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La parabole du néant
Kamel Daoud, un conte de la folie ordinaire
Publié dans El Watan le 22 - 12 - 2005

Dans un roman palpitant et incisif, La Fable du nain, Kamel Daoud décline la chronique cruelle d'une descente aux enfers de la déchéance, il décrit le basculement dans le trouble de la personnalité avec comme adjuvant le refuge - quasi clinique - dans la dualité, le dédoublement, la quête du moi et son déni.
Cet ouvrage magnifique examine un cas d'école, celui du Narrateur dont on découvre dès l'entame du récit qu'il a vécu pendant trois mois dans la Grotte, lieu symbolique d'une aliénation et d'un enfermement tout à la fois. Le Narrateur est entré dans sa 32e année. Il a eu une enfance singulière, élevé par un grand-père qui, sur son lit de mort, dialoguait avec un officier turc de la période ottomane en Algérie et qu'il était le seul à voir. Cet antécédent familial significatif entre dans la construction mentale du Narrateur dès l'enfance donc, et elle explique ses ruptures de caractère, cette fêlure de l'ego qui le conduira plus tard à un comportement suicidaire. La Grotte présente dans un tel cas de figure une dimension clinique. Le Narrateur n'est pas seul : il a des voisins de tous âges dans La Grotte, des enfants et des adultes, et il entend des voix. Mais dans cet espace de vie insondable, dans lequel il est entré, Le Narrateur ne regarde que le nain, personnage investi de tous les vices du monde. Le nain, habillé de vert-de-gris est répulsif, répugnant, arc-bouté sur sa laideur et sa difformité physique et morale. Il est aussi le nabot, le gnome obligatoirement monstrueux qui hante les jours et les nuits du Narrateur. Le nain ne dédaigne pas les jeux d'une séduction d'autant plus perverse qu'elle s'assigne à gommer la personnalité de ses victimes. Le nain aspire les êtres faibles qui succombent à sa vénale séduction. Le nain est transformiste, par conséquent il a la faculté de dérober purement et simplement leur identité aux faibles êtres qui tombent sous sa coupe vénéneuse. Le Narrateur est de cela. Son entrée dans La Grotte est le résultat d'une rupture : le Narrateur a abandonné son travail - vraisemblablement celui d'instituteur - et cette séquence de l'isolement absolu le place dans une situation de tête-à-tête avec lui-même. Mais à mesure que le temps passe et que Le Narrateur avance dans sa sinueuse introspection, il se voit dans le nain et il voit le nain en lui. Le temps paraît alors au Narrateur s'être distendu : les trois mois de La Grotte ressemblent presque à une plage d'éternité. Le nain, de manière implacable, a pris possession du Narrateur. Une possession certes démoniaque, car elle est déterminée à un effacement consenti du Narrateur et son assentiment à l'emprise qu'exerce désormais le nain. Autrement dit, le truisme du nabot, du gnome, le nain en un mot, révèle au Narrateur cette seconde nature qu'il a en lui, cette hideur des sentiments, cette aspiration mortifère à l'auto-destruction que l'humanité porte depuis les temps les plus immémoriaux. La figure inquiétante qu'offre le nain se superpose - quand elle ne s'y substitue pas - à celle du Narrateur. Kamel Daoud, avec un rare talent d'écriture orchestre la montée en puissance de cette confrontation maladive entre Le Narrateur et le nain. Dans la tradition de la grande littérature fantastique ou onirique, Kamel Daoud dépeint ce phénomène de la possession, cette érosion identitaire, mais aussi le travail d'auto-suggestion accompli par un personnage - Le Narrateur - dont les capacités de résistance aux atteintes maladives se sont érodées. Le nain est alors cette idée pernicieuse - celle du renoncement, de la soumission, qui peut habiter tout un chacun. Le combat du Narrateur consiste donc à se libérer de cette culpabilité primale qui l'a amené dès lors qu'il ne s'acceptait pas à avoir de la haine pour les autres. Une haine dont ne peut être capable que le nain, cette projection abyssale d'un être aux mille visages, un être du néant et de la nuit la plus obscure, la plus terrible, la plus glaciale, celle où l'humanité est exposée, et les individus aussi, au péril de se perdre. Dans La Fable du nain, récit dans l'esprit de Gogol et des Contes de la folie ordinaire, Kamel Daoud mène de main de maître le lecteur dans les méandres du subconscient d'un Narrateur qui, en fin de parcours, parvient à une manière de rémission. On est surpris par la qualité de cet ouvrage qui, à sa sortie, début 2003, n'avait pas eu le retentissement que mérite à tous points de vue une œuvre de vraie maturité où les lecteurs trouveront du sens et qui révèle un auteur d'une incontestable stature car avec La Fable du nain, il réussit la formidable entreprise de joindre l'art et la manière. La Fable du nain est une œuvre qui a sa place dans toutes les bibliothèques.
Kamel Daoud, La Fable du nain, éditions Dar El Gharb (Algérie-2003), 126 pages


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