Tout reste à faire en matière de sensibilisation sur le patrimoine culturel, notamment archéologique, avec toute la rigueur scientifique que ce travail exige, car il y va de la sauvegarde de la mémoire collective. En l'état actuel des choses, rien n'incite à l'optimisme béat concernant la sauvegarde de l'extraordinaire patrimoine archéologique de l'Algérie. Chaque année, des conférences conjoncturelles, relativement au mois du patrimoine, sont organisées tous azimuts, mais qui demeurent sans impact sur la société civile, en l'absence d'une réelle prise de conscience et de sensibilisation méthodique et continue en direction des populations. C'est ce qui ressort des conférences succinctes livrées, hier, au palais de la culture Malek Haddad dans le cadre du mois du patrimoine, du 18 avril au 18 mai, respectivement, par un représentant des Douanes, de la police, du président de l'association des Amis du palais du Bey, Nouar Sahli, et sur un plan éminemment scientifique, celle du Dr Hocine Taoutaou, directeur du centre d'archéologie de Aïn M'lila. «Notre rôle en tant qu'association, est de sensibiliser la population sur l'importance stratégique des vestiges, qui représentent la mémoire du peuple, à travers des dépliants et autres visites sur sites ; mais il faut avouer que rien n'a été fait concrètement depuis l'époque coloniale. Les musées existants ont été conçus pour une population coloniale, et c'est resté en l'état. Nous n'avons pas pensé la chose de notre point de vue, à partir d'une réalité post-indépendance», dira le président de l'association des Amis du palais du Bey. Pour le représentant des Douanes, «c'est une chance que la France ne pensait pas quitter l'Algérie un jour, sinon il ne serait rien resté de nos richesses, déjà que les musées européens en regorgent ». Il expliquera que les services des Douanes agissent dans un cadre légal général conformément à la loi 98 04 de lutte contre la contrebande et la protection du patrimoine, seulement à partir du moment où il y a flagrant délit, non-déclaration d'objets, dissimulation avérée, au niveau des frontières. Le représentant de la Sûreté nationale évoquera également la même loi, qui reconnaît 430 sites, lesquels ont été répertoriés sur l'ensemble du territoire, dont sept classés patrimoine universel par l'Unesco, à savoir le Tassili, l'Ahaggar, Djemila, Timgad, Oued M'zab, la Casbah d'Alger et Tipasa. En parallèle, des réseaux organisés continuent le pillage systématique du patrimoine culturel, avec cependant beaucoup d'affaires traitées liées au saccage de sites et vol de pièces archéologiques, permettant la récupération régulière de milliers de pièces destinées à l'exportation. Pour le Dr Taoutaou, «il est impératif de dispenser une formation continue aux brigades chargées de la répression du trafic des pièces archéologiques, créer des unités de contrôle locales spécialisées, répertorier les richesses, d'établir des banques de données, et instaurer une coordination étroite avec les chercheurs». Selon lui, les sites les plus vulnérables sont isolés et quasiment impossibles à surveiller. «Il ne faut pas attendre de cueillir le trafiquant au niveau des frontières; il faut agir rapidement, d'autant que beaucoup dénoncent des fouilles clandestines, à l'exemple de ce berger de Aïn M'lila, qui nous a fait part du pillage du site de N'âïmiya par des Marocains », a-t-il déclaré. «L'on raconte que la convoitise de trésors fabuleux enfouis sous terre a poussé certains à s'adonner à des rituels de magie noire aux conséquences néfastes», révèle encore le conférencier. C'est dire la gravité de l'enjeu, où la mémoire de tout un peuple pourrait disparaître, si une vraie sensibilisation n'était pas entreprise auprès des populations. Il ne s'agit pas non plus d'arrêter les gens sur de simples présomptions, et en l'absence d'expertise rigoureuse permettant d'authentifier l'objet, prévient-il. Lors des débats, certains citoyens s'interrogeront sur des pièces volées par des particuliers. Un chercheur libre, Slimane Gasmi, alertera que «de nouveaux riches s'approprient des trésors collectifs, comme par exemple la Venus de la nuit, de Constantine, qui orne actuellement une villa algéroise». De l'avis de tous, un travail urgent et de longue haleine doit être effectué à tous les niveaux pour arrêter «cette véritable hémorragie qui vide le pays de toute sa substance».