Abandonné de tous, livré à l'excès d'humeur ou de geste des uns et des autres, méprisé, déconsidéré, violenté, acculé à la médiocrité, écartelé entre son désir de se former dans les meilleures dispositions pour apporter des soins d'excellence à ses patients et la réalité d'une condition sociale, économique et pédagogique outrageante, le médecin résident, conscient des sacrifices consentis durant tant d'années d'études et de pratiques, a atteint le point de non retour. Camra : Un collectif, une légitimité Afin d'améliorer leurs conditions d'étude, de travail et la prise en charge des patients, les médecins résidents ont entamé une action de protestation pour présenter et faire aboutir leurs revendications pédagogiques et socioprofessionnelles. Ils se sont organisés au sein du Collectif autonome des médecins résidents algériens (Camra) qui incarne scrupuleusement le suffrage exprimé par ces derniers à l'échelle nationale. Des délégués, représentant les différents services et hôpitaux, ont été élus et ont reçu pour mission de porter de manière collégiale la voix de leurs confrères en veillant à ce que toutes les propositions et décisions soient d'abord débattues entre tous les résidents, puis sanctionnées par un vote afin d'aboutir au consensus. Le droit syndical et celui de faire grève - bien que consacrés par la Constitution - ne figurant pas dans le statut du résident, le collectif fut dénoncé dans un premier temps comme n'ayant pas de caractère officiel. Il s'est donc imposé sur le terrain par la légitimité que lui confèrent les milliers de signatures apposées sur la plateforme de revendications qu'il défend. Comment dès lors ne pas être indignés lorsque les délégués de ce même collectif sont tantôt reconnus comme des interlocuteurs et invités à la table des négociations, et tantôt se retrouvent diffamés, voire, pour certains d'entre eux, assignés en justice lorsqu'ils refusent d'être les instruments d'une rhétorique politicienne dont l'unique dessein est de jouer le temps et l'essoufflement du mouvement. Au-delà des revendications légitimes concernant le service civil, la pédagogie et le statut, c'est d'abord et avant tout une question de dignité confisquée depuis trop longtemps que le médecin résident entend recouvrer à la faveur de cette mobilisation exceptionnelle à travers l'Algérie. Abandonné de tous, livré à l'excès d'humeur ou de geste des uns et des autres, méprisé, déconsidéré, violenté, acculé à la médiocrité, écartelé entre son désir de se former dans les meilleures dispositions pour apporter des soins d'excellence à ses patients et la réalité d'une condition sociale, économique et pédagogique outrageante, le médecin résident, conscient des sacrifices consentis durant tant d'années d'études et de pratiques, a atteint le point de non retour. Il n'acceptera plus de servir de souffre-douleur à une politique de santé défaillante qui ne parvient pas, en dépit des sommes colossales engagées, à assurer une couverture sanitaire efficiente sur tout le territoire national. Statut du médecin résident : Entre devoirs et obligations, qu'en est-il des droits ? Le médecin résident, véritable charnière du système de santé, se retrouve toujours en première ligne, faisant face, souvent seul, à des situations de tension où à la complexité de l'activité médicale viennent se greffer toutes les problématiques socioéconomiques, politiques et culturelles que vit le patient pour servir de véritable déversoir à frustrations. Quel résident ne subit pas durant son activité journalière, et plus particulièrement celle de garde, insultes, menaces, intimidations et autres mouvements d'humeur lorsque, par défaut de places, de recours avisés ou de moyens matériels, il se voit contraint d'affronter le courroux légitime de patients excédés qui ne trouvent d'autres vis-à-vis que ce «poste avancé» du système de santé, travaillant plus de 40 heures par semaine et rétribué moins de 700 DA pour 24 heures de garde. Et qu'en est-il des risques d'exposition, de contamination et de contagion pour lesquels il ne reçoit aucune prime, lui qui est en contact direct avec les malades, lorsque