L'affaire du professeur Kerroumi, retrouvé mort le 23 avril après plusieurs jours de disparition dans les locaux du MDS à Oran, prend de l'ampleur. Le silence des pouvoirs publics a alimenté la circulation d'informations non vérifiées et contradictoires et de toutes sortes de rumeurs. C'est dans ce contexte que le rapporteur spécial des Nations unies sur le droit à la liberté d'opinion et d'expression, Frank La Rue, a fait part, hier après-midi, de son «indignation et sa tristesse» devant ce qu'il n'hésite pas à qualifier de «meurtre». Dans un communiqué du Haut-Commissariat aux droits de l'homme des Nations unies diffusé hier sur le site de cette instance, le rapporteur onusien parle ainsi de «meurtre tragique et totalement inacceptable».«Selon les informations que j'ai reçues, M. Kerroumi aurait reçu plusieurs blessures à la tête, ce qui me porte à croire que cet acte est arbitraire», ajoute-t-il. S'appuyant toujours sur des informations qui lui sont parvenues d'Algérie, le rapporteur évoque l'existence «d'un véhicule avec quatre hommes à son bord qui est resté devant le bureau de M. Kerroumi pendant quatre jours avant le meurtre.» «La voiture n'est plus réapparue depuis», relève-t-il.
L'expert de l'ONU invite le gouvernement algérien à mener «l'enquête la plus détaillée et indépendante qui soit sur ce meurtre tragique afin de traduire ses auteurs en justice». «Une telle action, continue-t-il, couplée à une condamnation publique de la part du gouvernement, est indispensable pour garantir que cet acte odieux n'aura pas d'effet dissuasif sur la liberté d'expression dans tout le pays», estime le rapporteur onusien. Enfin M. La Rue conclut en déclarant vouloir suivre de près tous les développements relatifs à ce cas, «et cela y compris avec les autorités algériennes». Pour rappel, lors de sa visite en Algérie du 10 au 17 avril dernier, à l'invitation du gouvernement, M. La Rue a eu à rencontrer le professeur Kerroumi, lors d'une réunion avec la société civile, le 15 avril à Oran. La CNCD exige la vérité Pour sa part, la CNCD-Oran a décidé de sortir de sa réserve. Ceci d'autant que le regretté Pr Kerroumi était un membre actif de cette coordination. Animée par Fatma Boufenik, Kaddour Chouicha et Messaoud Babadji, une conférence de presse a été tenue hier sur le sujet. Pour M. Chouicha, le silence des autorités judiciaires donne la nette impression qu'«un scénario est en train de se concocter afin de préparer l'opinion publique». «Il s'agit là, continue-t-il, de l'assassinat d'un militant politique, dans un contexte politique assez particulier.» Il a ensuite rappelé que «tout juste après la découverte du corps de l'enseignant universitaire, la Coordination a publié un communiqué où elle invite le procureur général à animer une conférence de presse pour rassurer l'opinion sur la volonté de la justice à élucider l'affaire et ainsi éviter que l'on sombre dans la rumeur. Usant d'ironie, il s'est demandé ensuite comment se faisait-il que des informations lourdes, celles qui ont été relayées après la découverte du corps, ont pu circuler dans certains journaux. On a l'impression que le journaliste pouvait communiquer facilement avec la police, que la police, ainsi que les médecins légistes, peuvent parler en toute liberté et que tout allait bien dans le meilleur des mondes !» Pour lui, cette «mise en scène» relayée par une «certaine presse» est tout simplement «rocambolesque». Il faut savoir en effet que toutes sortes d'informations ont circulé ces derniers temps et privilégient généralement la thèse du crime crapuleux. Marche du 30 avril Dans un autre registre, les conférenciers ont annoncé la tenue, samedi prochain, d'une marche silencieuse à Oran, à la mémoire d'Ahmed Kerroumi. Cette marche ira de la place Kahina (ex-Cathédrale) à la place du 1er Novembre (ex-place d'Armes), en passant par le boulevard Emir Abdelkader. La manifestation n'a pas obtenu d'autorisation, nous a précisé Fatma Boufenik. L'administration de wilaya n'a pas cru bon de remettre à ses interlocuteurs une réponse manuscrite. «La wilaya est hors la loi, déclare Messaoud Babadji. La loi stipule que l'administration est tenue de répondre par un écrit motivé à tout refus !» Or, selon lui, cette façon de refuser de répondre par écrit est une tactique afin «de nous empêcher de les mettre devant le fait accompli ou d'ester en justice l'institution».