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Entre laïcité coloniale et « radicalisation cumulative »
Publié dans Le Quotidien d'Algérie le 16 - 04 - 2011

Avant même la tenue de sa « convention sur la laïcité », l'UMP a rendu public un document contenant 26 propositions « sur la laïcité dans le cadre des débats sur le projet 2012 »[1] relatif à la prochaine présidentielle. Ces 26 propositions ont été reprises par la « convention » qui s'est déroulée le 5 avril 2011 dans un hôtel parisien. Parmi ces 26 propositions, le document de l'UMP affirme que « certaines peuvent être appliquées dès maintenant » alors que « d'autres constituent la contribution de l'UMP dans la préparation du projet 2012 ».
Si les responsables de l'UMP, avec à leur tête Jean-François Copé, ont affirmé que ce débat ne visait pas à stigmatiser une religion en particulier, le document du parti majoritaire insiste sur la « spécificité » de l'islam dans le préambule à ces 26 propositions. Ce préambule affirme que la loi de 1905 « n'intégrait pas l'Islam » au moment où elle a été votée car sa rédaction date du « début du XXème siècle ».
Une laïcité coloniale pour l'islam et les musulmans
Au regard de tels propos, il est difficile d'imaginer plus crasse ignorance de l'histoire de France pour un parti qui se plait, pourtant, à donner des leçons d'« identité nationale » aux musulmans vivant dans l'hexagone. Cela est d'autant plus pathétique que l'inculte UMP affirme vouloir combattre l'ignorance, son « premier adversaire ». Comment l'UMP peut-elle prétendre sérieusement réfléchir à la « laïcité » en France alors qu'elle ne connaît même pas l'histoire de ce pays et l'histoire de la laïcité dans ce pays ?
Premièrement, l'UMP écrit l'Islam avec un « I » majuscule ce qui désigne la civilisation musulmane et non la religion musulmane qui s'écrit avec un « i » minuscule. Cette erreur orthographique n'en est pas forcément une. Cela peut signifier une volonté politique d'interdire, au nom de la laïcité, toute forme de manifestation publique non pas seulement de la religion musulmane mais aussi des expressions culturelles liées à la civilisation islamique. Si l'on considère le contenu des « débats » relatifs à l'« identité nationale » et à la « laïcité », il est tout à fait concevable que l'UMP veuille s'attaquer à l'ensemble des expressions religieuses et culturelles de la communauté musulmane afin de défendre une France « blanche, de culture grecque et latine, et de religion chrétienne », pour reprendre la définition du général de Gaulle.
Deuxièmement, l'UMP ignore que l'islam fut bien concerné par la loi sur la séparation des cultes et de l'Etat au début du XXème siècle. En effet, si en 1905 le nombre de musulmans vivant dans l'hexagone était relativement restreint, la France comptait en son sein des territoires où l'islam était massivement présent et où la loi de séparation des cultes et de l'Etat aurait pu s'appliquer si la République coloniale ne si était pas opposée. Bien que les colonisés musulmans n'y avaient pas le statut de citoyen, contrairement aux Européens et aux Juifs, l'Algérie colonisée était juridiquement divisée en trois départements français au sein desquels la loi de 1905 s'appliqua aux cultes catholique, juif et protestant[2]. Seul l'islam fut soumis à un régime d'exception coloniale.
En vertu du décret du 27 septembre 1907 portant sur l'application de la loi de 1905 en Algérie, l'administration coloniale continuait de maintenir le culte musulman sous sa subordination immédiate. Afin de contrôler l'islam, les imams, les muftis ou les qadis étaient nommés et salariés par la puissance occupante qui les contraignait à être les « voix de la France » dans les mosquées et autres lieux de culte musulman. Par cette main mise sur le culte musulman, la République coloniale orientait l'interprétation des sources de l'islam dans un sens favorable au maintient de sa domination.
Si elle n'y fait nullement référence, l'actuelle politique de l'UMP s'inscrit pourtant directement dans la filiation de cette politique coloniale d'ingérence « républicaine » au sein du culte musulman. Ainsi, s'ingérant directement dans le culte musulman, l'UMP affirme avoir toujours « favoriser le passage d'un « islam en France » à un « islam de France » ». Visiblement l'état d'exception colonial dans lequel se trouvent encore l'islam et les musulmans, ne permet même pas à l'UMP de voir que cette affirmation viole le principe laïc de non ingérence de l'Etat au sein des cultes. Malgré les professions de foi laïques répétées à longueur de discours, ces principes peuvent être publiquement piétinés dans un texte affirmant défendre la laïcité car les rapports entre l'islam et l'Etat français sont régis par une laïcité d'exception : une laïcité coloniale. Celle-ci soustrait l'islam et les musulmans au droit commun pour les soumettre à une législation particulière. Comme durant la colonisation de l'Algérie, l'islam et les musulmans constituent un corps d'exception juridique pouvant être soumis à une législation spécifique.