des agents administratifs cantonnés à des tâches exclusivement de bureau la perçoivent ? Quid de la documentation scientifique ? Inexistante - en raison de son coût - et pourtant si nécessaire à la formation continue et à l'actualisation des connaissances et pour laquelle une prime de recherche est «octroyée», dont le montant ridicule en fait la plus faible de toutes celles accordées aux autres filières universitaires. Le présent statut fut établi sans concertation en 1996. On peut y lire que le médecin résident est reconnu comme un «praticien en formation post-graduée» - c'est-à-dire déjà titulaire d'un diplôme de doctorat sanctionnant 7 années d'études -, ayant réussi le concours d'accès à une spécialisation médicale ou chirurgicale pour laquelle il est affecté dans un établissement hospitalo-universitaire où il participe à toutes les activités de service, de garde et d'urgence. Il est donc à la fois praticien assurant une activité de soins, de diagnostic et de prévention en réalisant gestes et prescriptions dont il est responsable devant la loi, mais également étudiant en formation spécialisée astreint à des cours et conférences ainsi qu'à des examens aussi bien classant que sanctionnant, dont il serait judicieux, par ailleurs, de revoir les modalités pour une évaluation des acquis et compétences plus objectifs et plus justes. Le statut du médecin résident souffre d'insuffisances criantes éludant toute définition précise de la condition de ce dernier, qui de fait, n'appartient pas au corps de la Fonction publique, mais perçoit des émoluments en tant que praticien en position de formation spécialisée. Médecin mais pas encore tout à fait spécialiste, étudiant réalisant des gestes de soins experts et amené à encadrer d'autres étudiants du cycle clinique ou en post graduation, le médecin résident se retrouve ainsi à cheval entre deux ministères dans un flou réglementaire qui lui vaut tous les excès. Les articles de son statut ont soigneusement omis le volet relatif à ses «droits» pour faire la part belle uniquement aux «obligations» et aux dispositions «disciplinaires», le privant par exemple du droit à une représentativité syndicale et celui de faire grève. Chose plus incongrue encore, ils ne prévoient pas de congé de maternité sans préjudice de leur position d'activité aux femmes résidentes qui souhaitent avoir un enfant et les exposent à des sanctions aussi bien administratives que pédagogiques. Cette tribune ne suffirait pas à énumérer toutes les autres carences dont souffre le résident et dont l'une des plus symboliques peut-être - car préjudiciable pour la santé du patient - est l'absence d'un repos de sécurité après une garde de nuit, décuplant le risque qu'une erreur médicale soit commise. Service civil : Fausse solution pour un vrai problème Tous les corps de métiers étaient assujettis au service civil entre 1984 et 1989 afin de répondre à une exigence de développement global des régions enclavées. Il fut ensuite abrogé puis réinstauré exclusivement pour les médecins spécialistes en 1999 et prévoit l'affectation de ces derniers fraîchement diplômés dans les régions reculées du pays pour une durée, variant selon les zones, d'une à quatre années. Après une pleine décennie d'existence, nous pouvons juger objectivement de la capacité de ce système obligatoire à répondre efficacement aux besoins sanitaires de ces régions, en affirmant que le bilan est plus que décevant aussi bien sur le plan de la prise en charge des malades que celle de la condition du praticien qui ne songe qu'à «faire son temps». La responsabilité d'assurer l'équité et la continuité des soins à tous les citoyens est un droit et une exigence constitutionnels que les pouvoirs publics doivent matérialiser par les différents moyens et voies d'une politique de santé performante dont le médecin spécialiste ne saurait être la victime consentante. Elle doit s'appuyer sur une réflexion d'ensemble et s'accompagner de réformes socioéconomiques et structurelles de ces régions désavantagées qui souffrent de tout et non pas seulement de la difficulté à accéder aux soins. De toutes