Al Hit, pièce de la troupe Al Assil de Laghouat, donne la parole à des murs, qui, dans les pays des séparations réelles ou artificielles, parlent ! Vue en plongée, l'Algérie est un pays de murs. Les uns sont visibles, les autres indétectables à l'œil nu. Des murs ? Entre le pouvoir et la société, entre l'université et la ville, entre la génération de la guerre de libération et celles d'après, entre les militaires et les civils, entre la culture et la politique, entre les plus riches, les riches et les pauvres, entre les villes et les villages, entre… Et que dira une muraille lorsqu'elle aura une voix ? Des choses pas belles à entendre. Dans un pays où les murs ont des oreilles, il n'est pas facile que ceux-ci disent tout haut ce qu'ils entendent ! Le marteau n'est jamais loin… Al Hit (le mur), la pièce de Haroun Kilani, programmée en «in» au sixième Festival national de théâtre professionnel (FNTP) et présentée dimanche soir au Théâtre national Mahieddine Bachtarzi, à Alger, a tenté d'explorer l'univers bétonné des remparts. Deux murs qui se parlent, racontent, se lamentent, accusent les coups, supportent l'odeur des urines, vomissent, crient et se révoltent. Ils sont désespérés comme peuvent l'être des humains écrasés par le mépris et la loi des plus forts. Il y a du dépit. Cela est montré par une scène sombre.De temps à autre, des ombres blanches passent. Elles renvoient sans doute à tous ces «gardiens» du temple qui sont là, derrière les murailles de la morale et du prêt-à-penser, pour surveiller l'ordre, entretenir la monotonie des jours qui passent et nourrir les soumissions. Des ombres blanches qui prennent de la hauteur lorsque les murs, qui ont la forme des hommes aux voix rauques, sont rattrapés par les douleurs et les souvenirs. Et d'un seul coup, l'espoir est permis. Permis par la révolte ! (les printemps tunisien et égyptien ont montré qu'il n'existe pas d'autre voie). Les ombres se débarrassent de leurs couvertures et ressemblent enfin à des humains qui vont à l'assaut d'une muraille noire, reviennent au-devant de la scène et repartent ouvrir une brèche. Ils passent de l'autre côté en tombant dans une ambiance tout en rouge. Ceux qui émigrent et qui prennent le chemin de l'exil vivent-ils le bonheur absolu ? L'Europe n'est-elle pas devenue une forteresse repoussante ? Note d'éspoir La brèche se referme et les murs poursuivent le cri, l'expression profonde des tourments. Ici, le feu, là la pluie, plus loin la neige. La nature ne se plaint jamais, malgré les massacres des hommes et les artifices des civilisations. Des éléments naturels restitués avec intelligence sur scène. Les chorégraphies l'étaient moins. La pièce, jouée en arabe classique, se termine par une petite note d'espoir. «Lasta wahidan» (tu n'es pas seul !), crie l'un des murs. Tous les personnages se regroupent sous un cercle de lumière. Cela peut être le soleil qui va un jour se lever sur des terres assombries par la hogra, la haine, le mensonge, le vol et les libertés confisquées. Cette note est poétique certes, mais elle est un peu simpliste. Mokhtar Mouffok, qui a conçu les lumières, aurait peut- être pu améliorer son idée pour ne pas tomber dans la facilité. Dans l'ensemble, la pièce, une production de la troupe Al Assil de Laghouat, adaptée d'un texte de Khodr Dhou El Fikkar, révisé par Abdelrazak Boukeba, est plongée dans les eaux de la tragédie jusqu'au cou. Ce n'est pas un tort, mais ça lasse un peu le spectateur. Il y a comme un manque de fraîcheur. Parfois, le texte est confus. Autant que le jeu des comédiens. Lorsque la diction est collective, elle devient opaque, inaccessible. Sur ce plan, il y a beaucoup d'aspects à revoir. Le problème ne réside pas dans la langue, mais dans la manière de dire les mots sans appuyer sur la voix. La surcharge vocale est une véritable plaie dans le théâtre algérien. La scénographie de Haroun Kilani est maigre et trop dépouillée. La scène est vide, trop vide. Vacuité qui suscite un sentiment désagréable. Dommage pour une pièce marquée par un jeu sincère des comédiens : les frères Ali et Smaïl Kerboun, Djahida Meslem, Keffaf Al Azhari, Nekaa Zerrouk, Abdelkader Rouahi, Saïda Ouadji, Mokhtar Zaïtri, Aïssa Haddid, Djelloul Benseghir, Laïd Chadi et Abdelkrim Soualmi. L'envie de faire du théâtre est si présente chez eux. Aujourd'hui sera clôturé le sixième FNTP par la remise des prix aux meilleures productions théâtrales.