Entre amour et tragédie, la vie subsiste, tel semble le message véhiculé par ce film qui rappelle à notre mémoire des faits aussi bien hallucinants que dramatiques.. Parce qu'un chirurgien d'un hôpital public lui réclame dix millions de centimes pour pouvoir opérer son père (le talentueux Saïd Amadis), Idir alias Hichem Mesbah un jeune ingénieur va s'endetter auprès de Salah, campé par Abbès Zahmani, une ancienne connaissance enrichie dans l'import-export. L'opération se passe bien et le père guérit. Mais Salah, un affairiste corrompu devenu islamiste activiste, vient réclamer le remboursement d'urgence de la dette: l'argent qu'il a prêté à Idir n'était pas le sien. Idir qui rêvait déjà de vie de couple avec sa fiancée Lynda alias la charmante Albane Fioretti, va se retrouver avec elle, les yeux grands ouverts, au coeur du cauchemar...Parce que Salah n'était pas un véritable ami, mais un intégriste et que l'argent prêté venait du GIA. Pour s'être fait prêter dix millions de centimes, un jeune ingénieur se retrouve, contraint et forcé dans un maquis du GIA où on lui demande de tuer des innocents. Tout l'art de cette histoire-là. Un jeune colonel algérien, aujourd'hui à la retraite, Salim Merimèche, porteur d'une histoire vraie écrit une nouvelle, Algérie, l'absurde au quotidien. Elle tombe entre les mains de Bachir Derraïs. Grâce à une intelligente collaboration avec Abdelkrim Bahloul, elle se meut en scénario de Dix millions de centimes.Bahloul, ancien de l'Idhec (Paris) a déjà écrit le scénario de Cheb, de Rachid Bouchareb. Il a réalisé le premier film algérien qui a bénéficié d'une avance sur recette en France. Il s'agit de Un Thé à la menthe avec la grande Chafia Boudrâa. Bahloul, qui a été l'un des rares cinéastes à immortaliser le poète Jean Senac, grande figure de la littérature et du nationalisme algérien, a aussi dirigé Farid Chopel, Bruno Cremer et Brigitte Fossey dans Vampires au paradis. Une parodie délirante du mythe transylvanien. Avec Bachir Derraïs et la complicité agissante de Yasmina Khadra, l'écrivain qui ne laisse personne indifférent, il cosigne le scénario de Dix millions de centimes. A travers ce film, c'est un peu du franc-parler de celui qui n'a pas froid aux yeux, que l'on retrouve, image après image, séquence après séquence....Peu ou prou, Bachir Derraïs en voulant parler des maux de sa société, lui qui clame que «ça suffit de vivre dans un pays qui a résolument décidé de tuer le cinéma», aussi s'est -il senti investi d'une mission, «La guerre d'Algérie, explique-t-il, a produit beaucoup de témoins, je me vois bien en être un de la tragédie que nous continuons à vivre». Aussi, peut-on en vouloir à un réalisateur qui a peiné pour que son premier long métrage voit le bout du tunnel et passe enfin sur grand écran, au point de faire un peu trop, d'être volubile aussi dans la démonstration dans un pays qui manque cruellement d'images de lui-même? Oppression, répression, combat des femmes, pauvreté, richesse, corruption, violence, hypocrisie...Autant de sujets qui gravitent autour de cette histoire déjà assez complexe. Fidèle à ses idéaux et ses engagements, Bachir pèchera-t-il par un trop plein de franchise? Des claques de vérité comme celles-ci, qu'il assène, on en a besoin, certes mais que le réalisateur prend garde à ce que cela ne tourne pas en faveur de la démagogie, qui dessert souvent le langage cinématographique au détriment du message véhiculé. Comme ce médecin chirurgien interprété par Miloud Khetib, le commissaire Lob dans Morituri, film que Bachir Derraïs a produit récemment qui confie à Idir «regarde ce vendeur de cigarettes, en une semaine il gagne plus que moi!»...Déroutant! Fébrile, comme une ampoule électrique, Bachir Derraïs en a trop sur le coeur et il le dit à voix haute. C'est un homme libre avant tout qui veut traduire ses rêves à l'écran. C'est quelqu'un qui veut faire, faire...pour que le cinéma revive..10 Millions de centimes est aussi servi par la musique de Mami et de Safy Boutella dont le son du violon à lui seul, suffit à vous donner des frissons...Il est dommage de constater des lacunes, perçues, notamment dans le doublage en arabe, lequel financé par le commissariat de «Alger, capitale de la culture arabe». Un film qui, pour rappel, avait privilégié la version française, car il avait bénéficié outre de L'Entv, du soutien du CNC français, non pas du ministère de la Culture. Ce film qui traite d'une histoire d'amour ayant pour toile de fond les événements tragiques, survenus au cours de la décennie 1990 a, au moins, cette raison d'exister en relatant des faits qu'il ne faut pas oublier.