Après un mois de mutisme, c'est avec un visage brûlé que le président Saleh a fait sa réapparition, lors d'une allocution jeudi dernier. Un discours qui n'a franchement pas convaincu la frange contestataire yéménite, comme le constate la bloggeuse Afrah Nasser. - Quelles sont vos impressions après le discours du président Saleh? Ce discours est-il à même d'apaiser la contestation ou au contraire, de la raviver ? J'ai été choquée quand j'ai vu Saleh le visage brûlé capable de servir le même type de discours que ceux du vendredi à la place Al Saba'en qu'il adressait à ses supporters. J'ai ressenti à la fois un choc, une gêne et de la peine. Je pense que son discours est susceptible de raviver les tensions. Mais il a aussi «rafraîchi» la scène politique, surtout que ses partisans sont descendus dans les rues, ont tiré des coups de feu célébrant son retour, ce qui a causé beaucoup de victimes à cause des tirs aléatoires (ou non aléatoires). D'autre part, le discours sur le transfert du pouvoir au vice-président suivi du transfert du pouvoir à un président élu n'est pas une option valable pour le moment. Puisque Saleh est toujours vivant, il est toujours président du Yémen selon notre Constitution. - Pensez-vous que le président va signer l'accord de transition exigé par les Etats-Unis ? Il est très difficile de prédire quoi que ce soit. Il faut garder à l'esprit la façon spectaculaire avec laquelle les choses changent. Cependant, je pense que l'on peut prévoir deux scénarios possibles dans les semaines et mois à venir. Le premier scénario : Saleh ne signera rien, mais pourrait quitter le pouvoir dimanche prochain, le 17 juillet, ce qui coïnciderait avec l'anniversaire de son arrivée au pouvoir il y a 33 ans. La suite reste un mystère. Le deuxième scénario est la signature d'un accord avec les USA ou le CCG, mais sous réserve que l'immunité soit accordée à Saleh, à ses fils et sa famille. Ensuite, vu le manque de transparence total, le fils de Saleh, Ahmed, sera élu président. Mais je crois que les manifestants yéménites ne laisseront pas cela arriver. - Le mouvement de protestation est-il en phase de se pérenniser ou plutôt de s'affaiblir ? Cela dépend de nombreux facteurs. Aux dernières nouvelles, un grand nombre de Yéménites se sont déplacés, fuyant la violence alors que le combat entre la Sécurité nationale et les «groupes armés» se poursuit. La situation économique et politique instable a conduit à une famine généralisée. Il y a aussi la crise du pétrole, du gaz, de l'électricité. Pendant de nombreuses années, le Yémen a fait face à la pauvreté, à la malnutrition généralisée alors que la famille régnante a vécu dans le luxe. Le Programme alimentaire mondial des Nations unies a lancé une opération d'urgence pour nourrir 1,7 million de Yéménites. Le Yémen est le pays le plus pauvre du Moyen-Orient, et la situation alimentaire actuelle va certainement avoir un impact très négatif sur l'avenir des manifestations. - Dans quelle mesure la situation actuelle attise-t-elle le terrorisme ? Si le président Saleh tombe, les terroristes vont-ils gagner du terrain ? Je pense vraiment que les prétendus actes terroristes sont une excuse pour garder Saleh au pouvoir. La question sécuritaire révèle à quel point la situation économique est dégradée, surtout lorsque la plupart des Yéménites vivent avec moins de 2 dollars par jour et que plus de 40% d'entre eux sont au chômage. Les conflits internes ont toujours alimenté les problèmes d'ordre sécuritaire au Yémen. Mais l'avenir du Yémen, si Saleh chute, reste pour moi un mystère. Je pense que les résidus du régime de Saleh continueront de s'accrocher au pouvoir pendant une longue période. Le régime de Saleh gouverne depuis plus de trois décennies et il ne sera pas facile de changer les choses dans un temps réduit.