«L'Algérie indépendante est une copie de l'Algérie colonisée» Ali Yahia Abdenour Le vent de la révolte ne veut pas souffler sur l'Algérie. L'a-t-il épargnée ? L'atteindra-t-il un jour ? Quand et comment ? Et beaucoup d'autres questions intriguent les observateurs de la scène politique algérienne. Nous essayerons, pour notre part, de répondre à certaines d'entre elles sans prétendre détenir toute la vérité sur le cas de l'Algérie. Entendons-nous à dire qu'à l'heure actuelle, le changement est le souhait de tous les Algériens. Les partis politiques de l'opposition comme ceux du pouvoir ne cessent d'appeler à des réformes politiques dignes des aspirations du peuple. Seulement, ce qui distingue les uns des autres est le fait que l'opposition demande un changement dans le cadre d'une rupture, tandis que ceux qui sont au pouvoir le veulent dans la continuité. Ce trait distinctif est très pertinent dans la mesure où la rupture signifierait le départ et le jugement des responsables actuels, à leur tête le président de la République, comme il l'a proposé dernièrement M. Ali Yahia Abdenour, et la continuité donnerait aux hommes du régime une autre chance pour rafistoler un système peu démocratique. L'opposition politique, en Algérie, ne parle pas le même langage. Elle est scindée en trois principales catégories ; une première, démocratique, chante en dissonance, une seconde, islamiste, n'attend que l'occasion pour s'exhiber avec force, et une troisième réticente. Ceux qui se réclament du camp démocratique veulent un passage direct vers une véritable démocratie. Sans ou avec les islamistes ? Toute la problématique est là. Avec les islamistes, la démocratie ne saurait convaincre grand monde. Sans les islamistes, l'Algérie ne serait qu'entre les mains des conservateurs «le FLN et ses dérivés». La démocratie et les valeurs républicaines devront attendre encore longtemps pour se voir revendiquées par la plupart des Algériens. Ces derniers, tellement ils se connaissent bien, ils se refusent le jeu politique «néfaste» qui mène vers l'incertain. A notre humble avis, la non-adhésion des populations aux diverses actions menées par la CNCD est due essentiellement à cela. Le peuple algérien, contrairement aux autres peuples arabes, a eu une expérience amère et douloureuse en matière de tentative de changement du régime politique. Il a payé cher la facture d'un choix suicidaire effectué dans l'euphorie des événements qui ont vu naître le multipartisme en Algérie. Aujourd'hui, il semble préférer la servitude à l'incertitude. Un Algérien, quand il choisit, il est très difficile de lui faire changer d'avis ! Néanmoins, des voix continuent de s'élever çà et là, mais sans qu'il y ait vraiment un quelconque aboutissement. Le pouvoir veille à ce que la contestation soit réduite au seul aspect social, tout en affichant une certaine disposition à satisfaire quelques revendications tant qu'elles ne remettent pas en cause sa légitimité. Certes, des étudiants ont été massacrés, des médecins ont été tabassés, des franchises universitaires et hospitalières ont été violées, des gardes communaux et des patriotes ont été méprisés et maltraités malgré ce qu'ils ont donné pour l'Algérie… mais les dirigeants, à aucun moment, n'ont senti le danger parce que les efforts étaient éparpillés et aucun mouvement n'a daigné soutenir ou joindre l'autre. Il nous est très difficile de comprendre ce qui motive l'obstination du pouvoir à faire durer l'interdiction de marcher à Alger. Si l'interdiction venait à être levée, y aurait-il un mouvement politique qui pourrait convaincre les Algériens de la nécessité de sortir dans la rue ? Y aurait-il une personnalité politique qui réussirait à rassembler autour d'elle l'essentiel de la classe politique algérienne ? Mis à part «le parti des voyous», aucune formation partisane n'est en mesure de faire bouger la rue algérienne. «Les voyous» n'ont jamais réclamé le départ du système et ils ne réclameront jamais tant que tout est mis à leur disposition ; prêts bancaires, impunité, avantages sociaux… etc. Ils sont les chanceux de l'Algérie de Bouteflika à côté des «égorgeurs repentis». Dans certaines régions du pays, l'Etat c'est eux ; on les craint beaucoup car ils jouissent d'une énorme capacité de nuisance. N'ont-ils pas rendu un grand service au pouvoir en participant à la campagne de pacification de la Kabylie au lendemain des événements du Printemps noir ? N'ont-ils pas participé activement dans l'opération de la dépolitisation de la Kabylie ? Il serait ingrat de nier leur rôle important dans le retour du FLN et le surgissement de la mode RND dans les villages kabyles. La succession et l'amoncellement de l'échec depuis la guerre de Libération nationale est la principale cause de la servitude volontaire à laquelle se résignent les Algériens aujourd'hui. Quand on entend des anciens militants de la cause nationale dire que «l'Algérie indépendante est une copie de l'Algérie colonisée», il nous est permis de tenter une relecture de l'histoire de notre pays loin des duperies des faux Moudjahidine et avec un peu de pragmatisme en vue d'éluder les différentes erreurs commises jusque-là. Seul le renoncement au nationalisme populiste et autoritaire est susceptible d'ouvrir de nouvelles voies vers une Algérie meilleure, où chaque Algérien trouvera ses repères et ses espoirs. Ce choix, tellement il s'interdit même au sein des élites, est devenu l'impensable au niveau des masses populaires. L'histoire officielle peut toujours continuer à raconter ses anecdotes tant qu'il existe un auditoire sensible au discours épique. A entendre le premier ministre Ahmed Ouyahia, on comprend bien qu'un certain changement est en train de s'effectuer en ces moments en Algérie. On passe de l'ère de Bouteflika vers une époque où Ouyahia serait «le maître du pays ». Il ne le dit pas textuellement, il le sous-entend «la présidence est une question de destinée», répondit-il à une question d'un journaliste. L'ambition et la confiance en soi lui ont permis d'opposer un niet irréversible aux revendications des différents mouvements sociaux. Quand un homme politique ose défier toute une dynamique sociale, en plein contexte révolutionnaire, il ne peut s'agir que de comédie. On pourrait comprendre que toute cette gesticulation n'est en réalité qu'une manière d'éviter la convergence vers l'exigence d'un véritable changement politique. En somme, Ouyahia a les mêmes ambitions qu'avait Krim Belkacem à la veille de la désignation de Benkhedda à la tête du GPRA mais… Telles sont les propriétés politiques d'une Algérie qui constituera certainement l'exception dans un monde arabe subissant de profonds bouleversements dans le cadre des révolutions qui ne sont pas forcément révolutionnaires.