San Francisco (Californie, USA) De notre envoyé spécial La Californie en liesse. Sautillant de joie, espiègle, levant la bannière étoilée, une sorte d'état de grâce s'est emparée de la foule californienne après le discours du président Obama. «This was a kill opération», crie un jeune noir américain. «We got him ! », dit un autre singulièrement tatoué et heureux. Pendant ce temps-là, les bobines du Festival de San Francisco continuaient à tourner... Un public nombreux jouant des coudes pour entrer à la projection du film égyptien Microphone d'Ahmed Abdallah, c'était une des rares échappées arabes du Festival de San Francisco. Au milieu des applaudissements, Khaled Aboul Naga prend le micro pour la présentation. Il demande d'abord : «Qui dans cette salle est d'Alexandrie ?». Toute une rangée d'Egypto-Américains lève la main. Très vite l'ambiance devient «misria». Le spectacle crée une harmonie parfaite avec les événements historiques de Maïdan Tahrir. Microphone est, en effet, un film déroutant, rigoureux, admirable, grinçant, implacable et gai à la fois. Après son premier long métrage Héliopolis en 2009, Ahmed Abdallah rend, dans ce deuxième opus, un grand hommage à l'underground artistique d'Alexandrie. On admire le travail des peintres de graffitis étonnants, des chanteurs et musiciens qui ont investi à la fois le hip-hop, le rock, le metal rock, tous les genres possibles et imaginables. Ces artistes sont jeunes et jamais résignés. Il créent dans la rue, les cafés, les caves et se fichent des bureaucrates bornés de la culture officielle qui leur refusent la moindre subvention. Microphone est sans cesse inventif, les péripéties se suivent dans cette fiction forte, dense, plus réelle que la vie quotidienne à Alexandrie. Ce film est une belle lettre d'amour du réalisateur à sa ville. Microphone a été tourné avant le soulèvement populaire et la chute de Moubarak. Toute l'histoire annonce pourtant les moments décisifs qui vont suivre. On y voit l'Egypte entrant dans une fièvre tendue et joyeuse à la fois qui va arracher sa liberté à un régime déjà aux abois. Un frisson parcourt la salle du Kabouki Theatre de San Francisco dans le coin des natifs d'Alexandrie. Quand la lumière est revenue, ils avaient du mal à parler. La vision virtuose, parfois romantique aussi (duo d'amoureux : Khaled Aboul Naga et Menna Shalabi) de leur ville, si lointaine et si proche de leurs souvenirs, les a remplis d'émotion et les a laissés sans voix. Boujemâa Karèche and co... Une autre œuvre, en noir et blanc, tout aussi virtuose mais triste (elle nous rappelle le déclin de la Cinémathèque d'Alger et les tristes péripéties de son histoire récente), c'est : La Vida util (La Vie utile) du réalisateur uruguayen Federico Veroj. C'est une ode magnifique au travail des programmateurs des cinémathèques nationales, qui ont aussi la haute responsabilité des archives filmées. Leurs efforts sont souvent ignorés par la tutelle. Faut-il encore une fois rappeler les cas de Henri Langlois (Paris) , Freddy Buache (Lausanne), Boudjemaâ Karèche (Alger) qui ont défendu avec brio et acharnement leurs lieux de travail et qui se sont retrouvés un jour dans la rue. La même chose est arrivée à la Cinémathèque de Montevidéo, héritière d'une grande tradition du cinéma latino. C'est l'histoire d'un artiste humble, extrêmement convaincu que le cinéma est un grand art et qui mérite qu'on y consacre sa vie. Jorge, 45 ans, est programmateur de la Cinémateca Uruguaya. Il passe ses jours et une bonne partie de ses nuits au travail depuis 25 ans. Il n'a pas d'autre vie. Il répare, couché par terre, les fauteuils cassés de la salle. Il remet en marche le projecteur défaillant. Il présente les films devant les spectateurs payants et souvent munis d'un billet gratuit. Il prépare la grande rétrospective Manoel de Oliveira à l'occasion de son centième anniversaire. On le voit appeler au téléphone ses autres collègues des pays latinos dans le cadre de leurs échanges constants : «Tu prends le Resnais, tu me donnes le Fridrick Thor Fridricksson...». Mais un jour cette belle histoire de la Cinemateca Uruguaya est stoppée nette sans le moindre état d'âme du ministre de la Culture. Plus de subvention. Le secteur privé ne donne rien qui ne lui rapporte le double. Jorge, joué ici dans une fiction plus que réelle, par le critique célèbre de Montevidéo Jorge Jellinek, rassemble ses affaires dans un sac de plastique, et les larmes aux yeux baisse définitivement le rideau. Mais le mot de la fin est magnifique :Jorge passe chez le coiffeur pour se faire beau, va chercher son amie à la sortie de l'université et l'invite à aller au cinéma ! La vie continue. La vraie vie utile. Présent aussi à San Francisco, le cinéaste polonais Lech Majewski qui a présenté un très beau film : The Mill and The Cross (Le moulin et la croix) consacré au peintre flamand du XVIe siècle, Pieter Bruegel. La salle du Museum of Modern Art (SFMOMA) était toute attentive au travail de reconstitution des tableaux du grand maître qui a peint des scènes de la vie courante : le moulin, la fabrique de pain, les rituels religieux, les villageois du XVIe siècle qui mangent, dansent et chantent et leurs enfants qui jouent. L'élégance de cette reconstitution n'a d'égale que la soudaine irruption dans les tableaux de Bruegel d'une violence inouie. Bruegel rappelle, par là, la domination de l'Espagne catholique aux Pays-bas à cette époque, domination féroce marquée par une répression aveugle, des tortures et des exécutions systématiques. Le célèbre tableau de Bruegel: «Le Chemin de Croix», avec ses 500 personnages, soudain s'anime et renaît à l'écran . On voit aussi Charlotte Rampling dans le rôle de La Vierge Marie, mère des douleurs, où l'actrice anglaise incarne le sacrifice et la compassion. B-Sides Une spectaculaire virée organisée par le festival «Film noir, Tour Of San Francisco » nous a amené sur les traces des figures de la mythologie du cinéma de série B américain, avec les Humphrey Bogart, Rita Hayworth, Lauren Baccall et des films des années 1940-1950 : The Lady of Shanghai, The Maltese Falcon, Born To kill, Dark Passage, Woman on the Run... On ne pouvait pas non plus échapper à Alfred Hitchcock qui est entouré à San Francisco d'un culte très particulier. Pour Vertigo, on revoit The Golden Gate Bridge, Mission Dolores, Montgommery et Lombard street. Les films «noirs» américains ont été tournés juste après la Deuxième Guerre mondiale. Ils reflétaient l'état d'esprit de l'époque, le cynisme, la désillusion, l'individualisme, la violence. Avec des coupables qui peut-être ne sont pas vraiment coupables mais qui peinent toujours à prouver leur innocence.