A l'heure où les musulmans de France se battent pour être considérés comme des citoyens à part entière, et non plus à part, c'est le parti de la majorité présidentielle qui se débat à travers des initiatives très originales, mais périlleuses pour notre pays. Ainsi, après «l'Islam DE France», on nous annonce la création de «l'Union des Français Musulmans» au sein de l'UMP. Dans cette quête effrénée de mots novateurs, à défaut de trouver des réponses aux maux de notre société, on se demande qui sera le gagnant au grand jeu du «Motus» politicien ? Le parti majoritaire, en pleine tourmente sur la question d'un certain «débat sur la laïcité et le vivre-ensemble», ne s'embarrasse plus de contradictions et d'incohérences, quitte à lancer quelques flèches sur Marianne, aujourd'hui de marbre face à ces agressions répétées de politiciens en manque de projets et d'idées pour la nation et qui mettent en péril une notion qui devrait pourtant leur être chère : «La cohésion nationale». «L'Union des Français Musulmans», nouvel instrument électoraliste et désaveu du CFCM. Cette nouvelle structure «musulmane» (UFM) est une initiative politicienne qui constitue un désaveu cinglant pour un CFCM en perte de vitesse, lequel souffrait déjà d'un déficit de crédibilité et de légitimité depuis sa création par Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'Intérieur. Cette entité entend se substituer de facto au Conseil français du culte musulman (CFCM), dont les différentes composantes (UOIF, RMF…) apprécieront l'appellation et les «missions» clairement affichées. Par-delà ce qui s'apparente à un «lâchage» politique d'un CFCM quasiment à l'agonie, la création de «L'Union des Français Musulmans », en tant que structure politique, résonne comme un coup de semonce pour les fondements républicains de la nation. En agissant ainsi, l'UMP se livre à un véritable viol de la laïcité et donne quitus au politique pour régenter le religieux, et ceci en totale contradiction avec la lettre et l'esprit de la loi de 1905 sur la séparation des Eglises et de l'Etat ! Après le récent limogeage de Abderrahmane Dahmane, conseiller du Président à la Diversité, au lendemain d'un débat sur le débat, le Conseil français du culte musulman (CFCM) avait indiqué son refus de participer à ce dernier, craignant «les dérives et exprimant l'inquiétude et l'exaspération des musulmans se sentant traités comme des boucs émissaires». Le parti majoritaire au pouvoir, qui a fait de la lutte contre le communautarisme un argument électoral (souvenons-nous du discours sur l'échec du multiculturalisme), fait aujourd'hui dans le pur communautarisme, en instaurant un mouvement «musulman» en son sein. En outre, l'ingérence dans les affaires du culte musulman (théoriquement prérogative du CFCM !) marque une dérive et constitue une atteinte au principe même de la laïcité. Hier encore, l'Islam tombait sous la présomption d'incompatibilité républicaine ; aujourd'hui c'est une certaine UMP aux allures droitières opportunistes qui se retrouve en porte-à-faux avec les valeurs dont elle prétend détenir le monopole. Officiellement, au-delà du soutien au président de la République, il s'agit pour cette nouvelle structure de «veiller au respect de (la) religion musulmane dans l'esprit de la laïcité». Les paradoxes et autres contradictions ne manquent pas. Sur les plans lexical et sémantique, le communiqué fait usage d'un concept étrange de «Franco-musulmans» : la nationalité alliée à la confession ! Dirions-nous «Franco-juif», «Franco-catholique», «Franco-protestant»… ? Etonnante aussi cette utilisation d'un concept qu'on croyait révolu depuis la guerre d'Algérie, ou en tout cas cantonné à l'historiographie coloniale. D'aucuns, au-delà de cette maladresse (mais en est-ce véritablement une ?), le lexique usité renvoie aussi vers une notion centrale de la pensée musulmane contemporaine : celle de la «colonisabilité»(1), sans même parler du Code de l'indigénat(2) ou du «fardeau de l'homme blanc»(3). En vertu de l'adage «Parle, je