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Les révolutions arabes : Pour quel monde ?
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Publié dans El Watan le 19 - 06 - 2011

Le 24 mai 2011, Benjamin Netanyahu s'exprimant devant le Congrès des Etats-Unis qui l'applaudissait à tout bout de champ, tenait ces propos cyniques : «Les courageux manifestants arabes luttent difficilement à présent pour garantir ces mêmes droits (une presse libre, des tribunaux indépendants, une économie ouverte, des débats parlementaires exubérants) pour leurs peuples, pour leurs sociétés. Nous sommes fiers que plus d'un million de citoyens arabes d'Israël jouissent de ces droits depuis des décennies. Sur les 300 millions d'Arabes au Moyen-Orient et d'Afrique du Nord, seuls les citoyens arabes d'Israël jouissent de véritables droits démocratiques.» Des analystes estiment que la révolution panarabe amorcée en Tunisie en décembre 2010 à la suite de l'immolation du vendeur ambulant Mohamed Bouazizi est inscrite dans la feuille de route du fonds «Endowment for Democracy», l'organisation gouvernementale US lancée en 1982 par le Président Reagan et qui a pour mission de promouvoir la démocratie partout dans le monde(2).
Les méthodes qui ont déjà servi en Serbie, Géorgie, Ukraine, Kirghizistan… sont maintenant bien rodées. Ce sont, nous dit-on, les mêmes techniques qui sont utilisés pour nos soulèvements actuels : dans le cas algérien — pour l'exemple — la police, les responsables passent pour des gens qui vous cherchent des poux dans la tête ; des catégories professionnelles comme les médecins, les étudiants sont poussés à la grève (dans ce contexte précisément, les écoles préparatoires aux grandes écoles ont été les premières à tester la provocation suite à la promulgation de la fameuse loi 10-315). Dans ces manœuvres, on relève parfaitement les combines commandées par le fonds «Endowment for Democraty» : «action (tyrannie et défection de l'autorité) et réaction (demandes légitimes de liberté).
Evidemment, de nombreux experts, parmi eux des états-uniens, restent sceptiques sur les dessous de l'histoire et nous exhortent, nous qui sommes intéressés par «l'opération de séduction» à être moins naïfs, à nous questionner si effectivement nous allons obtenir ce qui nous est miroité. Si nous serons gagnants. En d'autres termes, si vraiment nous aurons une presse libre, des tribunaux indépendants, une économie libérale, un parlement d'élus… Depuis le siècle dernier, nous sommes conduits à nous battre pour des causes qui ont indubitablement tout pour être les nôtres, qui sont après tout celles de toutes les sociétés éprises de liberté et qui cherchent à s'émanciper… mais qui s'avèrent en fin de compte de violentes rivalités entre puissances étrangères, où notre action se trouve brisée en plein élan.
Dans les Deux Guerres mondiales (dans la deuxième c'est avéré), nous les Africains, les Maghrébins en particulier, nous nous sommes battus du côté des résistants. Avec l'idée qu'en délivrant la France de l'occupant allemand, nos pays sous domination coloniale française acquerraient l'indépendance. Hélas, à Sétif, Guelma, Kherrata… le jour même où le monde libéré fêtait la victoire, les balles françaises assassines et traitresses (impuissantes à servir contre l'envahisseur, elles sont retournées «ingratement» contre nous), ôtaient la vie à des milliers des nôtres désarmés qui pourtant ne revendiquaient qu'un droit légitime.
Au plus fort moment de la guerre froide, lorsque les Etats-Unis, dépités par leur guerre du Vietnam, décidèrent d'en finir avec l'ours russe, c'est aux membres de l'Oumma qu'ils firent appel. Notre enthousiasme à nous Algériens pour le djihad étant évidemment célèbre (lors de la Guerre des Six jours, nous étions des dizaines de milliers à nous être mobilisés, autant, sinon plus, que tous les autres pays arabes n'ont pu rassembler ensemble) nous fûmes appelés à courir au secours de l'Afghanistan (mais aussi l'Azerbaïdjan, la Tchétchénie, la Bosnie…).
A côté de ce penchant, notre pays qui présentait l'intérêt d'incarner la plaque tournante pour les mouvements de gauche («La Mecque des révolutionnaires», dixit Amilcar Cabral) et notre diplomatie qui héritait des liens, des réseaux et du respect de l'historique Ministère algérien des liaisons générales (MALG) du FLN/ALN, tissés partout et qui permettaient à nos émissaires d'être les confidents de nombreux leaders socialistes et non-alignés constituaient bien un legs précieux dont l'occident a assurément profité(3).
