Depuis la démission surprenante(1) du défunt M. S. Mentouri de la présidence du CNES en 2005, cette institution de l'Etat fonctionne dans l'illégalité complète et dans l'illégitimité absolue. En effet, cette deuxième version du CNES, après celle des années 1960, dirigée de main de maître par C. Belkacem(2), a été remise en route par les «réformateurs» au début des années 1990, dans le but de «mâturer» les réformes économiques et d'ancrer le débat contradictoire économique et social dans les traditions de notre pays. Les statuts du CNES disposent que cette institution de l'Etat émane des «groupes socioprofessionnels(3) qui la composent», ce qui donne une importance capitale à la représentation des composantes de notre société dans l'institution et réciproquement, sa représentativité garantit sa crédibilité sociétale. S'agissant d'un Conseil consultatif par excellence (4), le rapport de force à l'intérieur de l'institution est lié au poids relatif des groupes socioprofessionnels et à leur qualité intrinsèque. Deux groupes ont donc émergé, lors de sa deuxième création, à savoir, d'un côté, les représentants des travailleurs(5), et de l'autre, ceux des patronats publics(6) et privés(7). Les autres groupes socioprofessionnels ont fait «l'appoint» de manière à élargir au maximum sa représentativité et enrichir le débat au sein du CNES.La société civile(8), l'administration(9) et le groupe des «intuitu nominé»(10) complètent le spectre de 180 conseillers que compte le CNES. Cette distribution devait assurer la diversité en même temps que le professionnalisme et mobiliser des ressources humaines dotées de capacités de propositions. Organisé en la forme de commissions thématiques(11) dont les membres sont distribués par les groupes socioprofessionnels, puis élus par leurs pairs, le CNES est dirigé par un bureau(12) émanant des groupes socioprofessionnels qui élit en son sein le président de l'institution. La liste des 180 membres du CNES fait l'objet d'une publication annuelle au JORA(13), pour officialiser et solenniser la représentativité de l'institution et justifier son budget (une prime mensuelle de 8000 DA est allouée à chaque conseiller). L'administration du CNES est essentiellement constituée par du personnel administratif de soutien logistique et de cadres techniques spécialisés, chargés du suivi des travaux des commissions. Un budget «études» est également prévu pour mener des travaux spécifiques, décidés par le bureau et attribués à des bureaux d'études publics et privés et à des personnalités, es qualité, autant que de besoin et contractualisés, normalement, dans le cadre de la réglementation qui régit ce genre de contrat. En aucun cas l'administration du CNES ne devait se substituer ni aux conseillers et encore moins aux structures légales et statutaires du CNES que sont les groupes socioprofessionnels, en premier lieu et les commissions également ! Cette tendance au phagocytage est une dérive absolue qui a fait l'objet d'un âpre débat, en son temps, lorsqu'un «jeune gringalet», coopté président du CNES, par le groupe «des entreprises publiques», a cru possible d'instrumentaliser l'institution pour construire «sa carrière politique» (il ne s'en relèvera plus). En effet, la question préjudicielle était de savoir si le CNES devait être un «bureau d'études» ou une institution consultative de «maturation des problèmes économiques et sociaux» ? Toutes les tentatives et pressions fortes des pouvoirs publics pour confiner le CNES dans un statut de «bureau d'études» ont été rejetées par les conseillers et notamment les élites qui le composaient. Le CNES avait gagné sa première bataille qui était celle de l'autonomie relative, garante de sa crédibilité, dans un environnement d'inféodation générale des autres institutions de l'Etat. Cette victoire, arrachée de haute lutte, a permis au CNES de produire et d'approuver, en assemblée générale, après débat et vote individuel, des rapports de bonne facture, sur différents sujets économiques et sociaux qui lui font honneur et qui vont devenir des références, tant au niveau national qu'international. Cette marge de manœuvre, pourtant très étriquée, va être sans cesse remise en cause par les différents pouvoirs faibles(13) qui se sont succédé jusqu'à aujourd'hui. Tous les présidents de la République et les Premiers ministres successifs n'ont eu de cesse de tenter de neutraliser(14) le CNES, de manière à ce qu'il rentre dans le rang et qu'il encense les différentes politiques publiques menées, sans aucune critique possible. Le rapport de force entre le CNES et le pouvoir va aller jusqu'à ce que ce dernier envisage sérieusement de le dissoudre (pour la deuxième fois), car devenant un organe «où s'est réfugiée l'opposition», disait-on, une espèce de contre-pouvoir, quel sacrilège ! Il n'était pas bon, à une certaine époque, de dévoiler son appartenance au CNES et certain cadre commençait à démissionner ou à faire en sorte de se faire débarquer pour «raison