Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.
«Les actions menées par les avocats en Tunisie et en Egypte sont éminemment politiques» Entretien avec Me Abdelmadjid Sellini. Président du Conseil du barreau d'Alger
- Le projet de loi organisant la profession d'avocat est en cours d'étude à l'Assemblée nationale. Il est même programmé pour l'actuelle session. Certaines de ses dispositions sont perçues comme une remise en cause franche des droits de la défense, de l'indépendance de l'avocat, notamment les articles 24, 9, etc. Des barreaux comme ceux de Boumerdès, Alger, Tizi Ouzou grondent et menacent de recourir à l'action de rue si ces dispositions ne sont pas retirées. Qu'en pensez-vous ? Effectivement, au niveau d'Alger, les avocats et surtout la tranche jeune de la corporation se sont un peu élevés et protesté contre un certain nombre de dispositions contenues dans le projet de loi, notamment celles qui conditionnent leur possibilité de plaider au niveau de la cour après 7 ans d'exercice auxquelles s'ajoutent les deux années de stage et deux années de CAPA. Ils considèrent ça comme un traitement discriminatoire étant donné qu'ils ne peuvent plaider que dans les tribunaux et risquent d'être marginalisés. Pour nous, en ce qui nous concerne comme Ordre, comme institution, un certain nombre de dispositions qui mettent toutes les décisions et délibérations des assemblées et même le conseil de l'Union et l'assemblée générale des barreaux – qui est l'instance souveraine –, sous le contrôle du ministre de la Justice qui peut donc soumettre à la censure des juridictions administratives les décisions et délibérations des barreaux et de l'Union des barreaux. C'est une mise sous tutelle des ordres de cette profession qui a pour essence même les principes d'indépendance et de liberté, et c'est en totale contradiction entre ce qui est prôné par l'article 1 qui définit la profession comme étant libérale et indépendante, et dont le respect est une condition sine qua non si on veut garder un tant soit peu une certaine crédibilité à la défense des droits de l'homme et au regard que doivent apporter constamment les droits de la défense par rapport à la pratique judiciaire. La crédibilité d'une pratique judiciaire est jugée à l'aune de la présence des droits de la défense qui ne sont pas exercés dans de bonnes conditions actuellement. D'autres dispositions, notamment celles contenues dans les articles 9 et 24 et même l'article 124, qui constituent en quelque sorte une emprise sur la liberté d'action de l'avocat, sont tout autant problématiques. L'avocat peut tomber sous le coup de la suspension pour un simple incident d'audience. Or, on constate aisément et fréquemment que les règles de procédures ne sont pas respectées, et l'avocat se doit de s'élever contre de telles dérives. L'obligation est faite désormais à l'avocat, menacé de poursuite pénale, de ne pas se retirer d'une audience même lorsque le déroulement d'un procès est biaisé. Si on ne protège pas l'avocat dans l'exercice de sa profession, on ne risque pas d'avoir une défense libre et indépendante. L'immunité de l'avocat au moment de l'exercice de la profession est la garante du respect des droits de la défense. - Les bâtonnats n'ont-ils pas été consultés à propos de cette loi ? C'est une contrevérité que de dire que le bâtonnat d'Alger a donné son aval pour ce texte. Au contraire, on a tout fait pour que le bâtonnat d'Alger ne soit pas présent au moment opportun des discussions. Et j'ai, à chaque fois, réclamé et proposé le retrait des dispositions qui limitent les droits de la défense et mettent sous tutelle les ordres des avocats. - Le barreau d'Alger rejoindra-t-il officiellement le camp des contestataires ? Ce n'est pas une histoire de contestataires. Si on veut du bien pour ce pays, il faut que le statut des avocats soit le miroir des droits qui s'exercent en outre-mer. Pas en deçà des valeurs universelles en matière de droits de la défense. Ce n'est strictement dans l'intérêt de personne et c'est dans l'intérêt de la justice, des libertés, de la mission de défense qui doit jouir de moyens pour s'ériger contre l'arbitraire. A Alger, la mobilisation est déjà en cours. Nous avons déjà plus de 1000 signatures de confrères et consœurs qui demandent à ce que le projet de statut soit retiré. Le conseil a pris acte, ne peut ignorer les préoccupations de la base. Nous avons mis en place une organisation pour que la base puisse s'exprimer. Nous avons une réunion de travail cet après-midi (jeudi, ndlr) pour demander aux avocats d'Alger de se constituer en petits ateliers pour qu'ils puissent formuler leurs réserves, griefs et propositions et le conseil saisira ensuite l'assemblée générale du barreau, instance souveraine qui se prononcera sur la mouture de statut que voudrait avoir les avocats. - Est-ce que vous estimez que le rôle joué par la profession, par les barreaux et union des barreaux se situe au-dessus ou en dessous de celui rempli par les avocats tunisiens et égyptiens qui étaient vraiment en pointe des mouvements révolutionnaires qu'ont connus ces deux pays ? (Rires) Ecoutez, les actions menées par les avocats en Tunisie et en Egypte sont éminemment politiques. Il est vrai que le pouvoir tunisien est policier, répressif et les avocats eux-mêmes étaient parmi ses victimes. Le rôle actuel de l'Union des barreaux est de contribuer à la rédaction de la nouvelle Constitution, donner sa vision sur ce que ce texte fondamental qui doit refléter les aspirations du peuple et pourquoi pas aller vers une assemblée constituante. Pour l'heure, les avocats n'ont pas été appelés, et j'estime à ce propos que l'action politique appartient en réalité au peuple et aux partis politiques. C'est justement à ces partis que revient la charge de porter la parole du peuple, mais on constate qu'ils ne sont pas représentatifs et ne donnent pas écho de la volonté populaire. Cela dit, il est vrai que nous sommes en décalage par rapport à notre société : nous n'avons pas une vision réelle de sa composante et de ses volontés et aspirations. Le mieux, à mon sens, pour qu'il y ait un nouveau départ, constructif, il faudrait un débat national sur ce que doit refléter cette nouvelle Constitution, et ceci ne peut se faire que dans le cadre d'une constituante. Il faut que toute la société s'exprime et dise ce qu'elle veut comme Constitution et c'est à cette condition seulement qu'on aura des institutions réelles, pérennes, qui dirigeront le pays.