Après les secteurs de la santé, de l'éducation, des transports, des collectivités locales, c'est au tour des robes noires d'investir la rue pour manifester leur mécontentement contre un pouvoir qui élabore des lois en solo et revendiquer «essentiellement» le retrait du projet de loi régissant la profession d'avocat. Ainsi, à l'issue de l'assemblée générale extraordinaire tenue cette semaine, le conseil de l'Ordre du barreau d'Alger a procédé à l'évaluation de la journée de grève observée mercredi dernier. Un débrayage qualifié de «réussi» par ses animateurs, car il a paralysé toutes les institutions juridiques, comme le tribunal administratif et les cinq tribunaux de la cour d'Alger. Seulement, n'ayant pas eu d'assurances quant au retrait du projet objet de discorde, les avocats d'Alger ont opté pour la radicalisation de leur mouvement de protestation afin de faire pression sur les pouvoirs publics. Ils ont arrêté, à cet effet, une série d'actions pour les prochains jours. En tête de liste, une marche prévue pour aujourd'hui dans la capitale. Elle débutera à 14h devant le tribunal de Sidi M'hamed (rue Abane Ramdane) pour atteindre l'Assemblée populaire nationale, sise au boulevard Zighout Youcef. Maître Sellini, bâtonnier d'Alger, animera une conférence de presse une heure avant la marche. Cependant, les tribunaux seront ouverts et toutes les affaires seront traitées normalement. «Pour ne pas pénaliser les citoyens, nous avons préféré travailler. Mais si le pouvoir nous tourne le dos, nous allons vers une grève illimitée et le citoyen sera le premier touché», menacent les robes noires. Les avocats exerçant dans la capitale ne comptent pas baisser les bras, ils envisagent d'aller jusqu'au bout pour faire avorter ce texte de loi, actuellement au niveau de l'APN. «La mobilisation est de mise et nos préoccupations sont légitimes. Nous revendiquons la liberté et l'indépendance de la profession d'avocat», explique maître Bouchachi, qui ne comprend pas la démarche du pouvoir. Et d'ajouter : «Notre contestation est justifiée. Si le ministre parle de l'amendement du projet par les députés, nous on s'interroge pourquoi la tutelle n'a pas opéré des changements avant le renvoi du projet à l'APN ?» Maître Brahimi qualifie le projet de «scandaleux» et de «rétrograde» : «Il est inadmissible de faire passer un tel projet. Pourquoi avoir attendu ce moment pour débattre d'un tel texte. Au moment où le printemps arabe est loué par tout le monde, en Algérie le pouvoir exhibe un projet qui est en régression par rapport à ce qu'a connu notre pays, même au temps du parti unique.» Les avocats d'Alger, soutenus par ceux de Boumerdès, Tizi Ouzou et Sétif, contestent ce texte de loi beaucoup plus dans le fond que dans la forme. Ils rejettent la majorité de ses articles, car ils sont en contradiction avec les dispositions de la Constitution algérienne qui garantit les droits de la défense : «Le projet n'est pas conforme aux conventions internationales sur les droits de l'homme ratifiées par l'Algérie. Il est en opposition avec les recommandations de la Commission nationale de réforme de la justice qui est en faveur de l'indépendance du barreau, le renforcement des droits de la défense et leur promotion.» A travers ce texte, Il y a, selon eux, une volonté de porter atteinte aux droits de la défense et à l'indépendance du barreau vis-à-vis du pouvoir exécutif. Le bâtonnier Abdelmadjid Sellini fera remarquer que ce projet est en totale contradiction avec les réformes lancées par le président de la République : «Nous ne voulions pas nous pencher sur ce statut avant que les réformes, constitutionnelles notamment, ne soient confirmées. Toutefois, il y a des parties qui veulent imposer, de façon précipitée, ce projet de statut.» Et de souligner que les robes noires ne lâcheront pas prise et sortiront les grands moyens si cela s'avère nécessaire. Les avocats préfèrent se retirer de la profession, plutôt que d'être sous la coupe d'un projet où le nom du ministre de la Justice est évoqué 42 fois alors que le terme ministère revient dans 7 articles. Certains avocats proposent le durcissement du mouvement et le recours à une grève illimitée. A ce propos, maître Chorfi explique que cette suggestion sera débattue par les bâtonniers au niveau régional et s'il y a adhésion de tous, elle sera appliquée. «Nos prochaines actions dépendront de la réaction des autorités qui ont le pouvoir de retirer ce projet. La grève d'une journée initiée mercredi dernier a marqué les esprits et attiré l'attention des pouvoirs publics. Ces derniers doivent retirer ce texte, car il y va de l'intérêt de tout le monde», affirme M. Chorfi.