Le fait est plutôt rare pour ne pas être relevé : entre samedi et lundi il faisait l'actualité en occupant tout l'espace médiatique. La première fois à l'occasion de son discours radiophonique hebdomadaire, une bonne vieille tradition américaine depuis la Seconde Guerre mondiale. Le jour suivant, un autre discours, et le lendemain, une conférence de presse, comme s'il fallait mettre au point certaines choses, crever des abcès comme on le dit couramment, avant les vacances pour les fêtes de fin d'année. Tout cela pour répondre aux révélations de la presse faisant état d'écoutes téléphoniques, une véritable agression dans la patrie des droits de l'homme. Le fait, selon les mêmes sources, concernerait des milliers d'Américains. Et aussi pour presser cette fois les sénateurs de voter la prolongation du Patriot Act, une loi tant décriée et au nom de laquelle, semble-t-il également, des libertés sont menacées, et d'autres accordées aux forces de l'ordre. Mais dans tout cela, le président George W. Bush persiste et signe : les écoutes continueront, plongeant l'Amérique dans un débat devenu superflu au fil des décennies, tant de telles violations semblaient relever du temps ancien et ne concerner que certaines contrées, où les droits de l'homme sont une notion mal comprise, voire inexistante. George W. Bush a en effet déclaré lundi qu'il continuerait à autoriser des écoutes aux Etats-Unis sans mandat de la justice au nom de la guerre contre le terrorisme, malgré la polémique croissante provoquée par la récente révélation de ces pratiques. Loin d'afficher une quelconque position défensive à laquelle l'aurait normalement contraint la révélation de ces derniers jours, le président a préféré annoncer, lors d'une conférence de presse à la Maison-Blanche, qu'une enquête était en cours pour savoir qui avait divulgué l'existence de ces écoutes, un acte « honteux » qui, selon lui, « aide l'ennemi ». L'Administration Bush, déjà malmenée à cause des moyens employés contre le terrorisme, l'est encore plus depuis la parution vendredi d'un article du New York Times dévoilant que le président a ordonné, après les attentats du 11 septembre 2001, la mise sur écoute de plusieurs centaines, peut-être plusieurs milliers de personnes aux Etats-Unis sans acte formel de la justice. Le président a de nouveau pleinement assumé lundi devant les journalistes : « J'ai réautorisé ce programme plus de 30 fois depuis les attaques du 11 septembre et j'ai l'intention de le faire aussi longtemps que notre nation est confrontée à la menace persistante d'un ennemi qui veut tuer nos citoyens américains », a-t-il déclaré. « Est-ce légal ? (...) La réponse est : absolument », a-t-il affirmé. Même tonalité samedi avec un discours imprévu. Il fallait au président américain répondre à l'événement qui a éclipsé l'Irak : les écoutes téléphoniques de la National Security Agency (NSA surnommée les grandes oreilles des Etats-Unis) sur des citoyens américains. Une affaire qui a mis en émoi la classe politique. M. Bush n'y est pas allé par trente-six chemins, puisqu'il a confirmé les informations publiées par le New York Times. Après les attentats de 2001, a-t-il dit, « j'ai autorisé l'Agence de sécurité nationale, en conformité avec la loi et la Constitution, à intercepter les communications internationales d'individus ayant des liens connus avec Al Qaîda et des organisations terroristes apparentées ». M. Bush a indiqué qu'il avait renouvelé « plus de trente fois » ce programme secret, qui est réexaminé tous les 45 jours. Il a estimé que les fuites mettaient en danger la sécurité nationale. Des commentateurs se sont d'ailleurs demandé pourquoi le quotidien a sorti cette information le jour où le Sénat se prononçait sur le renouvellement du Patriot Act, la loi qui a renforcé, en 2001, les pouvoirs antiterroristes du gouvernement. Et c'est là l'autre volet de la question, puisque le vote a finalement été bloqué, ce que M. Bush a jugé « irresponsable ». Une vive polémique s'est aussitôt engagée pour déterminer si le président s'était mis en dehors de la légalité en autorisant des écoutes secrètes sans le moindre mandat judiciaire, alors qu'une loi de 1978 oblige à demander l'autorisation d'une cour spéciale. Celle-ci étant secrète, il est difficile d'invoquer la nécessité de la confidentialité pour contourner la procédure. Plusieurs élus se sont interrogés sur la raison pour laquelle le président avait choisi cette approche. M. Bush a invoqué l'autorité que lui donne sa position de commandant en chef des armées. Des républicains se sont joints aux démocrates pour réclamer des auditions. « Nous devons nous assurer que Big Brother ne s'installe pas dans notre pays », a déclaré Harry Reid, le chef de la minorité démocrate au Sénat. Effectivement, la mise sur écoute de communications téléphoniques ou électroniques au départ des Etats-Unis vers l'étranger sans mandat judiciaire constitue une rupture dans la pratique du renseignement américain. L'opposition démocrate, bien dans son rôle, a réclamé l'ouverture d'une enquête. « L'article 2 de la Constitution me donne la responsabilité et l'autorité nécessaires pour accomplir cela et, après le 11 septembre, le Congrès des Etats-Unis m'a aussi accordé davantage d'autorité pour utiliser la force militaire contre Al Qaîda », a répondu M. Bush. Selon lui, la « nouvelle menace exigeait de nous que nous pensions et que nous agissions différemment ». L'espionnage américain avait perdu la trace d'Oussama Ben Laden, alors sur écoute, à cause d'une telle polémique et de révélations dans la presse, à la fin des années 1990, a-t-il argumenté. Il a aussi dénoncé vigoureusement le blocage « inexcusable », au Sénat, de la reconduction du Patriot Act, un ensemble de lois octroyant des moyens accrus aux forces de l'ordre dans les enquêtes antiterroristes. Il reste que dès son adoption à la suite des attentats anti-américains du 11 septembre 2001, cette loi suscitait les plus vives inquiétudes, comme celle d'une autre chasse aux sorcières que l'Amérique avait vécue il y a un demi-siècle.