Fait inédit dans les annales de la justice algérienne, cinq magistrats du Conseil d'Etat sont mis en cause par un ex-procureur de la République, dans une affaire de responsabilité civile. Le 11 juillet, le tribunal civil de Bir Mourad Raïs a examiné en séance publique l'affaire opposant le plaignant, Abdallah Haboul, aux magistrats Farida Bouarroudj, Atika Fergani, Farouk Ghanem, Adda Djelloul M'hamed et Fafa Sid Lakhdar. Ces derniers, membres de la deuxième chambre du Conseil d'Etat, avaient débouté Haboul dans une autre affaire l'opposant à Tayeb Belaïz, ministre de la Justice, garde des Sceaux.La genèse de ce feuilleton passionnant, qui met au jour la cuisine interne de l'appareil judiciaire, remonte à juillet 2005. Après avoir été muté comme conseiller auprès de la cour de Bordj Bou Arréridj, le procureur de la République, Abdallah Haboul, auparavant président de la section de Constantine du Syndicat national des magistrats (SNM), a été suspendu par Belaïz et présenté devant la commission de discipline du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) qui a décidé d'un déplacement d'office. Motifs invoqués : un retard d'une heure pour un cours d'informatique et des retards dans la motivation d'un nombre de jugements, d'où le CSM a conclu à une faute de premier degré ! Rejetant ces sanctions, jugées abusives, le magistrat s'en remet au Conseil d'Etat et introduit, en juin 2006, un recours en annulation de la décision de la commission de discipline. Le ministère réplique en arguant que les décisions disciplinaires n'admettent pas de recours en annulation, mais plutôt des recours en cassation. L'argument est soutenu par la jurisprudence sur la base d'un dossier portant le numéro 019886. Ce à quoi, le magistrat répondra en avançant que ce dossier n'existe pas. En juin 2007, la deuxième chambre du Conseil d'Etat conclut à l'irrecevabilité du recours de Haboul dans la forme, sur la base d'une jurisprudence portant le numéro de dossier de 016886. Cette décision ne fait qu'épaissir le mystère. On remarquera justement que la décision du Conseil d'Etat a corrigé le numéro du dossier, tel que livré par le ministre, en apportant en sus sa date. La réaction de Haboul ne s'est pas fait attendre puisqu'il a saisi le greffier du Conseil d'Etat pour lui fournir les jurisprudences portant ces numéros pour les utiliser en ce que de droit. Sa demande restera lettre morte et même la présidente du conseil, Fella Heni, laissera sans écho les sollicitations de Haboul. Pourquoi cherche-t-on à priver un justiciable d'un document qu'il a le droit d'utiliser pour sa défense ? Deux hypothèses sont avancées par Haboul : ou bien l'arrêt en question et qui porte deux numéros n'a jamais existé, ou alors son contenu a été modifié, ce qui est d'autant plus grave. Pour le plaignant, le traitement du litige entre lui et le ministre de la Justice par les cinq juges susnommés a été marqué par des fautes professionnelles graves atteignant la fraude et le dol. L'affaire reportée au 26 septembre prochain à cause de l'absence des mis en cause revêt un cachet politique depuis son déclenchement, du fait de l'identité du plaignant, ex-membre d'un syndicat des magistrats qui, durant le deuxième mandat de Bouteflika, a joué toutes ses cartes pour l'indépendance de la justice. Que fera Belaïz ? L'affaire promet des rebondissements intéressants.