Hôpital Mustapha Pacha à J-1 de la grève illimitée annoncée par le Collectif autonome des médecins résidents algériens. L'ambiance est plutôt sereine. Rien ne présage qu'un débrayage massif se prépare. Pourtant, les médecins résidents de l'hôpital Mustapha, tout comme leurs collègues des autres CHU, sont plus que jamais déterminés à en découdre avec leurs deux tutelles, à savoir l'Enseignement supérieur et la Santé, jusqu'à satisfaction de leurs revendications. Discussion à bâtons rompus avec un groupe de médecins spécialistes en formation. «Pour le moment, il n'y a pas eu de réponse probante de la part de nos tutelles. Le dialogue est rompu, donc le seul moyen de nous faire entendre, c'est le recours à la grève», dit d'emblée Mohamed, 28 ans, résident en 2e année de chirurgie. «Plusieurs CHU du pays vont se mobiliser en même temps que nous, à Tlemcen, Sidi Bel Abbès, Oran, Annaba, Constantine», poursuit-il avant de préciser : «Nous allons bien sûr assurer un service minimum.» Les revendications formulées par les résidents grévistes portent essentiellement sur deux volets : l'un est d'ordre pédagogique tandis que l'autre a trait à leur statut et à leur plan de carrière, notamment le service civil. «Au plan pédagogique, les examens intercalaires nous posent un sérieux problème», souligne Mohamed. «Nous ne sommes pas contre les examens. Mais nous sommes pour des examens ‘'classant'' et non pas ‘'sanctionnant''», argue-t-il. Les médecins résidents proposent, à ce sujet, d'autres formules d'évaluation : «Pourquoi ne serait-on pas en mesure de soutenir un mémoire par exemple, de présenter un travail de recherche, plutôt que de s'appuyer sur les examens comme seule voie de sanction ?», suggère un résident. «Qui plus est, il n'y a ni corrigé type, ni barème, ni droit de revoir nos copies», déplore Amir, un autre résident en chirurgie. Mais c'est surtout l'absence d'un statut valorisant qui angoisse le plus nos résidents, ballottés qu'ils sont entre le statut d'étudiants et celui de fonctionnaires de la santé, avec une rémunération dérisoire. «Si seulement nous avions le statut de fonctionnaires. Nous sommes payés pour 11 matinées, alors qu'en réalité, nous trimons toute la journée. 80% des actes médicaux passent par nous. Nous sommes les vrais interlocuteurs des malades», insistent-ils. «Si vous voyez nos fiches de paie, nous payons l'IRG, nous payons nos cotisations sociales, mais nous n'avons pas de véritable couverture sociale. Si une résidente accouche, elle n'a pas droit à ses trois mois de maternité. Nous ne pouvons pas souscrire à un crédit immobilier», énumèrent-ils. Et la liste n'est pas exhaustive. En un mot, les grévistes dénoncent le fait de travailler comme des médecins et d'être payés comme des stagiaires. Les résidents déplorent, en outre, l'indigence des primes qui leur sont versées : «On touche encore une prime de garde de 690 DA, avec le tarif de 1989. Notre prime de recherche est de 4200 DA, alors qu'elle est de 12 000 DA pour les étudiants en post-graduation des autres filières. Nous ne percevons pas la prime de contagion, alors que tout le personnel administratif en bénéficie. Un assistant gagne 45 000 DA par mois après 20 ans de service. Pour une seule intervention chirurgicale dans une clinique privée, un chirurgien touche l'équivalent de six mois de salaire d'un médecin spécialiste en milieu hospitalier.» Concernant le service civil, les médecins résidents réclament une formule adaptée. «Personnellement, je suis pour le service civil, mais avec un minimum de moyens», lance Amir. «Encore étudiant à 40 ans !» «Nous, en tant que chirurgiens, avons besoin d'un vrai bloc opératoire. Je suis prêt à aller servir dans le Sud. C'est même un honneur que de me mettre au service des malades là-bas. Mais avec quels moyens humains et matériels ? Il faut un personnel paramédical qualifié, une table d'opération convenablement équipée, sinon, c'est le chômage technique.» Et de faire remarquer : «Quand un ingénieur part travailler dans une base dans le Sud, il a un salaire conséquent, des conditions d'hébergement impeccables, et il ne travaille qu'un mois sur deux. Tandis que nous, nous sommes chichement rémunérés par rapport à nos compétences, nous sommes tenus de prendre un logement à nos frais et les conditions de travail sont souvent épouvantables.» Le fait est que les médecins spécialistes sont tenus, d'après la loi, d'exercer un certain nombre d'années au titre du service civil, d'une façon obligatoire, dans des zones défavorisées. «Le comble est que cela ne nous exempt même pas du service militaire», martèle un résident, avant de hasarder une petite comptabilité qui en dit long sur le temps perdu pour notre élite médicale: «Il nous faut un bac + 7 pour être généraliste, ensuite il faut un an pour préparer l'examen de résidanat, puis 5 ans de spécialité voire plus. A cela, il faut ajouter 3 ou 4 ans de service civil, 18 mois de service militaire et combien d'années de chômage encore. Au final, le résident se retrouve à 40 ans avec trois sous en poche et une carrière au point mort.» A Amir de conclure : «Ce que nous demandons, en définitive, c'est de reconsidérer notre métier et de revaloriser notre statut au sein de la société. C'est une question de valeurs. Ce n'est pas une affaire d'argent. Nous exigeons simplement un minimum de respect.»