La salle de conférence de la Cour suprême s'est transformée hier en un tribunal, où les procureurs généraux et les présidents de cour se sont succédé à la barre pour expliquer leurs faiblesses et rendre compte de leur gestion, devant un jury composé du ministre de la Justice, Tayeb Belaïz, et ses directeurs centraux. Les bilans établis par les premiers magistrats « cités à la barre » sont passés au crible par un ministre qui semblait très au fait des plus petits détails et anomalies des juridictions. Les confrontations entre les propos des chefs de cour et les informations contenues dans les rapports des directeurs centraux de la chancellerie se sont terminées parfois en contradictions flagrantes. Le procureur général d'Adrar avait, par exemple, affirmé que 98% des affaires étaient jugées, alors qu'au niveau du ministère, la directrice avait plutôt noté que le pourcentage des affaires jugées était de 45% seulement. Les questions de Belaïz sont tellement directes qu'elles ont mis mal à l'aise le magistrat, notamment lorsqu'il l'a interrogé s'il contrôlait directement les lieux de détention au niveau des commissariats de police et de la gendarmerie. A peine a-t-il déclaré « Je crois... » qu'il est tout de suite interrompu par Belaïz : « Vous êtes magistrat, nous n'avez pas le droit de croire. Vous agissez. Je veux une réponse claire. Contrôlez-vous personnellement ces lieux ou vous contentez-vous des rapports ? » Une question qui a laissé le procureur général sans voix pendant quelques secondes. Le ministre est revenu à la charge. « A quelle date remonte l'incarcération de votre plus ancien prévenu ? », lui a-t-il demandé. Le magistrat a d'abord hésité avant de répondre : « Je pense que c'est au mois d'août 2005. » Affirmation rectifiée par le président de la cour d'Adrar. « Le mois de juin 2005, monsieur le ministre », a-t-il lancé. L'orateur a néanmoins fait état des problèmes rencontrés à cause du manque flagrant des huissiers de justice, actuellement au nombre de trois dans cette wilaya. LA QUALITÉ DES DÉCISIONS, UNE PRIORITÉ Il a également fait remarquer que le recours à la détention préventive reste exceptionnel, « puisque sur les 203 affaires, seulement 57 mandats de dépôt ont été délivrés ». La présidente de la cour de Bouira, très succincte, a fait état, quant à elle, des raisons qui ont enregistré un retard dans le traitement de certaines affaires. Elle a indiqué que les prévenus représentent mois de 10% de la population carcérale. Elle a surtout mis l'accent sur le manque des huissiers de justice dans sa juridiction. Le procureur général d'Oran a, quant à lui, lancé un véritable SOS en direction du ministre pour la construction rapide d'un tribunal pour la ville d'Oran. « Il est inacceptable de continuer à travailler dans des conditions pareilles marquées par 15 audiences civiles et 10 pénales par semaine. Le tribunal de Gdyel fonctionne avec des équipements qui remontent à l'époque coloniale... » Le ministre l'a interrompu pour s'adresser à ses cadres. « Je veux qu'avant le 4 janvier 2006, les tribunaux et les salles d'audience soient totalement équipés. Parce que cela doit être la priorité des priorités... » Le ministre a qualifié la cour d'Oran « d'exemple » et de « bon élève » dans la modernisation puisqu'elle a réussi à concrétiser tous les objectifs tracés par la chancellerie dans le domaine. Le procureur général a également fait état des dysfonctionnements dans la gestion du greffe, notamment à travers l'instauration de deux registres, l'un (prévu par la loi) pour les audiences et l'autre pour les verdicts. « Une situation sur laquelle il faut rapidement se pencher... », a-t-il noté avant de conclure : « 2006, les avocats et les magistrats du ministère public ne recevront plus de papiers, mais des CD contenant toutes les informations. Nous aimerions seulement nous relier à l'Ecole nationale de la magistrature pour pouvoir suivre des vidéo-conférences. » Le ministre est revenu sur les avancées en matière de délivrance du casier judiciaire, actuellement possible par internet, et en trois minutes seulement, ainsi que le certificat de nationalité, que les Algériens peuvent retirer dans n'importe quel tribunal du pays, y compris pour ceux nés à l'étranger. Il a dénoncé les magistrats qui « se permettent d'interpréter à leur manière des textes de loi très claires, notamment les codes de la famille et de la nationalité ». Il a averti que sa priorité, aujourd'hui, est « de veiller à la qualité des décisions rendues par les tribunaux ». Dans son long discours, à l'ouverture des travaux de cette rencontre, qui prendra fin demain, le ministre est revenu sur la question de la réforme et les objectifs, selon lui, non encore réalisés, notamment à travers les lenteurs dans l'exécution des décisions de justice et le suivi direct de la gestion des tribunaux et des cours par les chefs de ces juridictions, et dont dépend, a-t-il estimé, « l'image de la justice ». Avant de quitter la salle pour des engagements professionnels, le ministre a donné rendez-vous aux magistrats pour aujourd'hui, pour la suite des auditions.