2éme partie Le grand vizir et poète Lissan Eddine Ibn Khatib auquel l'encyclopédiste et polygraphe tlemcenien Ahmed al-Maqqari (17ième siècle ) consacra dans son «nefh etib» une des plus belles œuvres biographiques , contraint à s'exiler vécut à Tlemcen pendant au moins deux années ville où il fut reçu avec faste par le roi mérinide Abou Faris ibn Abdelaziz et à laquelle il consacra des poésies dans lesquelles il exalte sa nature généreuse et sa société raffinée. Ce dernier poète fut aussi disciple à Grenade des savants tlemceniens, Mohamed al-Wancharissi, Abou-l-kacem Charif ,Abdellah Ben Said al- Maqqari, al-Khatib ibn Marzouk des personnalités marquantes de l'histoire culturelle du Maghreb . Lissan eddine ibn al- Khatib reconnaissait à Tlemcen le statut de grand centre de production des arts ( founoun) et des lettres dans le Maghreb. Al-Khatib Ibn Marzouk ce savant contemporain de Abderrahmane Ibn Khaldoun dont le passage à Grenade fut très remarqué y laissant des traces, fut également professeur du grand poète andalou Mohamed ibn Youssef es-Sarihi. Il eut également pour disciples à Grenade une pléiade d'autres savants grenadins connus dont Lissan eddine ibn Khatib mais également algériens:Ahmed ibn Kounfoud al-Qoçantini (1339-1407), Abdellah Mohamed «Charif ettilimsani» ( 1347-1390). Les amateurs d'art andalou apprécient aujourd'hui encore les merveilleux poèmes chantés de Lissan eddine ibn Khatib (1313-1375):« la zala dahrek said » (darj rasd dil , reml el achiya) ; «Roubba Leili » (inçiraf raml el maia), «djadaka al ghait» ( inçiraf reml el maia), « askini lakad bada el- fadjrou» ( inçiraf moual ),«tairou al kalbi tara aan ouakri » ( darj ghrib)... Le fils de Lissan Eddine Ibn Khatib, Abou-l-hassan , un savant lui aussi , ayant occupé des postes importants à Grenade sous les Nasrides est né à Tlemcen , indique «al-Maqqari » dans son « Nefh ». De son côté, Tlemcen appréciera également la présence de grands savants d'origine andalouse tels Al Abili de Sainte Thérèse d'Avila, maître à penser du grand historien maghrébin Abderrahmane Ibn Khaldoun, du savant mystique originaire de Huelva Echoudi dit Al Halloui dont le souvenir est perpétué par la belle mosquée qui porte son nom, construite au 14ième siècle par les mérinides... Mahieddine Ibn Arabi, Lissan eddine Ibn Khatib , Mohamed ben Youssef Sarihi plus connu sous le nom d'''Ibn Zoumrouk''(ces deux derniers poètes sont disciples du savant et non moins poète al-Hafidh ibn Marzouk Tilimsani auteur a d'une mouloudiya prononcée à Grenade et publiée dans «Al-ihata fin akhbar Gharnata» de Lissan eddine ibn Khatib. Al -Maqqari a ,dans son Nefh , sauvé pour nous les lettres qu'échangeaient les deux savants)...ont laissé une forte empreinte de leurs traces dans la musique andalouse comme aussi ils ont influencé de leurs oeuvres une lignée de producteurs tlemceniens de muwaschah, de zedjel andalou et de haouzi que furent entre autres le poète médecin de la cour zianide Abi Djemaa Talalissi tilimsani (15ième siècle ) né à Grenade , Said al-Mandassi (17ième siècle )qui rivalisa de son temps avec les plus anciens auteurs de la qaçida au Maroc dont Abou Farès al-Maghraoui ,son disciple Ahmed Ibn Triqui (17ième siècle ), Mohamed Ibn M'saib (18ième siècle) , Zaatan tilimsani (18ième siècle ), Mohamed Bendebbah (18ième ) ...Cette addition de poètes postérieurs a , à son tour , enrichi cet héritage collatéral ou voisin : Mohamed Abi Amer (18ième siècle ) auteur de « mali sadr h'nin», M'barek Bouletbag ( 17ième )auteur de « serraba» et de «miradj», Ahmed Belhadj (18ième siècle )auteur de «Baghi n'toub ya sadat »,Mohamed Zaatan (18ième siècle )auteur « Açabani mard el hawa» ,Bellahcen Benachenhou (19ième siècle )auteur de « Lillah ya b'na el ouarchan »,l'imam Mohamed Setouti (20ième siècle ) avec ses opérettes - bouffes dont «Tandjia» chantée au Maroc, Mostéfa Bendimerad (19ième siècle )avec son « kahoua oula thai»...Autant dire ces poètes et musiciens considérés également comme les artisans de cette musique font ressortir la place éclatante de l'ancienne capitale zianide dans la production des lettres et des arts . Ce genre porté à son apogée par une pléiade de poètes et de musiciens a développé tous les styles : les khamriyate ( poèmes bachiques ) les rawdiyate (les jardins fleuris ), l'amour courtois ... De ce corpus poétique important il serait abusif de considérer les auteurs comme des poètes andalous. Les musiciens algériens participèrent aussi à une œuvre fondatrice du genre algéro - marocain ,le gherbi, avec sa magie , son style , un art merveilleusement expressif entré dans la mode il y a au moins trois siècles en Algérie les uns apportant leur poésie , les autres leur muse avec des variantes très riches en modes et en rythmes des registres mélodiques de la «Çanaa». Ce genre entrera dans une grande vogue à partir au 18ième siècle à Tlemcen .Le poète tlemcenien M'barek Bouletbag contemporain de Lakhdar Benkhlouf évoque dans un poème à caractère historique intitulé «Serraba», chanté par Al-Anka ,un Maghreb sans frontières avec les aèdes marocains et algériens vivant son temps: Mohamed Nedjar , Abdelaziz Maghraoui , Aissa Laghouati... Il est important de signaler que les genres «haouzi» , «aroubi» des poètes du 18ième siècle Hadi Ben Guenoun, Mostéfa Benbrahim , Kaddour Bel Abbés _connus pour leurs pèmes : «Dhalma» ,« al-guit ana ya Khoudat», «fi wahran sakna ghozali»...«gherbi»et non m'gherbi ,gherbi par référence au mot «gharb» notion toponymique qui veut dire le pays de l'ouest , une tranche régionale qui englobe plus précisément les régions d'Oujda et Fès. Le découpage culturel et artistique correspond à une topologie culturelle, une spatialisation culturelle et artistique concentrique. Le Maghreb de l'art et de la culture n'a en effet rien à voir avec l'actuel découpage politique. Notre musique a besoin légitimement d'être écrite à part. La «çanaa» au centre , le « haouzi» à la périphérie la plus proche , à plus loin encore le «aroubi» faisant référence à la poésie pastorale enfin ,le «gherbi» .Il est certain que les échanges ont toujours existé entre les vieilles cités maghrébines sans que les traditions musicales propres n'aient été privées de leur originalité sur les plans mélodiques et même instrumentale voir , à titre d'exemple , le rebab joué sur une corde à Tlemcen et sur deux à Fès. La prose d'essence populaire revendique mais en vain une place officielle dans le contexte de la littérature arabe en Algérie Du 16 au 19ième siècle ils seront au moins une soixantaine de prosateurs parmi eux également des poètes juifs. Ce fut la période héroïque de la poésie populaire citadine à Tlemcen. Le «haouzi» en tant que genre poético-musical est le produit pur du génie de la langue parlée avec ses schémas de pensée, son vocabulaire, ses euphémismes et ses fantaisies avec son incomparable lyrisme et qui continue toujours, mais en vain, à revendiquer officiellement une place dans la littérature arabe algérienne en tant que bien ou legs culturel de valeur au même titre que les muwaschchah ou les zedjal. Comme un monument cette poésie est à la fois un lieu de mémoire , un vécu , une appartenance , une esthétique , enfin, un espace culturel très symbolique. L'écrivain Sid' Ahmed Bouali auteur du livre intitulé les deux grands sièges écrit: Quant à l'état d'âme d'un peuple , sa vie intérieure , ses rêves , ses aspirations profondes , cette part inaliénable de son être , il faut sans doute la chercher dans la littérature populaire avec sa richesse insoupçonnée de poésies , de contes , de proverbes et de sentences. C'est là , en effet , que l'on trouve une mine d'indications sur la sensibilité d'un peuple , sur ses tendances profondes , sur ses réactions particulières et son comportement face à son destin. Tlemcen offrait à l'époque, malgré les contraintes rencontrées auprès du pouvoir de l'odjak et souvent évoquées par les auteurs eux-mêmes, les conditions dans lesquelles la poésie a pu se développer. La tradition du zadjel soufi de Abou Madyan ( 12ième s.) est restée fortement enracinée dans la cité qui l'a sanctifié et qui a largement fait triompher sa pensée et sa poésie. Cette culture portée durant des siècles par des générations de musiciens fait l'objet d'une pieuse et fervente transmission surtout dans les milieux ésotériques ou le chant « samaa » est toujours à l'honneur. Les derniers poètes cités furent les continuateurs emblématiques du zedjal andalou en Algérie mais aussi les fondateurs d'une autre tradition de chant très proche ou encore contiguë à la musique andalouse appelée « haouzi». Nous noterons que les Maghrébins prennent pour apogée à leur civilisation les périodes pendant lesquelles la culture de l'esprit et du raffinement ont atteint leur sommet en Andalousie. Il est à rappeler que la ville berbère de Tlemcen était entrée dans l'arabité dès le 9ième siècle sous les Idrissides qui y ont construit leur première mosquée cathédrale ( Masdjid djamii ) à Agadir (Tlemcen ), en 789. Beaucoup n'expliquent pas