Si la guerre d'Algérie fut longtemps une guerre sans nom, elle n'a pas été sans mots, ni sans protestations. Lyon. De notre correspondant Le livre universitaire Ecrire et publier la guerre d'Algérie, de l'urgence aux résurgences (*) remonte le fil des années 1950 pour relater avec beaucoup de détails inconnus la gestation de la création littéraire militante qui accompagna la lutte des Algériens pour l'indépendance. La première partie, surtout, est passionnante. Les universitaires qui participèrent à un formidable colloque à Lyon retracent l'itinéraire des éditeurs engagés, chacun à sa façon. François Maspéro et Jérôme Lindon (Editions de Minuit) se dédièrent à lever le voile sur les horreurs de la guerre en Algérie. Les éditions du Seuil se consacrèrent à faire connaître la littérature algérienne dès l'éveil de l'insurrection, grâce à l'écrivain d'Algérie, Emmanuel Roblès, engagé à cet effet. Il est troublant d'ailleurs d'apprendre que Nedjma de Kateb Yacine fut publié en 1956, en même temps que La Lézarde, le premier ouvrage d'un anticolonialiste notoire, Edouard Glissant, qui nous a quittés il y a quelques semaines. On parle aussi dans cet ouvrage de l'engagement timide, mais actif, de René Julliard qui publia, notamment en 1960, La Guerre d'Algérie de Jules Roy, ouvrage décisif en France pour comprendre les errements coloniaux en Algérie. Si les messages d'alerte avaient été entendus, n'aurait-on pas évité tant de drames et de souffrances ? On apprend les dédales de la création des œuvres majeures de cette période, comme L'Algérie hors la loi du couple Jeanson, ou encore L'affaire Audin de Pierre Vidal-Naquet, encore jeune homme alors. Sur le même registre, on a le détail de la gestation de l'appel à l'insoumission, entré dans l'histoire comme le Manifeste des 121. On se surprend, enfin, à découvrir les personnes qui ont fixé à tout jamais le paysage intellectuel de ces années terribles. On est fascinés par le choc des personnages dont l'action s'imbrique, avec pourtant des différences d'approche très sensibles. Entre un Camus et un Sénac, un Maspero et un Servan-Schreiber, un Mauriac et une Tillion, un Sénac et un Amrouche, un Sartre et un Mauriac, etc. Les différences sont sensibles, au point qu'on peut mesurer les clivages et les différences. Pour tous en tout cas, un point commun se dégageait : le refus du diktat et de la soumission à un combat injuste. Pendant ces longs mois meurtriers, ils ont hurlé à qui voulait l'entendre, que cette guerre était ignoble et déshonorante. 49 ans après le cessez-le-feu, il est utile de retrouver la force de ces écrits qui restent autant de témoignages marquants, d'autant que les dernières contributions tissent le lien qui nous ramène jusqu'à aujourd'hui dans la création littéraire, cinématographique ou théâtrale, autour de la mémoire. Une fin sans fin…
(*) Ecrire et publier la guerre d'Algérie, de l'urgence aux résurgences, éditions Kimé ; Paris 2010, 340 pages.