Beaucoup d'indus bénéficiaires ont profité de cette véritable aubaine qu'est le logement social, alors que des familles entières sont réduites à évoluer dans de misérables taudis depuis les années 1960. C'est un baraquement perdu aux fins fonds de la cité Améziane, timidement niché derrière le cimetière central, entre deux ruelles raboteuses. Erigés dans les années 1960, ces taudis sont occupés par huit familles composées en moyenne de sept membres chacune. Ils apparaissent sur deux sentiers escarpés, à proximité d'un enchevêtrement de constructions anarchiques. Jadis couverts de toits de tuiles, ils ont été reconstruits en tôle et parpaing. Le président de l'association de quartier El Amal, Nasreddine Soltane, nous livre ces précisions: «Nous avons fait l'objet d'un premier recensement en 2001, et nous devions être relogés en même temps que la soixantaine de familles du centre de transit qui était non loin de là. Puis, les autorités se sont ravisées, et nous ont reportés à 2003. Depuis, plus rien, en dépit de toutes les démarches entreprises et courriers adressés aux autorités concernées, jusqu'à il y a un mois, où une commission est encore venue nous recenser.» Un autre habitant de renchérir: «Vivre ici est une souffrance intolérable au quotidien. Nous essayons de préserver nos enfants de la délinquance, des maladies, de la déperdition scolaire et de bien d'autres fléaux, mais ce qui fait mal, c'est que des gens récemment installés dans des bidonvilles, et souvent non méritants, ont été relogés. Nous sommes à Constantine depuis plusieurs générations, et nous avons longtemps nourri une confiance aveugle en nos dirigeants; aujourd'hui, notre situation est dure, intenable.» Sur place, nous avons été accueillis par une de ces familles. Leurs «maisons» non aérées sont des étuves, alors que l'été ne s'est même pas encore installé. «Ce bidonville est un repaire de rongeurs et autres bestioles dangereuses, et nous recourons à mille subterfuges pour nous en préserver», se sont écriées plusieurs personnes. Leurs voisins des habitations anarchiques viennent déverser leurs ordures ménagères dans leur espace immédiat, générant un affreux magma d'odeurs pestilentielles. «Nous sommes déjà des laissés-pour-compte, et nos voisins en rajoutent avec leur mépris», disent-ils. Pour notre part, nous avons relevé chez cette petite communauté un sens du civisme rarissime de nos jours. Ils ramassent, à chaque fois, les immondices des autres et nettoient les lieux dans le silence. Pour adoucir un tant soit peu les dures conditions dans lesquelles ils vivent, ils ont agrémenté leurs bicoques de fleurs et de plantes vertes. «C'est grâce à nous que ce bidonville n'a pas connu d'extension; beaucoup d'opportunistes ont voulu le squatter, dans l'espoir de bénéficier d'un logement, et nous les en avons empêchés au risque de nous faire lyncher», relève le président de l'association de quartier. Un autre habitant évoquera les maladies qu'ils ont développées dans ce milieu malsain: «A force de me faire du souci pour mes enfants, j'ai contracté le diabète ; ici on souffre d'allergies et de bronchites à cause de l'humidité en hiver et des infiltrations d'eaux pluviales.» Leurs effets domestiques, inutilisés pour l'instant, sont stockés dans des réduits. Vrai, ces personnes, qui tiennent par-dessus tout à leur dignité, font de la résistance au quotidien. Et ce n'est pas un vain mot sachant qu'ils côtoient une cité réputée chaude, abritant, de source confirmée, beaucoup de délinquants et autres dealers. «Aujourd'hui, nous estimons que nous sommes lésés, car ce bidonville, le plus ancien de tous, est caché, loin des regards, et c'est pour cela que nous n'avons bénéficié d'aucune priorité. Notre vœu le plus cher est qu'on nous reloge, comme promis, dans les prochains mois», émet le président de l'association.