Le président tente de vendre sa candidature aux Américains Ce que Bouteflika promet à Bush Le chef de l'Etat, présent à New York pour l'assemblée annuelle des Nations unies, en a profité pour tenter d'obtenir le feu vert des partenaires de l'Algérie pour un second mandat. Quitte à faire quelques concessions économiques… Les chemins qui mènent à El-Mouradia passent aussi par… Washington ! Et Bouteflika, comme nul autre avant lui, n'est pas sans l'ignorer. Dans un ultime espoir, à quelques mois de la prochaine échéance électorale, le président de la République tente de vendre aux Américains sa candidature pour un second mandat. Et pour les besoins de la “bonne cause” — convaincre les réticences américaines —, rien de mieux que de se présenter dans les habits d'un homme décidé à offrir “toutes les garanties” aux investisseurs américains sans omettre, bien entendu, de chanter les louanges de l'homme fort de la Maison-Blanche. Tel est en tout cas l'exercice auquel semble avoir sacrifié Bouteflika devant un parterre d'hommes d'affaires américains. Dans une allocution prononcée lors d'une réception organisée lundi à New York par le conseil des affaires Etats-Unis-Algérie et devant des représentants de l'économie américaine, Abdelaziz Bouteflika a “promis” qu'il mettra tout en œuvre pour créer un climat de nature à attirer les investisseurs américains. “Promouvoir les relations entre nos deux Etats, que le président Bush qualifiait en novembre 2001 de “bons alliés”, est notre tâche et celle de l'Administration américaine. Mais, pour que l'édifice de l'entente algéro-américaine soit durable, il devra reposer sur les fondations économiques mutuellement profitables et durables dont vous serez les bâtisseurs. Nous nous engageons à vous offrir un climat favorable à vos activités en Algérie”, a plaidé Bouteflika. Pour rassurer ses interlocuteurs, le chef de l'Etat égrène comme un chapelet les performances de l'économie algérienne ces deux dernières années. Outre le taux de croissance qui se situe autour de 5%, l'inflation jugulée à moins de 2,5%, le service de la dette qui ne représente plus que 18% des exportations, Bouteflika invoque le montant des avoirs de l'Algérie en devises qui représentait, en juillet, 26 mois d'importation. “Ceci constitue le taux de couverture des importations le plus élevé dans le monde arabe et offre donc des garanties inégalées à nos partenaires économiques, américains notamment. Ces avoirs sont appelés à se consolider encore, puisque nos rentrées en devises pour le seul premier trimestre 2003 représentent 12 milliards de dollars couvrant ainsi la valeur de plus d'une année de nos importations”, a-t-il affirmé. Mais, il y a aussi les privatisations menées, selon Bouteflika, de façon “pragmatique” plutôt qu'“idéologique”, dont notamment l'ouverture à l'investissement privé de certains secteurs jugés stratégiques comme l'électricité et les mines. Mais, c'est sans doute dans le domaine des hydrocarbures, dont les velléités de privatisation ont suscité une levée de boucliers de la part des acteurs sociaux comme l'UGTA ou encore de partis politiques, que le Président a tenté de séduire les Américains. “Dans le domaine des hydrocarbures, on escompte que 50% de la production de brut seront assurés par des partenariats avec des firmes privées étrangères en 2005”, a-t-il affirmé. Et d'ajouter plus loin : “Nous avons l'ambition d'accroître encore les volumes des échanges bilatéraux, celui des hydrocarbures, un des domaines où notre complémentarité est évidente. Nous avons l'ambition de contribuer à la sécurité énergétique des Etats-Unis et de constituer à ce titre un maillon essentiel de la politique énergétique des Etats-Unis en direction de l'Afrique.” Sur le même chapitre, Bouteflika a estimé que l'Algérie peut être un chef de file dans la couverture des besoins américains en GNL. Au tableau reluisant présenté sur la santé économique de l'Algérie et les opportunités d'investissements qu'elle présente, Bouteflika a relevé les bons rapports politiques avec l'Administration Bush. “Si le potentiel d'intensification des relations économiques entre l'Algérie et les Etats-Unis est devenu aussi important que prometteur, c'est en premier lieu grâce aux convergences politiques qui existent entre nos pays dans de nombreux domaines.” Les relations avec l'Otan, le Nepad, la lutte contre le terrorisme, la construction de l'UMA sont autant de “points de convergence” entre les deux hommes. “Ainsi que je l'ai affirmé au président Bush, qu'il s'agisse de l'Algérie ou de l'ensemble du continent africain, ma volonté inébranlable de lutter contre le terrorisme n'a d'égale que celle de promouvoir la démocratie et l'Etat de droit”, a-t-il affirmé par ailleurs. Reste maintenant à savoir si ces professions de foi, outre le discours panégyrique à l'endroit de Bush, trouveront un écho chez les Américains. KARIM KEBIR Bouteflika et ses réformes “Faites vite, le temps presse !” Tel semble être à présent le mot d'ordre du président de la République