Comment permettre à des PME d'innover et de rester compétitives quand elles évoluent dans un environnement institutionnel et économique contraignant où la survie reste de loin la préoccupation majeure ? C'est là toute la problématique de la petite et moyenne entreprises algériennes à laquelle ont tenté de répondre des patrons, financiers, économistes et autres universitaires ayant pris part la semaine dernière à Alger au 10e symposium international de MDI Business School. Le constat fait par les uns et les autres laisse penser qu'en dépit des mesures et décisions annoncées ces derniers en temps par le gouvernement en faveur des PME en termes de financement, d'accès au foncier, d'accès au marché public, de mise à niveau, le décalage avec la dure réalité du terrain reste important. Autant de dire que parler d'innovation dans ces conditions paraît inapproprié. L'économiste Abdelmadjid Bouzidi s'est demandé dans ce cadre s'il était possible de parler d'innovation «dans le contexte d'une économie protégée, marquée par un patriotisme économique où il n'y a pas de contrainte d'efficacité». «On innove quand on est sous la menace», a rétorqué Sid Ahmed Berrouane, professeur de management à l'université du Minnesota. Faire preuve d'innovation n'est donc pas la préoccupation majeure des PME algériennes en ce moment, à la différence de la question de l'accès au financement qui demeure au centre de toutes les polémiques. Pourtant avec le fonds national d'investissement réparti sur toutes les wilayas, les sociétés de capital-risque, les sociétés de leasing, les fonds de garantie de crédit, l'Etat a mis en place tout un éventail de mécanismes susceptibles de faciliter l'accès aux financements. D'ailleurs, le président du Forum des chefs d'entreprises, Reda Haminai, le reconnaît. «La panoplie institutionnelle existe, mais l'administration économique ne suit pas le relent des réformes», a-t-il dit. Le problème se situe ailleurs. «Les responsables principaux des banques publiques ont déserté, ce qui fait que les délais de traitements des dossiers des crédits sont trop longs, parfois jusqu'à un an. Le financement bancaire s'arrête à 70% et la garantie qui est le leitmotiv des banques s'accompagne souvent d'une caution personnelle», a-t-il noté. En outre, «on a créé des fonds de garantie pour rassurer les banques, mais la valeur ajoutée de ces fonds reste très faible». Le poids de la garantie Certes les crédits accordés par les banques atteignent les 2700 milliards de dinars par an, mais ce chiffre doit être relativisé, car il comprend «les crédits logement et les crédits d'importation», a indiqué M. Hamiani, estimant que les «banques sont plus promptes à donner des crédits d'importation que des crédits d'investissement». Un argument réfuté par le PDG du CPA, Mohamed Djellab, qui affirme qu'avec «24% de croissance annuelle des crédits à l'économie, on est à la limite de la surchauffe». Il reconnaît que les banques ont «des insuffisances opérationnelles», mais les entreprises aussi doivent «avoir une meilleure maturation des projets et se faire accompagner notamment sur le plan du montage financier». Il explique par ailleurs que «dans la quasi-totalité des cas, les garanties demandées par les banques sont liées au projet et il n'y a pas de garanties liées aux personnes». De surcroît, ajoute-t-il, «ce n'est pas la garantie qui permet aux banques de recouvrer leurs crédits». Le recours systématique à la garantie exigée par les banques, le délégué général de l'Association des banques et des établissements financiers (ABEF), Abderrahmane Benkhalfa, l'explique quant à lui par «la rentabilité du projet quand elle n'est pas évidente». De toute manière, soutient-t-il, «il y a très peu de recours à la mobilisation de la garantie par voie judiciaire. Elle a plus un effet dissuasif qu'autre chose». A côté des garanties exigées, il existe aussi des fonds de garantie censés tranquilliser les banques dans leur prise de risque. Toutefois, selon M. Benkhalfa, «ces mécanismes de garantie doivent être revus parce qu'ils n'ont pas eu un effet de levier escompté». Politique monétaire restrictive D'une manière générale, si le niveau des crédits à l'économie a évolué, «la qualité, la profitabilité et la pérennité des affaires financées font quant à elle défaut», reconnaît le porte-parole de l'ABEF. Il explique cela par le fait que «les créations d'entreprises ne sont pas portées par le marché. Elles n'ont pas de débouchées». Quels que soit les arguments développés par les banquiers et les chiffres qu'ils avancent, leur attitude vis-à-vis des PME privée suscite toujours la polémique. Le PDG du CPA évoque «une approche judiciaire contraignante» qui fait que «beaucoup de banquiers sont en prison par ce qu'ils ont donné des crédits», d'où leur réticence. Mais pour Abdelmadjid Bouzidi, il y a «une aversion au risque» de la part des banques. Une situation que l'économiste renvoie «à une politique monétaire hyper restrictive» prônée par le gouverneur de la Banque d'Algérie et justifiée, selon lui, par «le budget de l'Etat qui finance tout». Très remonté contre le gouverneur de la BA Mohamed Laksaci, M. Bouzidi l'a d'ailleurs appelé à «se réveiller», estimant que «dans 5 ans», on subira le retour de manivelle d'une telle politique. Le professeur Bouzidi estime qu'il y a «un problème de politique économique dans laquelle la conception du financement n'est pas bonne». Du côté des universitaires, on est beaucoup moins catégoriques. Boualem Aliouat, professeur à l'université de Nice soutient que «le succès ou l'échec d'une entreprise n'est pas lié exclusivement au financement». Selon lui, «on attribue aux banques un rôle qu'elles ne devraient pas jouer et c'est pour cela qu'il faut revoir le système de financement en Algérie de sorte à mettre en place des structures spécifiques de prise de risque dont la vocation est de financer aussi la probabilité d'échec».