te dirai qui tu es !», nous pouvons en déduire que la citoyenneté de ces «Français-musulmans» est au mieux en «devenir», au pire en gestation. De la citoyenneté en général et du vivre-ensemble en particulier… Notons aussi au passage que les annonces réitérées de la défense de la laïcité et des valeurs républicaines sont aujourd'hui piétinées par ceux-là mêmes qui s'étaient érigés en avocats de la nation ; les alchimistes de la majorité présidentielle ont tout simplement dû perdre leurs pipettes «liberté», «égalité», «fraternité» qui ont dû se substituer par inadvertance à d'autres, étiquetées «identité», «diversité» et «néo-indigénat». Le résultat est un spécimen politique hybride dont la grille de lecture souffre de quelques opacités. Cette nouvelle stratégie, sortie du chapeau électoraliste s'inscrit, à ne pas douter, dans une logique de division supplémentaire pour mieux régner. Pourtant, nos politiques devraient savoir que même Machiavel était adepte de «gouverner c'est prévoir» : en l'occurrence, la droite sarkozyste prévoit mal. Elle risque même de s'enfermer elle-même dans le piège qu'elle aura tendu. En d'autres termes, nous risquons d'assister à la sagesse universelle de «l'arroseur arrosé» ! Je passerais sous silence le caractère outrancier des termes utilisés par cette «union» quand, dans son communiqué, elle souligne une présomption d'incapacité des musulmans à s'intégrer dans la société française : «Aujourd'hui comme hier, la seule problématique réside dans la capacité des Français musulmans à s'intégrer dans la République en respectant les droits, mais aussi les devoirs de tous les Français, ainsi que les valeurs que sont le respect de l'autre, la solidarité, la fraternité et la laïcité.» C'est justement au nom d'une citoyenneté mise à mal par une rhétorique irrévérencieuse que les musulmans de ce pays refusent d'être pris en otages par quiconque. Conscients qu'ils ont des devoirs comme l'ensemble de leurs concitoyens français, ils souhaitent aussi faire valoir leurs droits dans le respect des lois républicaines, sans pour autant qu'on leur délivre des satisfecit de loyauté, de «bonne» citoyenneté et autres propos vexatoires et ostracisants. Alors de grâce, Mesdames et Messieurs les fondateurs de l' «Union des Musulmans de France», ne vous érigez pas en donneurs de leçons et en prêcheurs de la bonne parole citoyenne. Au-delà de l'incantation, ce sont effectivement les valeurs de «respect», de «solidarité» de «fraternité» et de «laïcité» que vous videz de leur contenu. Quelques heures seulement après sa publication (vendredi 18 mars), le communiqué de cette «Union des Français Musulmans» disparaissait mystérieusement du site officiel de l'UMP !(4) Mais le mal était fait, puisque ce dernier avait été envoyé aux principaux médias de l'Hexagone. Décidément, le ridicule ne tue plus ! Mais par-delà le grotesque, gageons seulement que la raison finira par l'emporter avant que cette aventure politicienne sur le «dos de l'Islam» ne sombre en psychodrame national. Encore une fois, c'est le vivre-ensemble qui est sacrifié sur l'autel des considérations électoralistes ; encore une fois, c'est le bien commun et l'intérêt général qui font les frais des stratégies jusqu'auboutistes. Face à ce triste constat, la seule arme, la plus redoutable, celle du scrutin et de l'implication citoyenne, alliée à la vigilance, doit être au rendez-vous. Marianne pleure et il ne suffira pas d'essuyer ses larmes, mais de la rassurer, de la conforter, de lui prendre la main, de faire un long bout de chemin, tous ensemble, musulmans de France et de Navarre, citoyens dans toute leur altérité, épris de justice sociale, de cohésion et de fraternité pour que notre beau pays retrouve le ré-enchantement confisqué par certains.
K. M. : Historien (docteur de l'université de la Sorbonne), secrétaire général international du groupe de Recherches Islamo-Chrétien, Kamel Meziti est très impliqué dans le dialogue interreligieux et l'édification de passerelles civilisationnelles.