Les 26 propositions de l'UMP ou la mise en place d'une politique d'exception
Les 26 propositions sur la laïcité de l'UMP s'inscrivent dans le cadre de cette mise en œuvre d'une législation spécifique dont les premiers jalons ont été posés par les lois sur l'interdiction du voile dans l'enseignement public du 15 mars 2004 et sur l'interdiction de la burqa de 2010. Ces 26 propositions de l'UMP sont une étape supplémentaire dans la mise en œuvre d'une législation spécifique s'appliquant à l'islam et aux musulmans. Cette législation spécifique visera à exclure toujours d'avantage de la société française les musulmans en général et les musulmanes « ostensibles » en particulier. Evidemment, pour respecter une légalité formelle, il n'est pas dit explicitement que ces propositions sont dirigées contre les musulmans et qu'elles servent à mettre en place un système législatif spécifique.
Les 26 propositions de l'UMP se partagent en trois parties. La première partie consiste à adopter un « code de la laïcité et de la liberté religieuse ». Au niveau purement sémantique, il est intéressant de noter que la laïcité coloniale s'appliquant à l'islam reprend le terme de « code » qui n'est pas sans rappeler le « Code de l'indigénat » par exemple. L'adoption de ce « code » se ferait par le vote d'une résolution parlementaire réaffirmant « l'attachement de la représentation nationale aux principes républicains, et spécialement à ceux de laïcité et de liberté de conscience ». L'UMP prévoit aussi l'élaboration d'un « recueil exhaustif des textes » et des « jurisprudences relatifs au principe de laïcité ». Enfin, après l'élection présidentielle de 2012, l'UMP se propose de rédiger un « code de la laïcité ».
Si l'UMP ne l'affirme pas directement, cette législation est directement dirigée contre les musulmans puisque il est sous entendu dans le préambule du texte que ce sont eux qui remettent en cause les « principes républicains » – principes qui ne sont jamais clairement définis. L'attachement aux « principes républicains » signifie en fait la dénonciation de l'« ennemi intérieur » musulman qui « gangrène » la République. D'ailleurs contre cet « ennemi intérieur », l'UMP affirme vouloir renforcer la législation d'exception puisque l'intérêt principal de ces propositions est de permettre de fixer « de nouvelles règles, législatives ou réglementaires, permettant d'apporter des solutions à des questions qui n'ont pas encore été résolues par voie contentieuse ».
La deuxième partie des 26 propositions de l'UMP se compose d'une série de mesures visant à « réaffirmer le principe de laïcité » c'est-à-dire, en fait, à renforcer les lois d'exception contre les musulmans, et à mener une « action psychologique » auprès de la population contre ceux qui sont désignés comme l'« ennemi intérieur » menaçant la société française.
Laissant croire que les musulmans constitueraient un Etat dans l'Etat, l'UMP souhaite faire voter une loi interdisant « à quiconque de se prévaloir de ses croyances religieuses pour s'affranchir des règles communes régissant les relations entre collectivités publiques et particuliers ». Elle veut aussi étendre « les exigences de neutralité et de laïcité des agents des services publics aux collaborateurs occasionnels du service public » et étendre « les obligations de neutralité qui s'imposent dans les structures publiques, aux structures privées des secteurs social, médico-social, ou de la petite enfance chargées d'une mission de service public ou d'intérêt général » afin de renforcer l'exclusion du monde du travail et de la société des musulmanes portant le voile.
L'UMP veut présenter de nouvelles lois pour interdire « de récuser un agent du service public à raison de son sexe ou de sa religion supposée » et « de se soustraire au programme scolaire obligatoire ». L'UMP propose aussi de voter une loi rappelant « que, dans le cadre d'un service public, les convictions religieuses, politiques ou philosophiques n'autorisent pas à invoquer un traitement spécifique de nature à mettre en cause son bon fonctionnement ». Ces nouvelles lois visent uniquement à faire croire que les musulmans ne se conformeraient pas aux règlementations communes et à renforcer la mise en œuvre d'une législation d'exception.
Au niveau de l'« action psychologique », l'UMP prévoit que, « dans le cadre du programme scolaire obligatoire, un enseignement relatif au principe de laïcité » soit dispensé. De même, elle souhaite la mise en place d'une « formation obligatoire à la laïcité de l'ensemble des agents des services publics » et le développement, « en lien avec les grands pôles universitaires », d'un « module de formation aux principes républicains et, spécialement, à la laïcité ». Ce module est plus particulièrement destiné aux « ministres du culte » désignant par là les imams qui, par définition, ignorent les lois françaises. Cette dernière mesure est un piétinement explicite des principes de la laïcité puisque normalement, dans un Etat laïc, celui-ci ne devrait pas intervenir dans la formation des « ministres du culte » qui est de l'unique ressort des communautés religieuses.
La troisième partie des 26 propositions de l'UMP, intitulée « pour garantir la liberté religieuse dans la République », est avant tout composée d'une série de mesures visant à exclure les musulmans et les musulmanes du monde du travail et à contrôler la communauté musulmane.
