Fuyant la misère de leurs douars, des milliers de familles paysannes se sont installées à la périphérie d'Alger où elles s'entassent dans d'effroyables bidonvilles. Les opérations de «dégourbisation» ont fait long feu, car ces familles, de plus en plus nombreuses, continuent d'affluer par vagues successives vers la capitale, squattant le moindre espace à l'abandon. A Ouled Fayet, elles sont plus de 450 à vivre dans 4 bidonvilles dans des conditions qui rappellent les tristes années de la colonisation. Une fois divorcée, Saliha M. n'avait pas d'autre choix que de se débrouiller un logement où s'abriter avec sa fille d'un an et le garçon dont elle accouchera 6 mois plus tard. Elle ne pouvait retourner chez ses parents à El Madania qui vivaient avec leurs deux garçons et leur marmaille dans la promiscuité affligeante d'un F3 ni louer un appartement avec la misérable paie qu'elle perçoit dans l'entreprise qui l'emploie. «Mais Dieu est grand. En 1998, une cousine qui habite à Baba Hassen m'a parlé d'un endroit à l'entrée d'Ouled Fayet où des gens étaient en train de construire des baraques. Je me suis alors rendu sur les lieux en compagnie d'un de mes frères. Sur place, nous avons constaté effectivement quelques baraques en contrebas du château d'eau. Les habitants nous ont orientés vers le président de l'EAC qu'on a rencontré au village. Une fois que je lui ai expliqué ma situation, il m'a autorisée à construire mon logement.» Planches, roseaux et morceaux de tôle ondulée En fait de construction, la baraque de Saliha est un ensemble de planches de récupération, de roseaux, de morceaux de tôle ondulée, de grillage recouvert de plastique – le même qu'on utilise pour recouvrir les serres agricoles – et de quelques panneaux d'Eternit en guise de toiture… Une cour minuscule, recouverte de façon sommaire de plastique translucide, lui sert à la fois de cuisine, de salon et de salle à manger, si tant est qu'il convient d'appeler ainsi cet espace lugubre. Il n'y a ni table, ni chaise, ni fauteuil, juste quelques bancs et des peaux de mouton jonchant le sol. La «grande» salle abrite toute la famille qui s'est agrandie de trois autres enfants depuis que Saliha s'est remariée au début des années 2000. Il n'y a pas de douche, une espèce de réduit sert de toilettes... En somme, la misère dans toute sa splendeur. Les 26 familles qui occupent ce site, désormais intégré au futur Dounya Parc, ne sont pas mieux loties : toutes vivent la même précarité dans leurs minuscules baraques conçues avec les mêmes matériaux hétéroclites. «Victime de la terreur» Le vœu le plus cher de Saliha et ses voisins est de partir au plus vite de cet endroit. «Il y a même des serpents et des scorpions à l'intérieur des baraques, en plus des rats et autres bestioles qui peuvent nuire aux enfants», nous dit, horrifiée, Mme B. Nouria. Originaire de Tablat, elle vit ici depuis 1997, l'année où elle a décidé avec son époux de fuir la misère de son douar et la terreur imposée par les groupes islamistes armés. Mohamed A., s'est installé dans ce bidonville en 1999, après avoir abandonné sa terre et sa maison à cause de l'insécurité qui régnait à El Karimia, dans la wilaya de Chlef, d'où il est originaire. «Maintenant, les enfants ont grandi, certains se sont mariés, et personne ne veut rentrer avec moi au bled», explique-t-il, ajoutant qu'il ne peut que se plier à la volonté de ses enfants. A l'exception de trois familles algéroises, tous les occupants du bidonville sont originaires de l'intérieur du pays, essentiellement de régions connues pour avoir longtemps subi le diktat des groupes terroristes. Des taudis construits en une nuit Arrivées par vagues successives, entre 1993 et 2002, les familles fuyant l'insécurité ont atterri ici, au château d'eau, mais aussi au Plateau et au domaine agricole Semghouni, encore appelé haouch Guillès. Elles sont plus de 450 à vivre dans des taudis construits parfois «en moins d'une nuit», dans d'effroyables conditions d'insalubrité. Le plus grand site est sans conteste celui du Plateau, sur les hauteurs de la ville de Ouled Fayet. 