«Orphelins» de nos stratèges Messali Hadj, Abbane Ramdane, Lotfi, Ben Mehidi…, caporalisés par les supplétifs (caïds) — une disgrâce dont nous n'arrivons pas à nous en guérir — nous nous retrouvâmes volontaires moudjahidine à combattre les Russes — tombés dans un traquenard et nous avec(4). Barack Obama, dans son discours du Caire (juin 2010), n'a pas hésité de nous signaler l'énorme incongruité de notre conduite : «Une guerre froide où des pays à majorité musulmane ont été trop souvent considérés comme des sous-traitants, sans égard pour leurs propres aspirations», déplora-t-il.
Alors que le Mur de Berlin s'effondrait, qu'en Roumanie le couple du Conducator Nicolae Ceausescu était jugé et condamné à la suite d'une insurrection sans bain de sang, que l'URSS était démembrée (1991) quasi pacifiquement… nous, les sous-traitants, nous nous retrouvâmes submergés par d'insolubles problèmes. L'entrée des GI's en Arabie Saoudite et leur stationnement qui enfantait «Al Qaîda/terrorisme»(5) ; pour avoir sottement mené une guerre contre l'Iran pour le compte des Occidentaux, l'Irak est ramené à l'âge de pierre par ses employeurs… Et quand à nous Algériens, bien que nous fîmes le dos rond aux exigences d'organisations gouvernementales et non gouvernementales, les réformes politiques inscrites dans le même registre que celles de la glasnost-perestroïka et autres qui débouchèrent sur la mue des démocraties populaires en démocraties libérales en Occident, nous furent carrément interdites en dépit du soulèvement d'octobre 1988.
Comme de Gaulle l'avait fait auparavant lorsqu'il disait menteusement combattre le communisme en Algérie en nous bombardant au napalm, François Mitterrand lui prétendait contenir l'islamisme en créant «l'entreprise des janviéristes». Un plan secret du nom de «Rosier-Etna-Potemkine» (dixit le général Betchine, conseiller du président Zeroual) servait d'écheveau aux événements dramatiques. Avec tous les ingrédients d'une guerre sale : escadrons de la mort (des opérations, Condor, Charly…), le credo de Golda Meir (éventration des femmes enceintes, égorgement de bébés)… Le monde arabe est à ce jour sous l'emprise de dictateurs dont la preuve est établie formellement (en Libye, en Syrie, au Yémen…) qu'ils se prennent pour ces rois décidés à massacrer les deux tiers de leur peuple afin que le tiers restant s'assoupisse à l'ombre de leur trône (dixit Hassan II)
Aujourd'hui, avec les débris de l'échiquier de la guerre froide brisé en Afghanistan est fabriqué celui du clash des civilisations. Au nom de la démocratie. Comment sommes-nous concernés ?
En février 2007, à Toulon, Nicolas Sarkozy, à qui Bush a passé le flambeau du clash des civilisations(6), décrétait : «Tout se joue en Méditerranée ; l'influence dans le monde est dans la Méditerranée.» Le monde arabe qui en occupe toute la rive sud est bien dans un tourbillon et il est interpellé. Est-il simplement réquisitionné pour une nouvelle mission ? Toujours en sous-traitant ? De nombreux commentateurs relèvent le paradoxe de la politique arabe de Washington. Même si dans son discours du 4 juin 2009 au Caire Barack Obama se voulait rassurant en affirmant que «les Etats-Unis n'avaient aucun caractère hostile aux lois, à la religion ou la tranquillité des musulmans», le constat de Michael Scheuer, un ancien officier de la CIA qui a dénoncé véhémentement les méthodes employées par l'administration Bush dans la lutte contre le terrorisme, admettant même que Ben Laden menait un djihad défensif, suscite la défiance(7).
Stephen M. Walt, professeur en relations internationales à l'université d'Harvard, dans un article paru dans le magazine Foreign Policy, (3 décembre 2009) qu'il titrait : «Les Etats-Unis ont tué 288 000 musulmans en 30 ans, estimation la plus basse» abonde dans le même sens.Qu'est-ce qui pousse alors les USA à se comporter en butors (Patriot Act, Guantanamo, Abou Ghraib…), faisant fi de leurs valeurs morales ? De surcroît envers des populations sans défense, opprimées par leurs dirigeants, tous des tyrans ?
La question n'est pas extravagante puisque l'immense Michael Moore soutient mordicus que ses compatriotes décideurs de Washington sont des fous. Même les commentateurs les plus modérés ne comprennent pas ce militarisme : les USA sont l'hyperpuissance et sont à leur apogée ; leur société est accomplie et n'a pas de prédateur. Une incantation les pousserait-elle au suicide ?
