Il est des rencontres, des rendez-vous et des moments de la vie qui vous marquent ou du moins qui ne vous laissent guère indifférent. Car remplis d'un «je-ne-sais-quoi» de fébrile, de magique et d'aérien dans l'air et ce, grâce à «l'entremise» du réalisateur et producteur, Bachir Derraïs, ayant organisé cette rencontre inédite avec une légende vivante. Son nom sonne, claque et porte bien et beau ! C'est Mourad Bourboune ! Révolutionnaire, militant, poète, doyen de la presse écrite, romancier et scénariste. Un intellectuel algérien. Un vaste programme. Un personnage forçant et imposant le respect, et puis, Mourad Bourboune, vous ne pouvez que le prendre en sympathie et l'«adopter» comme père. Père spirituel, pair du philosophe français Jean-Paul Sartre.Tant il est de prime abord agréable à vivre du haut de ses 73 ans. Un petit vieux «brisquard» jurant avec la gérontologie et la «sénilité». Au contraire. Un troisième âge à la rencontre du troisième type, comme dirait Steven Spielberg. Une verdeur et autre fraîcheur de son art pas du tout mineur, mais majeur. Cet art de la faconde, pas au sens péjoratif. C'est cette justesse dans les mots, l'intensité de ses vocables, ses fulgurantes rhétoriques… Et surtout cette sagesse, cette force tranquille… Un «Jedi», un OVNI se détachant et survolant l'ego surdimensionné des célébrités littéraires et littérales. C'est que Mourad Bourboune ne se prend pas au sérieux. Il est au-dessus de tout cela. Nous l'avons rencontré dans un hôtel du centre-ville d'Alger, un après-midi autour d'un café. Il nous confiera qu'il n'avait pas parlé à un journaliste ni accordé un entretien à un journaliste algérien depuis… 1963. Depuis un demi-siècle. Une rencontre à marquer d'une pierre blanche. Biopic de Larbi Ben M'hidi Mourad Bourboune était de retour en Algérie après une longue absence, pour une noble cause, sans démagogie aucune. Il s'est déplacé depuis Paris - où il vit depuis 1965 - pour soutenir un projet conçu en binôme avec Bachir Derraïs. Il s'agit du film portant sur le héros de la Révolution algérienne, Larbi Ben M'hidi (1923-1957), arrêté, torturé et exécuté par l'armée coloniale française, dont il a scénarisé la biographie, et Bachir Derraïs en est le producteur. Quant à la réalisation, pour l'instant, trois cinéastes étrangers ont été contactés. C'est en cours de discussion. Pour l'anecdote, quand Bachir Derraïs, il y a trois ans, avait émis le vœu de produire un film sur Larbi Ben M'hidi en sollicitant Mourad Bourboune pour le scénario, Bourboune lui avait alors posé cette question dubitativement : «Bachir, es-tu sûr de savoir à quoi tu t'attaques ? Larbi Ben M'hidi, c'est un ‘‘gros morceau''!» C'était une observation, un conseil quant à l'ampleur et à la dimension de ce personnage historique. «Si on réalise un film sur Larbi Ben M'hidi, on n'a pas droit à l'erreur. On est responsable. On est comptable. On ne peut bâcler un tel projet… Pour vous dire, j'ai effectué des recherches à partir de 50 ouvrages d'histoire. Une année de préparation pour le scénario…», commentera Mourad Bourboune. Embrayant sur le projet filmique portant sur le biopic de Larbi Ben M'hidi, Bachir Derraïs relatera : «Il y a trois ans, avec Mourad Bourboune, on a évoqué le souhait d'un projet de film sur Larbi Ben M'hidi. C'est un projet qui date de 10 ans. Et puis, je l'ai relancé. En lui disant : ‘‘ il n'y a que toi qui pourrait écrire le scénario sur Ben M'hidi''. Mais il a émis un doute quant à la réaction des autorités (algériennes) de faire un tel film. On a déposé le scénario. Il a été accepté par toutes les commissions. Sur le papier, c'est génial. Mais le projet est bloqué. C'est le gouvernement qui doit donner l'aval. Nous sommes otages de cette bureaucratie et cette loi (sur le cinéma) absurde…». «Ils ont peur de Larbi Ben M'hidi» Mourad Bourboune porte le projet en lui. Il aimerait tant que ce film soit tourné. Il est resté quelques semaines à Alger dans l'attente d'une hypothétique réponse quant au tournage du film proprement dit. Il parle de Larbi Ben M'hidi avec dévotion, et il est en pâmoison devant l'histoire de ce martyr de la Révolution algérienne anti coloniale (1954-1962). «Larbi Ben M'hidi était un stratège, un visionnaire et un intellectuel. On l'appelait El Hakim (le sage en arabe). Il s'était inspiré de la révolution irlandaise de 1916 (contre l'occupant britannique). Il en était impressionné. On ne parle pas de son frère, Tahar Ben M'hidi, qui est mort en martyr, avant lui, à Constantine. Et puis, ces lenteurs bureaucratiques quant au projet de film sur Larbi Ben M'hidi. On dirait qu'ici (en Algérie), on n'est pas concerné. Ils ont peur de voir un film sur Larbi Ben M'hidi, parce que cela les renvoie à leur propre image, leur miroir… On est déçus. On a l'impression de les avoir dérangés…Il y a eu beaucoup de gens qui sont morts pour ce pays. Ils ont donné le meilleur d'eux-mêmes et se sont sacrifiés. Aujourd'hui, je sais qu'il faut trois générations pour restituer l'image de l'Algérien de 1954...», déplorera-t-il. Les yeux brillants, la larme à l'œil - un moment émouvant - Mourad déclare et déclame sa flamme à son humus natal : «J'ai mal à l'Algérie». Lors de cette rencontre et contre toute attente, nous avons découvert une autre facette de cet homme de grande culture. L'humour corrosif forçant le trait de la bêtise humaine et ce, de par ses sentences, ses petites «assassines» et autres contrepèteries. «Au lieu de construire des autoroutes, il aurait mieux valu construire des autoroutes dans la tête des gens… Les Algériens n'ont pas besoin de pain mais de dignité…» «Comment peut-on mépriser son peuple en occultant l'éducation et la culture depuis l'indépendance de l'Algérie (1962)…» Nullement insensible au printemps révolutionnaire des pays arabes, Mourad Bourboune adhère : «Les révolutions du monde arabe sont de bon augure. En Algérie, cela viendra. Il faudra le temps qu'il faudra, mais le peuple a déjà fait cela, en octobre 1988. Et puis la tragédie des années 1990…» Mourad Bourboune nous annoncera que bientôt il publiera le scénario (auteur du texte original) du film l'Archipel de sable (réalisé par Ghaouti Bendedouche) aux éditions Barzakh et ce, pour faire découvrir la version intégrale.