Hamdane Hadjadji est docteur es lettres en langue et littérature arabes. Chercheur, il est auteur d'anthologies bilingues français/arabe de poésie et donne des conférences en France où il est établi et à l'étranger. Sous la direction du professeur André Miquel, il a soutenu une thèse consacrée à «Ibn Zamrak, le poète de l'Alhambra, sa vie, sa poésie» et à l'illustre «Ibn Khafadja al Andalusi sa vie, sa poésie» sous la direction du professeur Blachere. Comme on le constate, Hamdane est un spécialiste des poètes andalous auxquels il a consacré plusieurs ouvrages et de nombreux articles dans la presse. Hamdane a bien voulu répondre à nos questions. -Parlez-nous de votre enfance… Natif de Miliana, une petite ville au pied du Zaccar à l'ouest d'Alger, j'ai vécu dans une famille avec deux sœurs et trois frères. Nous occupions une chambre dans une maison familiale sans électricité et sans eau courante, sise à l'extérieur de la ville dans une banlieue appelée à ce jour les Anassers (Les Sources). Mon père, orphelin très tôt et étant l'aîné, dut quitter l'école pour apprendre un métier, il sera cordonnier. Son grand mérite a été de me scolariser d'abord à l'école coranique puis à l'école primaire indigène. Ma réussite au certificat d'études a été un évènement fêté comme il se doit ! Pour ne pas m'arrêter en si bon chemin, j'ai réussi au concours d'entrée en 6e au collège, mais après la classe de 5e, nous avons compris que le moment viendrait où il serait impossible d'assumer les frais de ma scolarité, surtout lorsqu'on savait que pour passer la 2e partie du bac, il fallait aller à Blida ou à Alger en internat, ce qui veut dire, avoir un trousseau très important dont dépendait l'accès à l'établissement d'accueil, c'était là un obstacle infranchissable et la fin d'un rêve ! C'est là que mon père m'orienta vers la préparation du concours d'entrée à la Médersa d'Athaâlibiya où le grand avantage était, une fois admis, d'être pris en charge intégralement sans présenter un trousseau démentiel. A ma sortie en 1954, auréolé de mon diplôme, je voulais être «moudaresse» et enseigner l'arabe, mais Dieu en décida autrement. Tombé gravement malade, je fus transféré en France pour des soins, une fois rétabli, j'ai décidé de poursuivre mes études. A l'indépendance, je suis rentré chez-moi où je fus nommé assistant pour finir professeur à la Fac centrale. -Comment en êtes-vous venu à aimer les poètes andalous ? C'est à la Médersa d'Alger où l'enseignement de la littérature arabe occupait une place importance à côté de l'enseignement du français, que j'ai pu découvrir, non sans fierté, de grands écrivains, des poètes de talent, des penseurs éminents, mais pour la plupart issus de l'Orient. Il y avait là un déséquilibre qu'il me fallait rectifier en redonnant à l'Andalousie la place qu'elle mérite. Quel a été le déclic ?A vrai dire, cela remonte à très loin ! C'était à Miliana où chaque année il y avait la Fête des cerises, et à cette occasion, on invitait le grand Dahmane Ben Achour (que Dieu lui accorde sa miséricorde), le chanteur andalou à la voix sans pareille, pour animer cette soirée et qu'on installait au jardin public, d'où tout le monde, à défaut de le voir, pouvait l'entendre et cela jusqu'à l'aube !Il avait cette qualité d'articuler très bien ses «mouwashahates» à tel point qu'on comprenait les paroles. Nous trouvions alors cette poésie pleine de fraîcheur qui décrivait un environnement qui nous était familier, on avait l'impression d'être dans ces lieux enchanteurs !Ce fut un bonheur pour moi d'apprendre récemment que toute son œuvre a été reproduite à l'initiative de Mme la ministre de la Culture sous le contrôle vigilant du grand musicologue Rachid Guerbas, qui eut la gentillesse de m'offrir un coffret que je garde jalousement. -Pourquoi votre attirance pour Ibn Khafadja spécialement ? Lorsque j'avais décidé de faire une thèse de troisième cycle, je m'étais adressé au professeur Régis Blachere (que Dieu ait son âme), et lui ai fait part de mon souhait de travailler sur l'Andalousie. «Soit, me répondit-il, après les vacances d'été, revenez me voir avec cinq noms de poètes et je vous dirai lequel des cinq vous étudierez.»A la rentrée, je lui ai communiqué les cinq poètes en ordre, le premier était Ibn Khafadja. «Cela me convient allons-y», et il ne m'a même pas demandé qui étaient les autres. La question est maintenant de savoir pourquoi j'ai placé ce poète en tête de liste. C'est à la suite de la lecture de son diwan qu'il y avait je ne sais quoi qui me le fit choisir, c'est après coup, qu'on cherche les raisons de ce choix. C'est sans doute la prédominance de la nature dans son œuvre. Il évoquait dans un style admirable ce que j'ai connu : les jardins,les ruisseaux, les oiseaux, les fleurs, enfin bref, tout ce que m'offrait ma ville natale, car Miliana était une succession de vergers verdoyants avec leurs arbres fruitiers. Cette similitude m'a certainement incité à faire ce choix, j'étais en quelque sorte chez moi et c'est plutôt rassurant ! -Votre travail n'est-il pas une complainte en direction d'un empire perdu ? Alors là, pas du tout ! C'est un patrimoine fabuleux qui est source de bonheur ! Que de témoignages n'ai-je pas reçus pour me dire que la découverte de ces richesses léguées par nos ancêtres contribue à diminuer leur stress, leur malvie dans un monde où tout est réduit au matériel, à l'appât du gain. . -La globalisation ne risque-t-elle pas de tuer le peu de romantisme qui reste ? Je crois avoir répondu dans les lignes qui précèdent. A mon avis, ce peu de rêve, je dirai qu'il faut le préserver, car les gens ont besoin de s'évader, de découvrir toutes les richesses dont une partie seulement nous est parvenue et qui reste en grande partie méconnue, hélas. J'incite nos jeunes étudiants à y travailler, à publier et à faire connaître au monde toutes les valeurs universelles que beaucoup nous envient. J'ai eu, au cours des conférences que je fais en France et en Algérie, l'opportunité de savoir que les auditeurs ont soif de découvrir ces trésors et il nous appartient, à nous, chercheurs, de le faire.