La secrétaire d'Etat américaine a certainement entamé, hier, sa tournée européenne la mieux préparée, du point de vue des questions qu'elle sera appelée à aborder après les révélations de la presse américaine d'abord et européenne ensuite sur l'existence de prisons secrètes de la CIA sur le Vieux Continent, ainsi que sur des vols clandestins. Elle n'aura certainement pas à faire ce point d'ordre que certains font déjà en Europe pour soulever la question de la faisabilité de tels procédés, soulignant que cela ne pourrait se faire à l'insu des Etats cités, surtout en cette période de lutte contre le terrorisme. Ce seraient là autant de questions qui fâchent, et auxquelles Mme Condoleezza Rice a commencé à répondre avant même de quitter lundi le sol américain. Evoquant la lutte contre le terrorisme, elle a déclaré hier à Berlin que les Etats-Unis « n'admettent pas la torture qui est contraire à la loi américaine et contraire aux obligations internationales des Etats-Unis ». « Nous avons à protéger nos peuples et nous utiliserons tous les moyens légaux pour le faire », a-t-elle réaffirmé lors d'une conférence de presse avec la chancelière allemande Angela Merkel, à l'issue d'un entretien. Evoquant la question controversée des vols de la CIA et des prisons secrètes supposées de celle-ci, Mme Rice a rappelé que la nouvelle guerre contre le terrorisme est « un défi » et rend nécessaire de « faire tout notre possible pour protéger nos citoyens ». « Nous respectons la souveraineté de nos partenaires », a-t-elle encore assuré. La secrétaire d'Etat américaine a aussi souligné que « le renseignement est la clé absolue du succès » dans la guerre menée par son pays contre le terrorisme international. Alors même qu'elle traversait l'Atlantique pour venir en Europe, la chaîne de télévision américaine ABC News affirmait que la CIA a transféré en novembre onze membres présumés d'Al Qaîda incarcérés jusque-là dans deux prisons secrètes d'Europe de l'Est. Ce transfert a été fait à la hâte avant cette tournée, ont déclaré à ABC des sources de l'agence de renseignement américaine. Ces sources - des membres actifs ou retirés de la CIA - ont ajouté, sous le couvert de l'anonymat, que tous les suspects, sauf un, avaient été soumis aux techniques d'interrogatoire les plus poussées autorisées par la CIA. Ils ont été détenus à un moment donné dans une ancienne base aérienne soviétique d'un pays d'Europe de d'Est, avant d'être transférés, pour plusieurs d'entre eux, vers un autre pays d'Europe de l'Est. Ces sources, a précisé ABC, ont refusé de fournir le nom des pays en question. Le chef de la diplomatie américaine avait appelé lundi l'Europe à des décisions « difficiles » pour lutter contre le terrorisme. « Avant la prochaine attaque, nous devrions tous nous pencher sur les choix difficiles auxquels les gouvernements démocratiques sont confrontés. Et nous pourrons contrer au mieux ce danger si nous travaillons ensemble », a-t-elle ajouté sur le ton de la fermeté, dans une longue déclaration avant son départ de la base militaire d'Andrews. A Berlin comme à Bucarest, Kiev et Bruxelles, ses entretiens devraient être dominés par la controverse provoquée par les vols secrets de la CIA pour transférer des suspects de terrorisme vers des centres de détention clandestins en Europe et ailleurs dans le monde. Selon l'hebdomadaire allemand Spiegel, plus de 430 vols secrets de la CIA, transportant des prisonniers soupçonnés de terrorisme, seraient passés par l'Allemagne et Berlin en possède aujourd'hui une « liste détaillée ». Mme Rice a mis les critiques de Washington au pied du mur, affirmant : « Nous avons la responsabilité avec nos amis autour du monde d'œuvrer de concert pour trouver des moyens pratiques pour nous défendre contre des ennemis impitoyables. » Le chef de la diplomatie américaine a précisé que sa déclaration allait former « la base » de la réponse de l'administration de George W. Bush aux questions posées par les Européens. Au nom des membres de l'Union européenne, le ministre britannique des Affaires étrangères, Jack Straw, avait formellement demandé à Washington de clarifier sa position sur ces pratiques, interprétées par certains milieux politiques comme des violations du droit international. Mme Rice a souligné que les transferts de suspects vers des pays tiers « mettent les terroristes hors circuit et sauvent des vies » et qu'ils étaient permis par le droit international lorsque des procédures d'extradition en bonne et due forme ne sont pas une option. Mme Rice a cité en exemple l'enlèvement en 1994 au Soudan du terroriste Carlos « le Chacal » par les services de renseignements français et sa détention en France en rappelant que cette action avait été jugée légale par la Commission européenne des droits de l'homme.Elle a noté que le premier devoir des gouvernements était de protéger leurs citoyens contre des terroristes ne s'inscrivant pas dans des schémas judiciaires normaux. « Nous avons dû nous adapter. Et d'autres gouvernements font face à ce défi », a-t-elle dit en justifiant les interrogatoires de suspects « pour sauver des vies humaines ». Washington s'était engagé il y a quelques jours à répondre de façon « opportune » et « directe » à la lettre de la présidence britannique de l'UE. Mme Rice, « est prête à discuter de cette question si elle émerge. Je pense que ce sera le cas », avait indiqué le porte-parole du département d'Etat, Sean McCormack. « Mais elle a aussi une longue liste de questions politiques qu'elle veut évoquer à chaque étape de son voyage », avait-il ajouté. Cette première réponse sera-t-elle acceptée ? Mais qu'en sera-t-il aussi des Etats dont les territoires auraient abrité ces fameux « sites noirs », ou servi au moins de lieu de transit pour les vols de la CIA ? Y'aura-t-il au moins des investigations ?