à l'adresse de ses ministres, à six mois de la présidentielle. Chronique d'un mandat à blanc. Effectivement, le temps le presse, si ce n'est déjà trop tard. Son mandat finissant, Abdelaziz Bouteflika se rappelle subitement qu'il doit rendre, sous peu, compte des chantiers titanesques qu'il avait promis de réaliser au lendemain de son élection. Le défi était immense. Le soutien de la société civile et des partis politiques était total. Ou presque. Quatre ans plus tard, les réformes promises sont restées au stade de projets. C'est la grande désillusion. À tous les niveaux de la société. La justice, l'école, le code de la famille, celui de l'information et le tissu économique sont autant de secteurs qui attendent désespérément les réformes échafaudées et censées être mises en place par une foultitude de commissions. Force est de constater que la gestion des affaires de l'Etat par “la commission” a été fatale pour le développement du pays. Ce système bien singulier de gouvernance, propre à Bouteflika, a produit une seule “richesse” : l'échec. Les kilomètres de discours du Président du “consensus” n'ont pas connu de suite. L'Algérie est encore en jachère. En chantier. Mais, l'heure des bilans a sonné. Bouteflika n'a strictement rien, ou peu de performances à accrocher sur son tableau de chasse. En l'espèce, son premier mandat est famélique en réalisations, parce que jalonné d'hésitations, de tergiversations et autre jeu d'équilibre politique qui aura paralysé le pays. L'exemple de la réforme du système éducatif illustre assez clairement la stratégie d'un Président qui se soucie moins du développement de son pays que de sa propre aura vis-à-vis de ses partenaires politiques. Aux démocrates qui réclamaient la concrétisation de la réforme de l'école, Bouteflika agitait souvent l'épouvantail des conservateurs et des baâthistes de tous poils. Et vice versa. L'école moderne devait en pâtir, quatre années durant. Même constat pour le secteur de la justice et la réforme des institutions de l'Etat. Le Président est resté égal à lui-même, c'est-à-dire velléitaire. Aujourd'hui, comme par enchantement, Bouteflika donne un coup de pied dans la fourmilière. Distribution d'argent public par-ci, lancement de projets par-là… C'est la course contre la montre. Depuis que Benflis lui a faussé compagnie, le Président découvre la réalité du terrain. Son mandat est presque un mandat à blanc. En fin de parcours, il délie maladroitement les cordons de la bourse et engage les réformes restées en suspens. Et c'est curieux, les adversaires les plus farouches desdites réformes se sont tus ! Où sont donc Benmohamed et ses amis partisans de l'école “authentique” pour contester l'introduction du français non pas en 3e mais en 2e année primaire ? Tout se passe comme s'il existait un deal entre Bouteflika et ses anciens adversaires. Pour la réforme de la justice, le Président tente aussi de tirer profit du rapport Issad. D'ailleurs, aujourd'hui même, la chancellerie organise un séminaire international sur la modernisation de la justice. Comme quoi les choses bougent. Mais, dans quel sens ? Mystère. Prisonnier de sa logique de gouvernance dans laquelle seule prime sa personne, Bouteflika mesure maintenant tout le temps qu'il a perdu et qu'il a fait perdre au pays. Les dégâts sont à la mesure de l'immense espoir placé en lui au soir d'avril 1999. Les mesures qu'il a prises, notamment celle de la réforme de l'école, ressemblent plus à de l'activisme électoraliste qu'à une démarche cohérente de développement. Comment ne pas déceler du populisme dans la stratégie du Président quand il décide, par exemple, d'introduire, dès cette année, l'enseignement de tamazight dans toutes les écoles du pays, alors que même en Kabylie l'expérience — mal préparée — s'est avérée calamiteuse ? Et pour rester dans cette région, Bouteflika se réveille en sursaut pour régler la crise qu'il a ignorée deux années durant, voire attisée par ses déclarations intempestives, et redécouvre les vertus du dialogue ! Fût-elle sincère, son invitation aux archs ne saurait être comprise que comme une volonté de faire la paix avec les citoyens d'une région qui risque de peser lourd lors du décompte final d'avril 2004. Au plan politique, après avoir ignoré la douleur des familles des disparus, le Président crée bizarrement un comité ad hoc pour plancher sur le dossier pour se donner bonne conscience. Quel crédit donc accorder à une telle mesure quand on sait que la commission Ksentini n'a rien pu faire ? Le constat vaut également pour la relance économique qui tarde à venir malgré la cagnotte de sept milliards de dollars mise à contribution. À présent, Abdelaziz Bouteflika essaye de rattraper le temps perdu en lançant des réformes à l'emporte-pièce dans une démarche décousue. Mais, peut-il raisonnablement faire en six mois ce qu'il n'a pu réaliser en quatre ans ? C'est sans doute la raison pour laquelle il demandera au peuple une rallonge de cinq autres années au mois d'avril prochain. HASSAN MOALI