Difficile de se retrouver dans l'imbroglio de l'agenda et de la conduite des réformes politiques et institutionnelles annoncées par le président Abdelaziz Bouteflika. Tout d'abord au niveau du parrainage organique de ces réformes : le chef de l'Etat a chargé officiellement le président du Sénat, Abdelkader Bensalah, de piloter ces réformes. Un choix qui ne fait pas consensus au sein de la classe politique et de la société civile, qui auraient souhaité voir nommé à ce poste une personnalité indépendante à la mesure de l'importance de cette mission qui exige un profil au-dessus de toutes les contingences partisanes et claniques. Parallèlement à la nomination de M. Bensalah, dont le rôle consiste à servir d'interface entre l'institution présidentielle et les partis et les associations qui seront conviés au débat en vue de l'enrichissement du projet de révision constitutionnelle, le chef de l'Etat a annoncé la mise en place prochaine d'une commission technique ayant pour mission de formuler des propositions sur le projet de réforme constitutionnelle qui sera soumis au débat. Cette commission sera ouverte aux partis politiques et à la société civile ainsi qu'aux experts en droit constitutionnel. En attendant la définition des prérogatives de chacune de ces deux structures, on s'interroge déjà s'il n'y a pas doublon entre les missions qui seront assignées à M. Bensalah et celles de la commission ad hoc qui sera mise en place. Faut-il voir dans cette organisation bicéphale un partage des tâches entre ces deux structures, la première ayant une vocation politique et la seconde technique ? Pourront-elles cohabiter ? Les sensibilités politiques plurielles – M. Bensalah est issu du Rassemblement national démocratique (RND) – qui traverseront ces deux structures ne risqueront-elles pas de déteindre sur leur cohésion et les résultats de leurs travaux ? Tout comme se posera inévitablement, au moment des arbitrages, la question déterminante de la rédaction du projet de mouture finale issue du débat public qui sera soumise aux instances exécutives et législatives. Quelles sont les propositions qui seront retenues : celles qu'aura recueillies M. Bensalah ou celles de la commission technique ? Ou les deux à la fois ? Selon quel dosage et quelle alchimie politique ? Ne sommes-nous pas dans le même schéma d'organisation bicéphale du Parlement : de la chambre basse et de la chambre haute, la seconde ayant pour vocation non déclarée de rééquilibrer les rapports de force et les «déviations» qui pourraient survenir dans les délibérations de l'APN. Désaveu Concernant les lois et le contenu des réformes qui seront introduites dans les textes soumis à débat, au plan du timing et selon le calendrier présidentiel établi, elles se déclinent en deux catégories. Il y a toute la batterie de lois qui ont un lien avec les réformes politiques envisagées : loi sur les partis, loi électorale, code de l'information…, des textes à propos desquels le président de l'Assemblée populaire nationale (APN), Abdelaziz Ziari, vient de déclarer dans un entretien au quotidien L'Expression que leur adoption interviendra avant la fin de l'année. Et il y a le projet de révision constitutionnelle dont le président Bouteflika a préféré retarder l'échéance de son adoption. Ce texte sera soumis au prochain Parlement ou, au besoin, adopté par voie référendaire. Cette décision de différer l'examen et l'adoption du projet de loi de révision constitutionnelle est-elle justifiée par des considérations objectives d'efficacité et de recherche d'un consensus le plus large possible nécessitant du temps et des compromis politiques sur des questions si sensibles et déterminantes qui touchent aux fondements du système politique et de l'Etat ? Ou bien considère-t-on que ce débat est prématuré et politiquement inopportun car il pourrait remettre en cause les équilibres et les rapports de forces politiques et institutionnelles en place ? On préfère la prudence à l'aventure. Amender la loi électorale ou les autres lois citées ne changera rien à la nature du système. Des réformes à moindre frais, c'est la démarche qui semble retenue. La logique aurait voulu que les réformes soient entamées par la révision constitutionnelle qui est censée baliser le terrain pour les réformes politiques à engager. On a emprunté le chemin inverse. Politiquement parlant, le fait de priver le Parlement actuel du privilège de débattre et d'adopter le projet de révision constitutionnelle pour le confier au prochain Parlement pourrait être perçu comme une marque de désaveu pour l'actuelle Assemblée et une reconnaissance de son illégitimité. L'argument du temps tient difficilement la route quand on voit les exemples autour de nous, dans la région, en Tunisie ou en Egypte, où le délai fixé pour la révision de la Constitution, qui a constitué le premier acte politique fondateur des nouveaux systèmes démocratiques nés des révolutions populaires dans ces pays, relève des chantiers politiques d'urgence. Le président Bouteflika cache-t-il des cartes dans sa manche ? Est-il sincère dans son engagement d'aller vers des réformes profondes qui ne pourront à l'évidence qu'être l'œuvre d'une Assemblée représentative et légitime ? Sa décision de zapper, pour ce dossier, l'actuelle APN, décriée y compris par des partis qui siègent en son sein, ne relève-t-elle pas d'autres calculs politiques ?