« Vous pouvez tout prendre si vous voulez. » C'est la phrase choc. Le banquier ne comprend pas. « Mais pour ce crédit nous allons vous prélever environ 8000 dinars par mois. Avec votre salaire de 12 000 DA, il ne vous restera que 4000 dinars pour vivre », soutient le banquier, compatissant ; et au futur débiteur de réitérer : « Vous pouvez tout prendre. Même les 12 000 dinars. » L'histoire est véridique, peut-être quelque peu enjolivée comme le veut la culture méditerranéenne mais elle est certifiée conforme par un cadre de la BDL. Des anecdotes de ce genre sont multiples quand il s'agit de crédit à la consommation. " Les gens sont prêts à tout et n'importe quoi pour obtenir un crédit ", commente le cadre de la BDL. Tout, au point de crouler sous les dettes. N'importe quoi puisqu'au fond le crédit ne dépasse pas les 150 000 dinars. " Ce crédit doit permettre au ménage et au jeune ménage en particulier de démarrer dans la vie. C'est pour s'équiper en ameublement, acquérir des biens électroménager ". Rien de sensationnel, en somme. Plutôt que d'attendre le temps nécessaire pour réunir la somme désirée, un crédit est contracté dans une banque. C'est plus rapide. L'occasion est nouvelle pour le consommateur algérien. Dans un passé pas si lointain, un jeune couple qui se mettait en ménage attendait de nombreux mois voire quelques années pour s'équiper. Aujourd'hui les banques affluent avec des propositions alléchantes. Comment ne pas craquer ? Par exemple, la BDL peut accorder un crédit d'un montant de 250 000 dinars. En moyenne, elle offre l'équivalent de 150 000 dinars pour un salaire régulier de 12 000 dinars. Les prélèvements mensuels sont de l'ordre de 2500 dinars à 4500 dinars. Mais dans cette formule proposée par la BDL, l'argent n'est pas accordé directement au ménage. En fait, il est versé au fournisseur en meubles ou électroménager et le couple récupère la marchandise. " Le crédit à la consommation a un très grand succès. Nous avons une affluence énorme de personnes désirant en bénéficier ", explique un cadre de la BDL. Sauf que la formule ne risque pas de faire de vieux os. Les banquiers ont déjà envie de la stopper au vu du nombre de crédits impayés. " L'Algérien est malhonnête ", s'exclame le cadre. Il contracte un crédit par l'usage d'un faux document. La banque téléphone... Sur la totalité des crédits à la consommation accordés, la moitié n'est pas remboursée par les débiteurs. Pire, la moitié des débiteurs insolvables ont tout fait pour ne pas rembourser. " Lors de l'ouverture du dossier, nous exigeons l'engagement de l'employeur de verser le salaire de notre débiteur dans notre banque dans un compte créé à cet effet. Cela nous permet de ponctionner chaque mois directement la somme due par le salarié. Sur la moitié des engagements des employeurs dont nous disposons, presque la totalité sont des faux ", continue le cadre. En fait, quand la banque s'apprête à ponctionner le salaire, elle s'aperçoit que le compte est vide. Et lorsque la banque téléphone à l'employeur pour en connaître les motifs, il jure qu'il ne s'est jamais engagé. " Vous connaissez les entreprises algériennes, tous les salariés ont accès aux cachets de l'administration. Il suffit d'un tampon, d'une signature et le tour est joué. La moitié de nos dossiers sont en justice... ", révèle le cadre de la BDL. La banque publique dispose de 11 agences réparties dans la capitale. Chaque agence gère environ 600 dossiers de crédit à la consommation. La moitié est impayée. Deux leçons sont tirées par le banquier. " Avant de lancer notre service, il fallait entreprendre une étude sérieuse sur la situation financière du consommateur algérien. Ensuite, il fallait se prémunir contre ce genre de phénomène. C'est-à-dire, qu'il fallait créer une centrale des risques qui répertorie tous les mauvais payeurs ", explique le cadre. Ainsi, dès qu'un client se présente pour contracter un crédit, la banque n'aurait plus qu'à contacter la centrale des risques pour s'informer de la solvabilité ou non du client. " La centrale existe pour les organismes privés et n'a pas été étendue aux institutions financières ", reprend le cadre. Ainsi, aujourd'hui il est loisible pour le consommateur algérien d'acheter à crédit ses équipements ménagers à la BDL, de s'offrir un véhicule à crédit auprès de la CNEP, de s'endetter pour 30 ans auprès de la CPA pour l'achat d'un appartement. Comme tous ces achats à crédit sont difficiles à gérer mentalement, certaines banques proposent même un achat à crédit d'un microportable. ... À l'employeur Surendettement des ménages ? Certaines banques demandent à leur client lors de l'ouverture d'un dossier de crédit, si ce dernier n'a pas d'autres crédits auprès d'autres établissements financiers. Ne reste que la bonne foi du client. Sa réponse ne constitue qu'un engagement sur l'honneur. Rien d'attaquable devant la justice. De toute façon il existe d'autres parades pour les clients scrupuleux. L'époux contracte le crédit pour l'appartement à son nom et sa femme est tout de même partie au crédit puisqu'elle est soit codébiteur soit caution. En réalité, ils sont tout deux redevables des créances de la banque. Cependant le crédit sera stipulé au nom d'un seul des membres du couple. L'épouse, elle, contractera auprès de sa banque pour l'achat à crédit d'un véhicule. La seule sécurité que s'offre les banques pour le recouvrement de leur créance consiste dans la saisie du véhicule pour l'achat à crédit d'une voiture. Pour ce qui est du remboursement des traites afférent à l'achat de l'appartement, en cas d'insolvabilité de l'époux et de la caution ou du codébiteur, la banque fait jouer l'hypothèque en se réappropriant le bien immeuble. Toutes ces sûretés, qu'elle soit personnelle comme la caution ou réelle, comme l'hypothèque sur l'appartement, ne sont que les rouages d'une longue procédure civile qui vise à récupérer le montant du crédit accordé. Par décision de justice et grâce à l'intervention d'un huissier, un ménage, hier, propriétaire d'un appartement, d'une voiture, de biens d'équipement et voire d'un micro portable peut du jour au lendemain se retrouver sur la paille. Aucune disposition législative telle qu'il est prévu en France ou même en Tunisie, ne protège le consommateur surendetté. A titre d'exemple, la loi de 1989 en France permet au ménage qui croule sous des dettes de voir ses dettes échelonnées dans le temps pour lui permettre de rembourser les organismes prêteurs mais sur une durée plus longue que celle prévue initialement. Parfois, le juge civil peut même décider d'effacer une partie de la dette. Le problème ne s'est pas encore posé en Algérie parce que ces formules sont encore toutes nouvelles. Cependant la précarité de l'emploi et l'instabilité économique du pays pourrait provoquer des situations sociales désastreuses. De même, l'éclatement familial et la cherté de la vie ne permettent pas de penser qu'un ménage surendetté pourra trouver refuge auprès d'un proche. Ces mêmes proches étant peut-être également surendettés...