Un appel est lancé pour réunir une Commission nationale politique avec toutes les parties sans exclusive. La réconciliation va-t- elle conduire inéluctablement à l'amnistie générale? Est-il judicieux de légiférer par ordonnances les textes d'application? Deux problématiques de taille posées à l'invité de notre rubrique A coeur ouvert, le juriste et le fervent militant des droits de l'homme, Maître Ali Yahia Abdenour. Faisant une lecture entre les lignes du projet présenté au peuple algérien le 14 août 2005, et tout en reconnaissant l'importance de la démarche politique, il estime que le projet, dans son état actuel, ne peut atteindre ses objectifs principaux. La paix ne peut être instaurée par une loi, car elle constitue l'aboutissement d'un long processus qui passe tout d'abord par la vérité. Or, le projet en question «invite le peuple algérien à tourner subitement la page d'une décennie marquée par le sang et les dissensions, sans pour autant définir d'une manière objective les protagonistes de cette crise» défend Me Ali Yahia. Le premier travail à faire donc, c'est d'avoir le courage de dire la vérité, laquelle permettra de rétablir la justice et la mémoire avant d'arriver au stade le plus important de ce processus qui devra consacrer le pardon ou plutôt «la véritable réconciliation nationale». «Ce n'est pas propre à l'Algérie, tout le monde commet des erreurs, des dépassements en temps de guerre. L'erreur réside dans le fait de vouloir mettre un voile sur une partie de la vérité pour des raisons que nous connaissons tous». Plus incisif, il se dit étonné « de constater qu'aucun responsable, soit au niveau de l'administration soit parmi les chefs terroristes, n'est traduit devant la justice». «Je ne dis pas qu'il faut juger tout le monde, mais les témoignages de ces derniers, qui étaient impliqués d'une façon directe ou indirecte dans la crise sont décisifs», ajoute-t-il. Ali Yahia Abdenour préconise le lancement d'un véritable débat de société qui permettra de cerner le dossier de la réconciliation nationale. «Chose qui n'a pas été faite jusqu'à aujourd'hui». Le recours aux ordonnances présidentielles pour légiférer les textes d'application est la preuve, selon lui, de cette volonté de « verrouiller » le champ à tout débat politique sur ce projet de paix. «Cette démarche m'amène à m'interroger sur le rôle de l'Assemblée nationale populaire». «Si cette institution n'est pas associée dans des débats aussi stratégiques pour l'avenir du pays, l'on est véritablement en mesure d'émettre des doutes sur ses véritables missions.» Il s'agit pour notre invité de traiter les germes de la crise pour éviter aux prochaines générations de revivre cette période difficile. «On va donner beaucoup d'argent aux victimes, mais ça ne résoudra pas le problème». La réconciliation doit être enracinée comme une conviction chez tout le peuple, «Autrement, demain si le système change, d'autres viendront réclamer justice. C'est pour cette raison que nous insistons sur le fait que le pardon ne peut intervenir qu'après la vérité. Il est important dans ce sens de clarifier la situation». Il plaide en faveur de la réunion d'une commission nationale politique, avec toutes les parties sans exclusive. Cette commission doit installer deux groupes de travail. Le premier chargé des questions juridiques et le deuxième du volet politique. Evoquant, justement, le rôle du parti dissous dans la sphère politique nationale, Ali Yahia Abdenour ne voit aucun inconvénient à son retour «sous un autre sigle». Juridiquement parlant cette thèse est-elle envisageable? L'avocat et le militant des droits de l'homme répond par l'affirmative. «L'amnistie conduit à la réhabilitation des droits civiques. Logiquement, rien ne pourra empêcher les dirigeants de l'ex-FIS de retourner sur la scène politique». Mais dans le projet du président, il n'est pas fait allusion à l'amnistie, avons-nous rétorqué. «Comment expliquer dans ce cas précis, la sortie de Madani Mezrag qui reconnaît avoir tué au maquis?» Pour notre interlocuteur il est important de faire la part des choses. C'est ainsi qu'il classe le numéro 2 de l'ex-FIS, Ali Benhadj, dans la liste des prisonniers d'opinion. «Ce dernier, ajoute-t-il, interrogé par la chaîne Al Jazeera, n'avait fait qu'exprimer un avis sur une situation bien précise» concernant l'activité diplomatique dans un pays envahi par des troupes étrangères, en l'occurrence américaines.