160 familles s'y agglutinent, attendant avec impatience un relogement qui n'arrive toujours pas. «Avant les élections, ils sont venus nous recenser ; ils ont mis des numéros sur nos portes, et ils ont pris des renseignements pour, disaient-ils, nous établir des actes d'attribution de logements sociaux. Mais, depuis, nous n'avons rien vu venir», nous dit Saliha. «C'est la wilaya qui va trancher» Seddik Djebbari, l'adjoint au maire de Ouled Fayet a été on ne peut plus clair au sujet des bidonvilles construits sur le territoire de sa commune. «C'est un problème complexe que l'APC ne peut, à elle seule, résoudre. D'abord, nous n'avons pas les moyens d'offrir des logements à ces gens-là et se serait mentir que de leur promettre quoi que ce soit. Ensuite, c'est un problème qui ne touche pas Ouled Fayet en particulier mais pratiquement l'ensemble des communes relevant de la wilaya d'Alger.» L'élu nous fait savoir que la population des bidonvilles a été recensée, les baraques numérotées et les listes définitives transmises à la wilaya d'Alger. Cependant, explique M. Djebbari, aucune promesse n'a été donnée à ces familles, et les rumeurs concernant une éventuelle opération de relogement le 14 août prochain n'est pas à prendre au sérieux. La solution, selon lui, reste du ressort exclusif de la wilaya, voire des hautes autorités de l'Etat sachant que le problème se pose à l'échelle nationale. «Ce n'est pas le bonheur qui les amenés ici» Les membres de l'APC sont unanimes à reconnaître les difficultés qu'endurent ces familles. «Ce n'est pas le bonheur qui les a amenées ici en tout cas», reconnaît M. Djebbari, indiquant qu'à part quelques familles algéroises qui ont fui la promiscuité, «la majorité des occupants des bidonvilles sont originaires des campagnes de l'arrière-pays de Médéa, Chlef, Aïn Defla et Blida». Tous ont été victimes, à un degré ou à un autre, des exactions des groupes terroristes, indique un autre élu qui explique que, «depuis 2004-2005, les autorités de wilaya ont pris le problème des bidonvilles à bras-le-corps». Les commissions de contrôle ont été réactivées, la police de l'environnement aussi et des tournées régulières sont effectuées à travers la commune. «Toute construction nouvelle non soumise à un permis de construire est automatiquement démolie», rappelle M. Djebbari, avouant que plusieurs bâtisses ont été rasées depuis 2007 à ce jour. Ces opérations musclées ont dissuadé bien des squatters à édifier de nouvelles baraques sur les 4 sites recensés. Sauf, évidemment, ceux qui disposent de parents déjà installés dans ces bidonvilles ont pu déjouer la vigilance des autorités. La solidarité familiale joue à fond, certaines familles nouvellement débarquées ont pu ériger leur demeure à l'intérieur même des exploitations agricoles. «La mer, c'est loin» A l'entrée du bidonville près du château d'eau, des poutres de béton et des gravats s'entassent à proximité de la première baraque. «Ici, des gens ont construit trois maisons neuves, les gendarmes sont venus leur dire que c'est interdit. Après, des engins sont arrivés et ont tout cassé», raconte Ameur, 11 ans. Entouré d'une nuée de gosses, il nous raconte plusieurs autres faits qui se sont produits ici et alentour. «Un jour, des hommes sont arrivés dans une grosse voiture. Ils sont restés un moment, ils ont observé les lieux et ils sont repartis. Quelques jours plus tard, des ouvriers ont installé des pylônes et plein de drapeaux sur lesquels il est inscrit Dounya Parc. Ça veut dire qu'on va partir ?», s'interroge-t-il. La question n'est pas innocente ; les adultes ont dû la répéter à l'envi, espérant certainement voir leur calvaire prendre fin. Le parc, avec les attractions et les constructions fastueuses qui y sont projetées, signerait-il leur certificat de délivrance ? Probable. Mais dans l'intervalle, les enfants du château d'eau continuent de vivre. L'été, ce sont les balades dans les champs en jachère, où quelques-uns font paître de maigres troupeaux de moutons. Près des deux mares envahies par une dense végétation, quelques adolescents ont pris pour habitude de piéger des serins parfois des faucons nombreux à nicher dans ses collines désertées. De loin, on peut observer une portion de la méditerranée. «C'est loin la mer, il faut beaucoup d'argent pour y aller», lance, les yeux pétillants de malice, le jeune Ameur. En fin d'après-midi, quand le soleil commence à décliner, des fillettes sortent de leurs gourbis, portant de gros paniers. Elles s'installent en bord de route, juste à l'entrée du village, proposant des galettes chaudes aux nombreux automobilistes. Pour beaucoup d'occupants du bidonville, l'argent de la galette est la seule et unique ressource de la famille.