Menacés de perdre à terme leur emploi, les 5000 travailleurs de l'agroalimentaire du secteur public, conduits par leurs syndicalistes, se disent décidés à défendre leur outil de travail par le recours à la « démonstration de force ». Mais les plus sensés d'entre eux savent que c'est la solution du désespoir, car défier l'Etat sur ce terrain est aléatoire et périlleux. Il y a belle lurette, et cela depuis le milieu des années 1990, que l'Algérie est sous le rouleau compresseur de « l'ouverture économique », officiellement appelée ainsi pour signifier qu'avant elle le pays était fermé et donc en retard. Il en a été décidé ainsi dans le sillage du multipartisme par des politiciens qui pensaient que les deux allaient inévitablement de pair. Rapidement a été mis en place tout un édifice législatif et installés deux dogmes : le « désengagement de l'Etat » et la « rentabilité ». Sans crier gare, un rouleau compresseur est passé sous l'ex-secteur économique local qui ambitionnait sous l'ancien système d'irriguer le pays profond d'un tissu productif. C'est au chef du gouvernement actuel qu'a été dévolue cette tâche exécutée avec une redoutable efficacité : I00 000 travailleurs sont passés à la trappe, happés en pleine période de violence intégriste. Depuis, les lois du libéralisme sont tombées, comme le faucon sur l'outarde, sur le monde du travail, éberlué, non préparé à la rupture. Les décideurs ont signifié la fin de l'installation dans une sorte de confort social sous l'œil protecteur de « l'Etat socialisant » et intimé l'ordre aux ouvriers et fonctionnaires d'effectuer leur entrée dans une ère de farouche compétition. C'est se plier ou se démettre. Le drame dans tout cela est que jamais on a demandé son avis au monde du travail dont la représentation a été limitée à un syndicat unique, organiquement lié à l'Etat, tous deux d'accord sur l'entrée de l'Algérie dans le monde du libéralisme, se répartissant la tâche afin de limiter au minimum la casse. Privés de parole, les travailleurs ne trouvent généralement de parade à la défense de leur emploi que dans le choix de l'affrontement avec la puissance publique. Mais ils finissent toujours par céder et partir ou accepter, la mort dans l'âme, les maigres « compensations » décidées par les responsables politiques, la plupart du temps avec l'aval syndical. L'Algérie dans la mondialisation, c'est un peu la Grande-Bretagne des année 1980, sous la main de fer de Margaret Thatcher, celle-ci convaincue que la modernisation de son pays passait inévitablement par l'effondrement violent d'un pan entier de l'ancien tissu productif industriel.