Les Soudanais retiennent leur souffle. Beaucoup d'entre eux considèrent que leurs dirigeants, y compris ceux du Sud qui ont voté pour l'indépendance, sont tombés dans le piège d'Abyei, cette localité du Sud devenue un abcès de fixation, faute d'accord. Abyei n'est pas seulement une ville balayée par les vents, mais elle est aussi traversée par les populations les plus diverses, chacune revendiquant un droit, de passage ou de pâturage par exemple, empêchant la conclusion d'un accord sur son statut définitif. Cela a donné le premier affrontement armé entre les forces du Nord et celles du Sud, et pour ce dernier sa première crise humanitaire puisque entre 30 000 et 40 000 personnes ont traversé la rivière qui tient lieu de frontière naturelle, fuyant l'armée gouvernementale qui avait lancé une vaste offensive il y a une dizaine de jours. L'heure est à l'apaisement, puisque des deux côtés de cette rivière, l'on s'applique à désamorcer les tensions. Et il n'en manque pas, même si le gouvernement soudanais a décidé de mettre fin à la mission de l'ONU au Soudan (Unmis) le 9 juillet, fin de son mandat actuel et date prévue pour l'accession à l'indépendance du Sud-Soudan. Forte d'environ 10 000 Casques bleus et un millier de personnels civils, l'Unmis avait été déployée au Soudan en mars 2005 en appui à la mise en œuvre de l'accord de paix (CPA) qui avait mis fin à deux décennies de guerre civile entre le Nord musulman et le Sud majoritairement chrétien et animiste. Le 27 avril dernier, le Conseil de sécurité de l'ONU avait prorogé son mandat jusqu'au 9 juillet, également date de l'accession à l'indépendance du Sud-Soudan qui avait voté en janvier à une majorité écrasante en faveur de la sécession. Au soir du référendum marqué par un oui massif pour l'indépendance du Sud-Soudan, il en est malgré tout qui se montraient et à juste titre, constate-t-on en fin de compte, quelque peu sceptiques. Il a suffi d'un problème pour que le Soudan renoue avec les images de la guerre civile. Il s'agit des conséquences de la prise de contrôle par l'armée gouvernementale de la petite ville d'Abyei que certains se gardent de situer, tant elle est disputée. «Abyei restera une ville du Nord jusqu'à ce que la population décide de la situation par elle-même», a déclaré le ministre soudanais de la Défense. La population d'Abyei devait choisir lors d'un référendum en janvier son rattachement au Nord ou au Sud. Mais le scrutin a été reporté sine die, les ex-rebelles sudistes et la tribu Dinka Ngok d'un côté, les Arabes nomades Misseriya et les nordistes de l'autre n'ayant pas réussi à s'entendre sur le droit de vote des électeurs. Tout a été dit sur cette région, et même qu'elle était une poudrière qui dynamiterait l'accord de paix de 2005. Abyei est au cœur d'une lutte pour l'accès à l'eau mais aussi de rivalités tribales historiques, et connaît une recrudescence des violences depuis le référendum de janvier. L'accord qui a mis fin à plus de deux décennies de guerre civile entre le Nord et le Sud prévoyait initialement la tenue «simultanément» de deux référendums en janvier 2011, l'un sur l'avenir du Sud-Soudan, l'autre sur le rattachement d'Abyei au Nord ou au Sud. Mais celui sur Abyei a été reporté sine die. Des divergences demeurent sur la délimitation de la région d'Abyei. Le 28 avril, le chef de l'Etat soudanais, Omar El Béchir, avertissait qu'il ne reconnaîtra pas le futur Etat du Sud-Soudan s'il revendique la province d'Abyei. Mission impossible ou coup fourré ? Toutes les hypothèses sont admises. L'Afrique ne devrait-elle pas s'en inquiéter ?