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L'envers d'une saison
Biskra. La reine des Zibans
Publié dans El Watan le 21 - 07 - 2011

Comme toutes les villes du Sud où règne une chaleur caniculaire, insupportable en été, la reine des Zibans a pour coutume de se mettre en «veilleuse» au mois de juillet. Beaucoup de ses habitants répondaient naguère à l'irrépressible appel du littoral national ou tunisien. La ville se dépeuplait. Les commerces baissaient rideau et l'activité se réduisait au strict minimum. Cette année, il semblerait bien que beaucoup de familles aient décidé de ne pas prendre quelques jours de repos au bord de la mer.
C'est que la conjoncture internationale et économique est défavorable. «Les vacances reviennent de plus en plus cher et l'imminence du mois de Ramadhan n'incite guère à grever un budget plus qu'il ne l'est déjà. La rentrée des classes qui surviendra juste après est aussi une raison pour faire attention aux dépenses», disent plusieurs pères de famille. Ainsi, on s'affaire aux préparatifs du mois de jeûne. On lave à grande eau maison, rideaux et tapis et on achète de la vaisselle, des épices et d'autres denrées, sans lesquelles le carême ne serait pas complet. En ville, l'activité n'a pas baissé d'intensité, le marché central grouille de monde et la circulation automobile est aussi importante que durant l'hiver. Biskra, qui compte environ 450 000 habitants, est en pleine expansion. Elle connaît une métamorphose sans précédent. Grâce ou à cause, selon les points de vue, d'une urbanisation effrénée, son visage change à vue d'œil.
L'antique Viscera était d'abord une immense palmeraie, une oasis faisant la jonction entre Tell et Sahara, une porte ouvrant sur le plus grand désert du monde. Elle devient une ville comme une autre avec ses embouteillages, ses trépidations de cité moderne où se mêlent des populations hétéroclites et bigarrées, vivant en bonne intelligence. Pôle agricole d'envergure nationale, carrefour commercial et centre universitaire, elle ne peut plus, avec ses multiples atouts, se permettre de tomber dans la léthargie et la torpeur pendant tout l'été. «Malheureusement, nous avons les inconvénients de la vie citadine sans en avoir les avantages», pensent néanmoins les autochtones. Mais comment ceux-ci meublent-ils leur quotidien ? Quels moyens de distraction ont-ils à leur disposition ?
40° A l'OMBRE
Les fonctionnaires et membres de professions libérales se calfeutrent dans les bureaux climatisés. Ici, il faut plaindre ceux qui doivent travailler en plein soleil sur les chantiers de construction et même les agents de police, debout durant des heures sous un soleil de plomb. Les autres, en congé ou au chômage, évitent de sortir et s'ils le font, c'est tôt le matin ou en fin d'après-midi. De 10h à 18h, une insolation est vite attrapée et le moindre effort coûte des litres de sueur, car la température dépasse les 40°C à l'ombre. Cette chaleur, bonne et nécessaire pour le mûrissement des dattes, incommode de nombreuses personnes. Si dans le passé les gens du Sud savaient y remédier en construisant des habitations de torchis, aux murs isothermes, avec des patios et des cours intérieures captant et créant des courants d'air continus, les immenses palmeraies bien irriguées et entretenues dispensaient leur fraîcheur, les moyens de déplacement se résumaient à la marche et à la calèche, il n'en est plus de même actuellement.
Le seul moyen d'échapper à la montée du mercure est désormais de s'équiper de système de climatisation et d'appareils de réfrigération. En ces journées d'été, l'activité favorite des jeunes, cigarette au bec et gobelet de café à la main, est de se tenir par petits groupes de cinq ou six au coin d'une rue ou contre un mur pour regarder les passantes déambuler et s'émerveiller à la vue de rutilantes automobiles dernier cri. Ils parlent de leurs déboires et de leur rêve de fuir cette ville où, selon eux, «il n'existe aucun moyen de distraction». En effet, la bibliothèque municipale et celle de la direction de la culture sont fermées. Pas un concert de musique contemporaine ni une représentation théâtrale n'ont été programmés. A Biskra, il n'y a pas de parc d'attractions. En l'absence d'une vie culturelle estivale, les plus passionnés se rabattent sur les matches de football interquartiers joués en nocturne.
D'autres encore préfèrent aller titiller la carpe au barrage de la Fontaine des Gazelles, situé à 30 km au nord de Biskra.
Très peu semblent savoir que les librairies offrent un panel de livres en arabe, en français et en anglais, dont la lecture serait des plus bénéfiques.
Les plus avertis des cinéphiles se procurent chez les disquaires les derniers blockbusters américains, les films musicaux les plus récents comme Step up ou Beat the world, et pour le grand bonheur des amoureux du 7e art, des œuvres nominées aux Oscars comme True grit, avec notamment un Jeff Bridges en vieux marshal bourru et ivrogne et un Matt Damon méconnaissable dans ses habits de ranger. Autre film qui, selon un revendeur, marche bien, Black Swan, avec la sublime Nathalie Portman et le Français Vincent Cassel dans lequel est mis en scène un conflit entre artistes de la chorégraphie.
«Je passe mes journées à la maison à regarder des films et parfois les informations sur les chaînes arabes et françaises pour ne pas être déconnectée du monde», confie Samia, 22 ans. «Moi, je préfère jouer avec mes copains», renchérit Farid. En effet, les consoles de jeu, Playstation et autres Nintendo font fureur auprès des jeunes. Exutoire ou passe-temps, ces jeux ont la cote auprès d'un public de plus en plus important.
UN THE AU SAHARA
Les familles, elles, se contentent de promenades vespérales et pédestres, d'une virée dans un des jardins publics de Biskra. Le jardin Landon, le jardin du 5 Juillet (Jnen Beylek) et le parc animalier ne désemplissent pas. Enfants et parents s'y rendent au quotidien. Des centaines d'habitants de Biskra, fuyant l'espace confiné des appartements, s'agglutinent, chaque soir, autour des jets d'eau du bord de l'oued de Hai M'cid, de celui de la route du Sahara, ou encore de celui de Djebel Dhalaâ, où des vendeurs de thé, fruits secs et brochettes se sont installés, transformant les lieux en espaces conviviaux, invitant les familles à y passer d'agréables moments en sirotant un jus ou déguster une coupe de glace. Ainsi, la reine des Zibans montre son désir de ne pas se soumettre aux aléas du climat et de sortir de la niche folklorique de «ville du Sud morte l'été», dans laquelle on veut la cantonner.


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