Les résidents, les étudiants en sciences médicales, internes ou externes, ont réussi l'impensable : marcher dans la capitale. Ils étaient ainsi plus d'un millier de blouses blanches à avoir manifesté, hier, de la présidence de la République à la place du 1er Mai. Pourtant, cette marche n'était pas prévue. Initialement, au programme, un «simple sit-in» était programmé à El Mouradia. Pourtant, l'accueil réservé par les forces de l'ordre aux contestataires en a décidé du contraire. La tension était d'ailleurs palpable bien avant l'heure fixée du rendez-vous. «Les policiers ont empêché les résidents, même seuls, de se diriger vers la Présidence afin de prendre place sur les trottoirs, comme à l'accoutumée. Ils n'ont pas hésité à disperser violemment des petits rassemblements de trois ou quatre personnes», raconte, outré, Boutalbi Massinissa, délégué des résidents du CHU de Kouba. Bousculant à tout-va, empoignant la foule sans distinction, traînant par terre les récalcitrants, les éléments antiémeute n'ont pas lésiné sur la brutalité afin de contenir les manifestants. Plusieurs personnes ont d'ailleurs été interpellées, brutalement dans la plupart des cas. «Elles ont été embarquées vers on ne sait où pour être relâchées un peu plus tard», rassure le docteur Sahnoun, délégué du Camra. Les policiers n'ont d'ailleurs épargné personne. Un photographe d'El Khabar, l'objectif braqué sur les scènes d'empoignade, s'est fait confisquer son matériel, après avoir été brutalisé par des agents. «Mais dans quelle République sommes-nous pour que des citoyens soient traités de la sorte ?» hurle le docteur Yelles, une fois la situation «pacifiée», l'ensemble des manifestants ayant été parqués sur les trottoirs. «Nous allons vers l'arrêt des gardes, vers la démission collective. Que le gouvernement et la Présidence assument leurs responsabilités, puisque c'est là le sort que l'on nous réserve», ajoute-t-il sous les hourras de la foule et les klaxons des voitures. Les blouses blanches n'ont pas dit leur dernier mot. De bouche à oreille, résidents et étudiants se passent le «plan B». «Nous étions loin de nous imaginer qu'ils nous brutaliseraient. Ainsi soit-il, alors. Nous allons marcher et leur montrer que nous ne nous laissons pas intimider», souffle, l'œil noir, le docteur Yelles. Déferlante blanche Persuadés, sûrement, que les manifestants se dispersaient, les policiers ne semblaient pas avoir anticipé les choses. Grappe par grappe, les blouses blanches s'élancent. Des pas timides et lents pour commencer, puis les choses s'accélèrent. C'est ainsi qu'une vague blanche arrive à déborder les forces antiémeute. La déferlante bloque la circulation automobile, avant d'être maîtrisée et cantonnée sur une partie de la chaussée. Là, on donne l'ordre, dans des hurlements, de repousser, de frapper, de matraquer. Des étudiants sont même violemment poussés dans les escaliers, en contrebas de la rue principale. La confrontation dure quelques dizaines de minutes. Puis une nouvelle fois, les manifestants s'élancent, grappillant centimètre par centimètre, se jouant des policiers, courant à en perdre haleine. «Nous avons réussi à déjouer leurs stratagèmes, à leur échapper», hurle une jeune fille à l'adresse de son amie. Ce sont alors des centaines de résidents et d'étudiants survoltés, galvanisés par leur exploit, qui dévalent à toute allure la pente qui mène du Golfe à la place du 1er Mai. Un cordon de policiers, mince il est vrai, tente évidemment de les stopper dans leur élan au niveau de Laperrine. En vain. «Nous l'avons fait !», hurle, rouge d'excitation, le docteur Sahnoun, en lançant un regard circulaire sur la fontaine de la place. Après quelques minutes, les manifestants se dirigent d'eux-mêmes vers l'entrée de l'hôpital, où ils se rassemblent. Heureux, grisés, repus de ce succès, ils y resteront pendant plus d'une heure. Les chants se mêlent aux slogans, les mécontentements aux rires. «Les blouses blanches sont plus que jamais déterminées, plus que jamais unies», lance fièrement Rachid Chouitem, porte-parole de la Coordination nationale des étudiants en pharmacie. «Nous ne sommes pas montés à la Présidence. Mais avons marché de la présidence à l'hôpital… afin de faire redescendre les autorités dans notre amère réalité !»