbia Service, les travailleurs de Fukushima 1 sont exposés à un «risque significatif» étant donné les niveaux de radioactivité mesurés sur le site. «Ils sont déjà des héros... Ils vont endurer des expositions très élevées aux radiations.» Mardi, un niveau de radioactivité de 400 millisieverts par heure a été relevé près du réacteur 3. Une personne se trouvant une heure à cet endroit recevrait une dose de rayons ionisants 20 fois supérieure à celle autorisée pour les travailleurs du nucléaire en France. La gratitude envers les «liquidateurs» japonais, qui rappelle celle envers ceux de Tchernobyl en Ukraine il y a 25 ans, n'empêche pas les critiques envers l'organisation des opérations sur le site par Tokyo Electric et l'Agence de sûreté nucléaire japonaise. Des critiques ont notamment fusé du ministère japonais de la Défense, dont des soldats participant aux opérations ont été blessés et peut-être exposés à des rayonnements au moment où une explosion a soufflé une partie du bâtiment extérieur du réacteur 3, selon le quotidien Yomiuri. L'opérateur et l'Agence de sûreté «nous ont dit que ce n'était pas dangereux, nous les avons crus et nous avons travaillé ici», a déclaré un haut responsable du journal au même quotidien. «Lorsqu'ils nous disent que c'est sûr, nous leur faisons tout simplement confiance, même si cela nous met un peu mal à l'aise.» Selon Patrick Gourmelon, directeur à l'Institut français de radioprotection et de sûreté nucléaire, «les salariés qui interviennent actuellement au Japon dans les centrales risquent leurs vies et certains pourraient mourir dans les mois qui viennent, car ils sont potentiellement exposés à des irradiations à très forte dose». «Malgré leurs protections, on les envoie en mission suicide», estime Marc Antoine-Anoman, du Réseau sortir du nucléaire. Baku Nishio, du Centre japonais d'information des citoyens sur le nucléaire, hostile à l'énergie atomique, estime que le dernier carré de travailleurs sur le site est probablement davantage habité par «le sens du devoir que par une sorte de sentiment d'héroïsme». Pour ce militant, «c'est un grave problème que le destin du pays soit entre les mains de ce petit groupe de travailleurs de la dernière chance». L'adage japonais dit : «Le courage consiste à faire ce qui est juste.» Courage Tohoku ! (Courage Japon).