Depuis sa naissance en 1951, l'AIPAC prend en otage la première puissance mondiale. Henri Kissinger, Zbigniew Brzezinski… n'arrêtent pas de l'entortiller, lui faisant même croire que le leadership US c'est Israël son artisan. Cela ne sert à rien de le ressasser, les profs John Mearsheimer et Stephen Walt ont dans un travail remarquable établi «l'aliénation» des USA au sionisme(8). Mme Clinton annonce «qu'Internet est devenu l'espace public du XXIe siècle», que «les manifestations en Egypte et en Iran, alimentées par Facebook, Twitter et YouTube reflètent la puissance des technologies de connexion en tant qu'accélérateurs du changement politique, social et économique». Si l'objectif des USA est de débarrasser le monde des dictateurs arabes alors qu'ils disposent de scénarios infaillibles comme celui grâce auquel ils ont éliminé Ben Laden en opérant à l'intérieur du territoire d'une puissance nucléaire, pourquoi laissent-ils leurs ennemis perpétrer des massacres de civils en Libye, au Yémen, en Syrie…?
A la Chaîne TV France 3, le jeudi 12 mars 2009, Frédéric Taddeï consacrait son émission «Ce soir ou jamais» au retour de la France dans l'OTAN («La France doit-elle rejoindre le commandement intégré de l'OTAN ?»). Et à la question de l'ancien ministre des Affaires étrangères Roland Dumas : «A qui la Ste Alliance (OTAN) fait-elle la guerre ?», Charles Cogan, l'ancien directeur de la CIA à Paris (1984-89), aujourd'hui professeur à Harvard, avait eu cette réponse dénuée de toute ambiguïté : «Contre le terrorisme arabe… pour les cinquante années qu'il va durer.» Etaient présents Marie France Garaud, Axel Poniatowski, Philippe Vasset, Dominique David.
La messe est dite ! En conclusion, si nous avons jusque-là pensé que la Constitution américaine représentait cette «gravitation» dont aucune société, ne pouvant s'en prémunir, se devait de l'intégrer dans ses «lois»(9), nous observons aujourd'hui que cette propriété est en fait l'apanage du sionisme. Nous, les populations arabes musulmanes sans stratégie apte à nous prémunir de la puissance destructrice du lobby prédateur, n'avons pas d'alternative à nous comporter en moutons de panurge comme le reste du monde, les chrétiens en tête.
Commençons par ne plus décrier le sionisme, sachant pertinemment que nos «responsables» qui manifestent mensongèrement leurs velléités d'opposition au projet Eretz Israël lui sont indéniablement favorables. Qu'ils ont pour obligation de nous maintenir dans notre précarité par tous les moyens pour des raisons évidentes, entre autres nous utiliser comme chair à canon, faire peur aux autres, «un peu nos semblables» — pour l'instant. Si Moshe Dayan s'est toujours gaussé de nous en nous assénant cette terrible sentence que nous «les Arabes ne lisions pas et que même si nous lisions nous ne comprendrions pas», il faut bien se rendre à l'évidence que tout est fait pour nous empêcher de lire, d'apprendre, de comprendre et de, évidemment, de «pondre» une loi fondamentale. Le message de Netanyahu est on ne peut plus clair ! Alors, pour nous prémunir des prétextes à notre agression, faisons lui un pied de nez tout aussi amical que son discours et adoptons la loi fondamentale de l'oncle Sam dans son intégralité.
La métamorphose qui nous destine à cette catégorie de post humains de seconde zone — de non-droit, du monde souterrain des Morlocks (La machine à explorer le temps, H. G. Wells) risque de nous avoir. La scène de l'agent de la ferme de Langley, Saddam Hussein, sorti de son trou à rats nous interpelle durement. Celle des «zanguas» des Gueddafi, qu'un certain Bernard-Henri Levy(10) cherche à orchestrer encore davantage. Les consultations politiques entamées le 21 mai dernier sous la présidence d'Abdelkader
Bensalah plus que tout.

Notes de renvoi :
1- «Comment sera le monde en 2020 ?», wikipedia
2 - Un cheval de Troie dans les pays arabes: http://lecercle.lesechos.fr/node/34238
3 - Dans la «guerre antiterroriste» menée par Washington en Irak, en Afghanistan, au pakistan... William Burns reconnaît : «les Algériens ont sauvé des vies américaines !»
4 - En 1998, Zb!gniew Brzezinski, interrogé par le Nouvel Observateur, confirmait que 6 mois avant l'entrée des Russes en Afghanistan, les USA s'étaient alliés aux fondamentalistes pour déstabiliser le régime pro-soviétique alors en place à Kaboul.
5 - Le gouvernement des Etats-Unis impliqué dans les attentats du 11 septembre ? (par Grégoire Lalieu). http://en. wikipedia. orgjwikijMichael Scheuer#Publications;
6 - Op. cit.
7 -Op. cit.
8 - Etude sur l'influence du «lobby pro-israélien» dans la politique étrangère des Etats-Unis.
9 - La prochaine Constitution, Le Quotidien d'Oran, Débats; le mardi 3 février 2004
10 - Le Figaro - International : La campagne libyenne de Bernard-Henri Lévy


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