Il est intéressant de réfléchir sur la problématique des profils ou des modes de comportement des dirigeants qui ont réussi à créer des entreprises de classe mondiale. Qu'ont-ils fait de différent ou de spécifique, comparativement aux managers moyens ? Beaucoup d'études et d'analyses ont été menées sur la question. Certes, nous n'avons pas et nous ne pouvons pas avoir des profils types qui ne s'écartent guère d'un moule très précisément déterminé. Les lois des sciences humaines sont probabilistes, donc valides à un certain pourcentage. On ne peut prétendre au déterminisme des sciences dures comme la physique et les mathématiques. Les analyses dont nous disposons sont surtout inductives, elles proviennent de l'observation des expériences des réussites humaines. Elles ont quand même une certaine valeur. Il est important de noter que plusieurs mythes s'effondrent lorsqu'on examine en profondeur les pratiques des managers efficaces. La première chimère considère que les brillants managers ont une extraordinaire intuition et sont dotés d'une intelligence hors du commun. En réalité, ils ont une intelligence tout à fait moyenne et leur intuition n'est pas plus développée que celle du commun des mortels. La seconde considère qu'ils sont charismatiques. Ils ne le sont guère. La troisième consiste à les créditer de capacités de communication. Ils arriveraient à mobiliser des foules par leurs tempéraments, leur assurance de soi et leur capacité à enflammer leurs subordonnés. Même si certains ont quelques-unes de ces prédispositions, rien ne permet de les distinguer des autres managers à performance moyenne dans ces catégories. Nous pouvons multiplier à profusion des idées reçues sur les caractéristiques des gestionnaires efficaces, sans pour autant les mentionner toutes et encore moins les valider. Nous allons alors développer ce qui paraît être le «mode de comportement» des managers efficaces révélé par de nombreuses analyses de leurs expériences. Ce que font les gestionnaires efficaces Efficacité n'est pas un vain mot. Il a une connotation pragmatique. C'est la capacité d'obtenir des résultats mesurables qui sont souvent hors de portée de la compétition. Car les managers efficaces ont une grande capacité à distancer considérablement la concurrence. Ils ont développé des entreprises innovantes et pérennes telles que Sony, Boeing, Michelin, 3M, City Bank, etc. Les actions de ces grands managers sont susceptibles d'inspirer, quelque peu et en fonction de la marge de manœuvre permise, beaucoup de nos gestionnaires publics et privés. Leurs actes les plus remarquables ne se situent guère au niveau des fonctions finance, marketing ou production, mais se localisent surtout dans le domaine des ressources humaines. Ils sont obsédés par le recrutement des compétences. Ils recrutent, ou le plus souvent développent, en interne des personnes les plus douées et les plus motivées pour les positionner dans des postes-clés. Ils ne se permettent pas des écarts dans ce domaine, même au profit de leurs amis les plus proches ou les membres de leur famille. Quand ils positionnent des amis ou des membres de la famille, ils s'assurent de leur formation et de leur coaching. C'est la caractéristique numéro un des dirigeants performants. Ils savent que tout se joue à ce niveau-là. Ce sont les ressources humaines qui innovent, produisent, vendent, assurent le service après-vente, conçoivent les plans marketing et toutes les chaînes d'activité qui peuvent donner à l'entreprise un avantage concurrentiel. Un ratage au niveau du positionnement n'est pas rattrapable. Les brillants consultants qui viendraient proposer une réorganisation, un plan stratégique ou un nouveau marketing mix ne peuvent jamais compenser de mauvais recrutements et positionnements. Il est donc vrai que les bons managers «recrutent des gens plus compétents qu'eux». Mais ils en font beaucoup plus. Ils veillent à leur développement en permanence, sachant que dans le monde moderne tout savoir-faire devient vite obsolète. Ils investissent énormément dans leur propre formation et celle de leurs collaborateurs. Ils donnent l'exemple en se mettant à jour eux-mêmes. Ils ne font pas comme les responsables des entreprises des pays sous-développés qui essayent un tant soit peu de former les ressources humaines, mais en évitant de donner l'exemple. L'attachement des gestionnaires efficaces au développement s'explique par leur manière de procéder. Ils ne décident pas seuls, ni dans des cercles restreints. Leurs meilleures décisions ont été suggérées par autrui, précisément les subordonnés compétents et formés qu'ils ont développés. Jour après jour, ces dirigeants performants révèlent que les meilleures décisions prises l'ont été à la base des idées de leurs subordonnés. Jack Welch, ex-PDG de General Electric, le plus grand industriel du siècle passé explique que la vaste majorité des décisions prises par lui ont été suggérées par des subordonnés, les compétences choisies