les professions, au nom de quel sacrifice exclusif, seuls les médecins spécialistes auraient à abandonner famille, conjoint et enfants, pour prendre en charge la défaillance d'une politique de développement qui échoue depuis des années à désenclaver des régions entières du pays et voit ses habitants obligés, en dépit du service civil, à recourir au Nord et à ses centres hospitaliers pour se faire soigner ? Les praticiens spécialistes sont-ils condamnés à accepter sans mot dire que l'on se serve d'eux comme boucs émissaires face à des dispositions qui se fourvoient dans des aberrations budgétaires en ayant recours à des praticiens étrangers rémunérés entre 2000 et 3000 euros mensuels pour des prestations plus que discutables, alors que le salaire du médecin spécialiste algérien est le plus bas du Maghreb ! Par quelle logique simpliste oppose-t-on l'astreinte et la sujétion à une problématique des besoins sanitaires aux enjeux économiques et sociaux plus globaux, auxquels devraient être apportées des réponses autrement plus pragmatiques et responsables qu'un replâtrage approximatif réalisé à coups de «loi-sanction» exilant pour un temps un spécialiste souvent démuni, mal rémunéré, mal logé, sans plateau technique idoine et ne pouvant garantir une prise en charge multi disciplinaire de ses patients ? N'a-t-on pas vu des cardiologues sans appareil d'échographie, des neurochirurgiens sans bloc, des réanimateurs reconvertis dans la médecine générale, des orthopédistes mus en plâtriers, des radiologues sans scanner et tant d'autres incongruités instituant une réalité du «perdant-perdant» où à la gabegie financière s'ajoute le calvaire des malades et la désespérance des médecins spécialistes. C'est pour corriger cet état de fait et encourager l'installation volontaire et pérenne de médecins spécialistes, en améliorant la qualité des soins, que le collectif a proposé une véritable politique de santé qui passe indiscutablement par l'abrogation du service civil dans sa forme actuelle et son remplacement par l'ouverture de postes budgétaires accompagnés de mesures incitatives (plateau technique adéquat, majoration substantielle des salaires en fonction des zones de travail, logements de fonction, facilités de transport, possibilité de démissionner à la fin d'une période de contractualisation) ainsi que la mise en place de pôles sanitaires situés dans les chefs-lieux de wilayas pour optimiser l'efficacité d'une prise en charge pluridisciplinaire et la rendre permanente. Car contrairement à ce qu'affirme la tutelle pour se décharger de sa responsabilité et ternir l'image des praticiens spécialistes auprès de la population, ces derniers, conscients de la réalité des déserts de santé, sont tout à fait disposés à aller y travailler à condition que leur soient fournis les moyens d'un exercice libre et digne. A ces propositions qui font prévaloir la qualité, l'efficacité et la rationalité, la tutelle rétorque par l'immobilisme et l'absence d'imagination. Pourtant, en visite de travail dans la wilaya de Boumerdès, le 2 avril, le ministre de la Santé a indiqué qu'il y avait 3000 postes vacants pour médecins spécialistes sur le territoire national. Peut-être que le premier responsable du secteur ainsi que les centres décisionnels du pays gagneraient à répondre par des mesures concrètes et ne plus s'interroger sur le pourquoi d'une telle indisponibilité de praticiens, déconsidérés, officiellement méprisés, économiquement et socialement fragilisés, forcés souvent à l'exil car relégués à la lie de la société alors qu'ils sont censés en être l'élite. Commissions et desinformation Invités à la table des négociations par la tutelle, les délégués du collectif s'en sont retirés pour être aussitôt présentés comme les initiateurs du refus du dialogue, alors que les commissions installées, chargées du traitement des questions du «service civil», de la «pédagogie» et du «statut» ont vite démontré leur inanité, puisque, de l'aveu même du ministre, ces problématiques dépassent le cadre de ses prérogatives notamment en ce qui concerne le service civil. La commission en charge de la