personnelle», de peur des représailles de leur tutelle. Le mode relativement démocratique de fonctionnement du CNES, à travers les groupes socioprofessionnels (eux-mêmes élus et provenant d'associations où ils se sont fait élire), les commissions thématiques statutaires, où un président, un vice-président et un rapporteur sont élus par leurs pairs et enfin, le bureau du CNES également élu par ses pairs, de même que son président, avaient permis un déroulement relativement serein des sessions du CNES. L'adoption, par vote individuel, des recommandations leur assurait une certaine qualité, même si le CNES n'était pas toujours allé aussi loin dans la perfectibilité de ses rapports et n'avait pas tiré toutes les conclusions qu'elles entraînaient, mais le problème était correctement posé et les solutions les plus appropriées affichées. D'autres actions intérieures, plus sournoises, consistaient à «mettre sous le coude» l'examen des dossiers sensibles (politique des hydrocarbures, déséquilibres régionaux, dette extérieure) sans que cela ne puisse arrêter la volonté des conseillers de débattre des sujets tabous et de proposer des solutions. En outre, le CNES a été une excellente école pour celles et ceux qui n'avaient jamais appris à écouter les autres, autrement qu'en imposant leurs idées, jusque et y compris celles les plus farfelues. L'art de la réplique et le débat contradictoire n'étaient pas en reste, ils remplacèrent progressivement la vindicte et l'insulte des premiers balbutiements de l'institution. Les ambitions personnelles et les rancœurs se sont révélées et ont permis une décantation générale, au bout de quelques années d'exercice, chacun reprenant la place relative qui était la sienne, après l'épreuve de vérité incarnée par la maîtrise des dossiers, les capacités de propositions, l'art de communication et de persuasion, l'authenticité des convictions. On peut affirmer, sans forfanterie, que le CNES a contribué, modestement, à jeter les bases d'un débat économique et social contradictoire, utile à la société algérienne, en sédimentation sociologique rapide. Que reste-t-il aujourd'hui de cette institution à part son administration(15) ? Rien, sinon la façade lézardée d'un couvent auquel on a arraché l'âme ! Convoqué à la présidence de la République (directeur de cabinet), après la démission du défunt M. S. Mentouri, pour «réactiver» le CNES par ses éléments essentiels que sont les groupes socioprofessionnels, demande nous avait été faite de renouveler les instances originelles génitrices de la composante de l'institution, chacun pour ce qui le concerne (associations, syndicats, administrations…) de manière à investir de nouveau, statutairement, le CNES à travers le bureau, les commissions, les groupes socioprofessionnels, après une session organique extraordinaire réglementaire et dûment scrutée par des conseillers élus. Cette procédure statutaire et légale, qui n'a jamais eu lieu, aurait dû permettre un toilettage général de l'institution des scories et autres «fait du Prince» qui se sont infiltrés durant ses longues années d'existence, tant dans l'administration du CNES que dans le spectre de conseillers. En lieu et place de cette démarche légale et statutaire, qui aurait pu redynamiser le CNES et lui redonner sa dignité en tant qu'institution consultative au service de l'Etat, nous avons eu droit au vaudeville de réunions ad hoc et informelles qui se sont subrogées aux instances statutaires et légitimes du CNES. L'administration du CNES également s'est permis de produire «des rapports techniques», sur la base de saisines factices, sans contrôle des organes statutaires et légaux du CNES (commissions et groupes socioprofessionnels) et bien entendu, sans le vote ni les autres approbations des recommandations, par les conseillers du CNES. Vidé de sa légalité statutaire et partant de sa légitimité, le CNES rentre dans le rang et rejoint le lot des appareils transformés en «coquille vide», que le pouvoir instrumentalise à satiété, comme en témoigne la dernière «mission» dévolue au CNES et qui n'a rien à voir ni avec ses statuts ni avec sa mission originelle ! Il ne faudra pas s'étonner, par la suite, du manque de représentativité de la société algérienne, dans le processus de refondation sociopolitique de notre pays, appelé de ses vœux, d'abord la population algérienne toute entière mais également par les observateurs étrangers avertis(16). Pour paraphraser un politologue(17) fertile et prolifique qui fait référence actuellement, «le système est devenu chroniquement défaillant».En attendant les résultats miraculeux des concertations politiques actuelles organisées entre appareils et sans la société, l'administration du CNES s'est donc arrogée le droit de «fertiliser la société civile algérienne»… en se subrogeant au wali Sidi Zerzour*… La grande zerda se déroulera à Club des Pins, pendant trois jours et trois nuits, avec du «djaoui» et du «bkhour», autour de «meddahate», en transe !