et développées qui ont donné leurs fruits. Il est donc judicieux de méditer cette leçon. Le «secret des gestionnaires performants réside surtout dans les recrutements, le développement et l'utilisation de toute l'intelligence humaine disponible». Il ne peut pas y avoir un «héros» qui, à lui seul, peut transformer une entreprise en entité super performante. Tout simplement, cette situation n'existe pas ou serait tout à fait exceptionnelle. La métaphore du chef d'orchestre est proche du réel. Le management est un jeu d'équipe et on le perd ou on le gagne ensemble. Par ailleurs, les gestionnaires performants évitent de se disperser. Ils se concentrent sur les facteurs-clés de la réussite. Ils décentralisent trop. Ils évitent le piège de vouloir tout faire. Beaucoup de responsables d'entreprises peu performantes, notamment celles des pays sous- développés, veulent tout connaître et tout décider, le plus souvent en se fiant uniquement à leur propre intuition. Un manager efficace réfléchit ainsi : «Puisque 90% de la réussite de mon entreprise dépend de la ressource humaine et du client, je vais consacrer 90% de mon temps et de mes moyens à développer les ressources humaines et la satisfaction de la clientèle». Ils dosent leurs temps et leurs ressources en fonction des activités-clés, celles qui ramènent des résultats. Ils échappent à la tentation de vouloir tout faire, tout contrôler, tout décider et tout gérer. Ils savent que si vous recrutez et développez bien, le reste des activités sera entre de bonnes mains. Rien ne sert alors de perdre du temps et des ressources pour s'occuper des détails qui améliorent très peu la chaîne des valeurs des entreprises. Quelles leçons peut-on en tirer ? La délocalisation des décisions n'implique pas une fuite des responsabilités. Les managers efficaces tiennent particulièrement à l'évaluation de tout le personnel en fonction de critères vérifiables. Le plus souvent, cela conduit à un système de GAO (Grands objectifs ambitieux) qui sera la source des appréciations. On est donc focalisés sur les résultats tangibles et la transparence. Ce qui oblige les personnes à être exigeantes envers elles-mêmes. On se souvient du fameux système implanté partout à General Electric qui consiste à regrouper le personnel en trois catégories : les 30% meilleurs, les 70% à aider à s'améliorer et les 10% qui devraient partir. Chacun connaît sa catégorie et fait de son mieux pour s'améliorer. L'évaluation fait partie intégrante des modes de fonctionnement de ces entreprises. Les gestionnaires performants vouent un culte à la satisfaction client et s'ingénient à améliorer les systèmes qualité en vue d'être crédibles et offrir des produits toujours de meilleure qualité aux clients. Ceci a conduit au perfectionnement des systèmes de gestion de la qualité, dont le «fameux Six Sigma» introduit par Motorola et qui, par la suite, s'est diffusé dans de nombreuses entreprises soucieuses de la gestion de la qualité. Par ailleurs, les managers performants insistent, donnent l'exemple et ne permettent pas des écarts par rapport aux valeurs qu'ils désirent instaurer, même pour les personnes les plus performantes. Parmi ces dernières, on retrouve souvent : être sur terrain aussi souvent que possible, car là on glane des informations très précieuses. Le mythe du manager charismatique, intelligent et dont les brillantes idées ont été la source du développement des entreprises performantes vole en éclats. Ce sont surtout de gens modestes qui cherchent les meilleures ressources humaines pour les développer, les écouter, leur inculquer des valeurs sûres et profiter de leur intelligence. Ils savent que chaque être humain placé dans de bonnes conditions a beaucoup à offrir ; et que seuls, ils ne peuvent qu'avoir des résultats limités. Ils forment plutôt une équipe soudée autour de valeurs sûres. L'entreprise est structurée pour être pérenne, fonctionner comme une horloge avec des mécanismes si précis qu'elle peut continuer à progresser bien longtemps après que ces «leaders» soient partis. On se rapproche de l'adage qui dit que «le meilleur manager est celui qui se rend inutile». En son absence tout fonctionne correctement. Pour revenir à notre contexte, ce qui est transposable ou pas dépend du contexte. Par exemple, nos entreprises publiques ne peuvent pas recruter les meilleurs talents. Elles se trouveront vite empêchées par la grille de salaires qui leur est imposée. Très peu donnent l'exemple en se développant eux-mêmes et en affectant suffisamment de ressources à cette fin. On croit trop souvent qu'en changeant une seule personne au sommet on arriverait à tout remettre sur pied. Ce qui est parfois vrai. Mais il faut surtout insister sur les mécanismes : gérer par grands objectifs ambitieux, évaluer, rémunérer et pénaliser partout. Nous avons effleuré une partie des pratiques des grands managers. Beaucoup reste à préciser. Mais les points que nous avons mentionnés figurent parmi les plus essentiels.