pédagogie a reconnu la légitimité des revendications exprimées dans ce domaine mais renvoie les débats et propositions à la conférence des doyens des facultés de médecine des 17 et 18 avril. Quant à l'élaboration du nouveau statut du résident, la tutelle fait montre de procrastination en avançant qu'il doit être discuté en commission mixte entre les ministères de la Fonction publique, de la Santé, du Travail et des Finances afin d'aborder l'éventail de dispositions qui doivent y figurer. Atermoiements qui seraient somme toutes acceptables si la pierre d'achoppement principale que constitue le service civil n'avait pas été aussi catégoriquement mise à l'index, bien que fut proposée par les délégués une série de mesures pour son remplacement. Mesures d'ailleurs bientôt reprises par le ministère pour les besoins exclusifs de sa communication comme étant le fruit de sa réflexion propre et du souci qu'il porte à l'amélioration de la condition du médecin spécialiste, mais sans que cette déclaration de bonnes intentions ne vienne prendre corps dans la réalité d'un volontarisme politique jusqu'ici défaillant. Et la tutelle de verser dans l'excès et la désinformation, comme ce fut le cas lors de l'émission Tahaoulet de la Radio nationale chaîne I, où le ministre a livré les médecins résidents à la vindicte populaire en les opposant à ceux qui sont leur raison d'être, et à qui ils apportent des soins au quotidien, y compris pendant ce mouvement de grève où les résidents ont assuré et continuent à respecter les activités de garde et d'urgence. Les services du ministre n'ont eu de cesse de rappeler au tout-venant que les médecins résidents ne sont que des étudiants et que les hôpitaux pouvaient quasiment se passer de leur présence. N'est-ce pas l'esprit et la lettre de cette note établie le 17 mars 2011 à l'attention des responsables du secteur, venant préciser que «les résidents sont en position de formation au niveau des structures de santé» et que «la grève décidée par ces derniers ne doit, en aucun cas, avoir de répercussion sur les activités des services, étant entendu que leur fonctionnement est à la charge de l'encadrement hospitalo-universitaire», c'est-à-dire des maîtres-assistants, docents et professeurs. Comment alors des étudiants en formation, que l'on voudrait reléguer à la condition d'auxiliaires accessoires et dont le statut aussi ambivalent que sommaire confine à l'impuissance, pourraient prendre en otage des malades ? N'est-ce pas là une reconnaissance explicite de l'importance du médecin résident et de son rôle primordial dans le fonctionnement des structures de santé en tant que cheville ouvrière assurant la continuité de la prise en charge médicale sept jours sur sept et vingt-quatre heures sur vingt-quatre dans des conditions souvent pénibles ? Faire croire que les hôpitaux peuvent se passer des médecins résidents est au mieux une méconnaissance de la réalité du fonctionnement de ses structures et au pire, une manœuvre indélicate destinée à tromper l'opinion publique sur la légitimité de leurs revendications et l'injustice institutionnelle qu'ils vivent depuis des années. Plus que jamais, les médecins résidents sont déterminés à aller jusqu'au bout de leur action en dépit des manœuvres et des intimidations. Ils l'ont déjà démontré en organisant plusieurs sit-in au niveau des hôpitaux d'Algérie, mais également à une encablure des portes de la Présidence, qui leur demeurent hélas fermées, et devant lesquelles ils ont passé la nuit de lundi à mardi derniers. Le ministre de la Santé, dans son intervention sur Canal Algérie, le 12 avril, a indiqué que la plateforme de revendications du Camra est prise en charge par son secteur et que la satisfaction de tous les points soulevés interviendrait au plus tard en juillet. Il demeure le point relatif au service civil pour lequel l'engagement du ministre de soumettre rapidement le dossier aux institutions concernées ; gouvernement et Parlement, devrait être précisé en termes de contenu et d'échéances. Jusque-là, les résidents demeureront attentifs, ouverts au dialogue, mobilisés, solidaires… et en grève.