Que valent des promesses de réformes politiques qui ne fixent pas clairement le cap du système politique que l'on voudrait mettre en place ? Il est difficile, au regard de la dernière intervention de Bouteflika, de cerner avec précision quelles sont véritablement ses intentions politiques tant le projet de réformes qu'il a esquissé à cette occasion demeurait vague et de portée générale. Le président de la République a égrené la liste des chantiers qui seront ouverts dans les mois à venir et qui portent, entre autres, sur la révision constitutionnelle, les lois sur l'information et sur les partis politiques. Hormis la loi sur l'information dont il a révélé le contenu des changements qu'il entend impulser et qui portent essentiellement sur la dépénalisation du délit de presse, l'opinion nationale ignore tout de ce qui va changer dans la Constitution et dans les lois sus-citées. Certes, on ne s'attendait pas à ce que le chef de l'Etat livre les détails des nouvelles dispositions promises, mais au moins qu'il en énonce des pistes, des axes précis autour desquels vont s'articuler les débats et les chantiers politiques annoncés. Il n'y a pas meilleure manière de biaiser ou de diluer un débat que de l'enfermer dans des présupposés théoriques qui relèvent beaucoup plus de l'ordre de la pensée politique que d'une volonté réelle de changement. En l'état actuel des choses, le citoyen, qui est censé être le bénéficiaire de ces réformes, ne sait rien des ingrédients de la cuisine politique qu'on prépare dans les chambres et l'antichambre du pouvoir puisqu'il est déjà clairement annoncé que c'est le Parlement qui sera chargé de piloter ces dossiers au plan de l'élaboration de l'arsenal juridique. Pourquoi tant de mystères ? La culture du secret a de tout temps constitué le point nodal de l'exercice du pouvoir en Algérie. Cette volonté de garder les cartes en main et de n'en abattre que les plus insignifiantes pour dérouter son monde permet d'avoir la haute main sur le jeu. Pour éviter tout «parasitage» par rapport à la feuille de route que Bouteflika s'est tracée. En tant que loi fondamentale, c'est sur le dossier de la révision constitutionnelle, qui surdétermine tout le reste des lois et du fonctionnement des institutions, que les citoyens attendaient le président Bouteflika pour ce premier discours politique depuis le début des révolutions dans le monde arabe. Les Algériens attendaient légitimement des engagements concrets sur certains choix doctrinaux et constitutionnels qui fondent le système politique algérien et qui font débat aujourd'hui dans la société avec les mutations politiques qui s'opèrent dans le monde et dans notre région. Le projet de réforme politique annoncé est présenté dans un emballage sous scellés qui ne laisse rien deviner des contours des changements envisagés. Il se limite à réaffirmer des principes génériques, telles la volonté exprimée de renforcer l'Etat de droit et la séparation des pouvoirs. On ne sait pas si Bouteflika est pour ou contre le maintien de la disposition sur le mandat présidentiel illimité, sur la nature du régime, sur la création d'un poste de vice-Président et tous ces dossiers jamais ouverts qui font débat dans la société. En agissant de la sorte, Bouteflika cherche-t-il à donner des gages qu'il n'impose rien dans le débat qui va s'ouvrir ? Ou serait-ce une énième manœuvre politique ? Après le coup de force constitutionnel qui lui a permis de se ménager un troisième mandat, il est pour le moins politiquement incorrect et inélégant pour Bouteflika de se déjuger en si peu de temps en militant pour le principe de la limitation des mandats. Il sait pertinemment, aujourd'hui, qu'il n'a ni la force physique ni le même contexte qui lui a permis de faire passer à l'extérieur la pilule difficile à avaler du troisième mandat avec la chute en série des dictateurs arabes. Pour ne pas se déjuger, il a tenu à ce que l'initiative vienne par le truchement d'autres canaux, présentée comme des réformes qui sont l'émanation de la société. Bouteflika espère sortir blanchi et grandi de cette mauvaise passe de l'histoire de la trituration de la Constitution qui lui colle à la peau.