pourquoi le nom de «haouzi»attribué à un genre de poésie qui est pourtant citadine avec des poètes qui sont nés dans le milieu exubérant des vieux métiers , au coeur de la citadinité à Beni Djemla , al-Kalaa , derb al-méliani , Sidi al-Halloui ... des topographies qui sont jusqu'à aujourd'hui encore , parfaitement identifiables. Les poètes Said Benabdellah Mandassi (17ième siècle ), Ahmed Bentriqui (17ième siècle), Mohamed Benm'saib, Fqih Bensahla et son fils Boumédiène (19ième siècle ) , Mohamed Bendebbah (18ième siècle )... sont des poètes purs produits de l'art raffiné et éclectique du haouzi. Ils occupent une place d'honneur dans la généalogie des premiers maîtres. Le haouzi qui constitue le label musical le plus proche de la «çanaa» est un type de beauté littéraire créé essentiellement pour la musique. L'auteur de la «akikia» (la cornaline),Said al-Mandassi poète officiel honoré pour ses poésies à caractère dithyrambique par le roi saadien al-Mansour ( 16ième ), est reconnu comme étant l'ancêtre du «haouzi». Le grand poète de la qacida marocaine Mohamed al-Mesmoudi reconnaît en lui son maitre. Au Maroc ou il a vécu dans la cour des rois alaouites à Sidjelmassa puis Meknés , Said Ben Abdellah rivalisa avec ses pairs dont Abou Farès al-Maghraoui le «roi des poêtes», l'archétype , le plus ancien producteur, de la qacida dite « malhoun » . C'est l'œuvre du grand poète al-Mandassi qui a inspiré la création du pied de mètre « tilimsaniya», au Maroc. Le haouzi implique la musique et à ce propos, le grammairien Abdelhamid Hamidou en 1938,écrit : «Tous les poèmes sont composés pour le chant , le mot dans les chansons est image et musique à la fois et le rythme poétique et le rythme musical s'y associent intimement». La poésie musicale à Tlemcen a eu ses lettres de noblesse avec d'autres poètes-musiciens et compositeurs entrés eux aussi dans la légende parmi lesquels nous citerons Daoudi al-Faroui auteur de «marhaban ahlan oua sahlan» , Mohamed ben Khadr avec son «kad fana djasmi al-gharam», Boumédiène Bensahla avec ses chansons « ya khalaq laabad soltani «ou encore» kif aamali oua hilti «, Mohamed Bendebbah auteur de » daa sabri «, Djilali al-Eubadi » al-Khabar dja mina-l- gharb «,Mohamed Zalbouni» b'qit mahmoum «,Kaddour Bénachour dont notre ami Bénamar Zerhouni a compilé pour la première fois une grande partie de l'oeuvre , auteur de «Saadi rit Barrah » , de Mohamed Rémaoun auteur de «Yalayamni fi liiti »...et d'autres qui ont légué à la postérité des pièces d'anthologie. Nous noterons que les musiciens juifs ont largement contribué à vulgariser la musique andalouse et le genres dit «haouzi» et «araoubi» en particulier en Algérie , au Maroc et en France avec Saoud Médioni dit al-Wahrani(1893-1942) petit - fils de Maalem Maqchiche (1818-1899),Ibého Bensaid (1890-1972),Joseph Ben Guenoun dit Maalam Zouzou (1885-1972 )... La vieille cité zianide connut de grands maîtres juifs de la musique dite andalouse dont Maalem Médioni Ichou dit Maqchiqhe et Makhlouf Rouch dit Btaina (1845-1931) qui ont laissé une lignée de musiciens juifs et musulmans dont Mohamed Benchaabane dit Boudelfa ( 1840-1914 ) , Abdelkader Karmoni - Serradj (1859-1948), Ménouar Benattou (1815-1890)... Nous ne saurions ignorer l'œuvre de ces grands poètes de l'oubli ayant laissé un trésor de chansons. Nous ferons preuve d'ingratitude à leur égard si nous continuons à méconnaître leurs noms tout en exploitant dans l'anonymat leurs œuvres sous prétexte qu'elles appartiennent au passé.«Mina ettourath» ne veut pas dire gommer le nom des auteurs témoins d'un art et d'une culture qui ont essaimé, laissant un corpus poétique porté comme un flambeau et entrés partout dans les traditions partout à Alger , Constantine , Blida ... en Algérie et dans le Maghreb. C'est là non seulement une injustice mais une atteinte grave au droit sacré de la propriété intellectuelle et artistique. C'est grâce à la poésie populaire et à ses grands aèdes que l'âme algérienne s'est profondément maintenue et enracinée dans le terroir. Les oeuvres léguées témoignent du bon vivre au milieu des savants , des faqihs , des musiciens , des artisans de la composante sociale de l'époque. Les péosies de Said ben Abdellah al- Mandassi ,Ahmed Bentriqui , Mohamed Benm'saib... sont pour les mélomanes un voyage dans Tlemcen du 16-17-18-19ième siècle considérés comme des siècles d'or du «haouzi». Le «haouzi » c'est le parfum des ruelles , c'est la citadinité , «le tamaddoun» où l'art de vivre dans la cité . A suivre