Dans le cadre des mesures visant à exclure les musulmans du monde du travail, l'UMP souhaite permettre aux entreprises d'intégrer dans leur règlement intérieur « des dispositions relatives au port de tenues et signes religieux » et « des dispositions encadrant les pratiques religieuses ». La première mesure servira notamment à exclure les musulmanes voilées des entreprises où elles pouvaient encore travailler. Afin de préparer le monde du travail à la lutte contre les musulmans, l'UMP propose aussi d'« organiser une formation spécifique pour les responsables de ressources humaines et les inspecteurs du travail » et d'« élaborer un « guide des bonnes pratiques de la liberté religieuse et du vivre ensemble dans les entreprises » ».
Le contrôle de la communauté musulmane passe par le contrôle de ses finances. Pour cela, l'UMP veut que « les fonds étrangers visant à la construction et à l'entretien de lieux de culte transitent obligatoirement par une fondation nationale » et que « la collecte des fonds auprès des fidèles en vue de la construction et de l'entretien des lieux de culte » se fasse « par le biais d'une association ». Ces mesures de contrôle financier charrient le sous-entendu nauséabond que les musulmans développeraient une économie parallèle pour financer leur culte. Au niveau, des « ministères du culte », l'UMP désire « engager une réflexion sur les moyens d'éviter que des ministres du culte aient un lien de subordination avec un Etat étranger ». Evidemment, cette disposition ne concerne pas les relations de l'Eglise catholique avec l'Etat du Vatican mais uniquement les « ministres du culte » musulmans et ce en dépit des lois laïques protégeant les religions des ingérences de l'Etat français.
Au niveau des manifestations religieuses dans l'espace public, l'UMP souhaite réaffirmer que « l'exercice du culte hors des lieux de culte est subordonné à déclaration préalable » cela afin d'entériner une pratique discriminatoire qui autorisera les processions chrétiennes mais qui interdira les « prières de rue » des musulmans démunis de lieux de culte capables de les accueillir.
« Radicalisation cumulative » de la politique islamophobe
Ces 26 propositions de l'UMP, visant à la mise en place d'une législation d'exception, s'inscrivent dans ce que l'historien Hans Mommsen appelle une spirale de « radicalisation cumulative » de la société qui aboutit à adopter un discours, une pratique et une législation toujours plus répressive contre la minorité musulmane. Cette « radicalisation cumulative » se traduit pratiquement par la mise en place d'un appareil législatif discriminatoire et par l'adoption de pratiques administratives et policières spécifiquement dirigées contre la communauté musulmane. Cela aboutit à une fuite en avant dans la répression contre la communauté musulmane.
La « radicalisation cumulative » entraîne aussi une « radicalisation discursive » de l'Etat et de ses appareils idéologiques avec l'appui de groupes de pression qui poussent à la mise en place d'une répression accrue contre l'islam et les musulmans. Cette « radicalisation discursive » s'exprime notamment dans les médias où les prises de parole se font en faveur d'une répression toujours plus intense contre l'islam et les musulmans. Ces discours permettent d'entériner les législations discriminatoires et de préparer le terrain à de nouvelles lois répressives.
L'accélération de cette « radicalisation cumulative » de la politique de l'UMP s'inscrit dans le cadre de son échec à mettre en œuvre les promesses électorales tenues par Nicolas Sarkozy en 2007. Que ce soit au niveau de la résolution de la crise économique, du chômage ou encore du « pouvoir d'achat » la politique économique et sociale de l'UMP est un échec total. Cet échec en matière économique et sociale ne peut être compensé que par une intensification continue des mesures dirigées contre les musulmans. La « radicalisation cumulative » de la politique de l'UMP contre les musulmans est la seule réponse que ce parti puisse donner à son électorat déçu par son incapacité à mettre en œuvre une politique économique et sociale capable de répondre à la crise du capitalisme. L'accélération de la « radicalisation » de la politique islamophobe est une manifestation de l'échec de la politique économique et sociale de l'UMP.
Face à la « radicalisation cumulative » de la politique islamophobe, les réactions restent très en deçà des problèmes de l'heure. Samedi 2 avril 2011, seule une centaine de manifestants se sont rassemblés dans les rues de Paris pour protester contre la politique islamophobe de l'UMP et l'islamophobie d'Etat. Les associations antiracistes, les mouvements de l'immigration ou les partis politiques n'étaient pas présents. Les associations musulmanes qui devraient pourtant être les premières à défendre la communauté musulmane contre les attaques qu'elle subie, brillent par leur absence. Elles se contentent de quelques communiqués et de vagues protestations verbales. Cette absence de réelles réponses ne peut qu'encourager l'UMP à poursuivre et à intensifier la « radicalisation » de sa politique islamophobe.
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[1] Cf. « Laïcité: 26 propositions pour mieux vivre ensemble ». URL: http://www.lemouvementpopulaire.fr/actualites/Laicite-26-propositions-pour-mieux-vivre-ensemble-9682.html
[2] L'article 43 de la loi du 9 décembre 1905, que l'UMP ne connaît visiblement pas, stipulait explicitement son application en Algérie. Cf. Sellam Sadek, La France et ses musulmans, Un siècle de politique musulmane, 1895-2005, Alger, Ed. Casbah, 2007, pages 163-170
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