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«La part des transferts financiers traduite en investissements en Algérie est inconnue»
Mohamed Saïb Musette. maître de recherche au Cread
Publié dans El Watan le 24 - 07 - 2011

L'implication des migrants dans les activités économiques, politiques, sociales et culturelles se poursuit sans qu'il y ait encore des incitations directes soutenues de la part des autorités algériennes. La part de l'argent des migrants qui va à l'investissement ne peut être connue qu'à travers des enquêtes approfondies auprès d'eux ou des membres de leurs familles.
Mohamed Saïb Musette, maître de recherche au Centre de recherche et études approfondies en développement (Cread), analyse dans cet entretien les transferts de fonds de notre communauté établie à l'étranger.
- Quelle est la contribution des Algériens établis à l'étranger au développement de leur pays d'origine ?
La contribution de notre communauté au développement économique et social de l'Algérie est immense, mais son impact reste encore à mesurer. Il faut comprendre par contribution, non seulement l'aspect matériel – transfert d'argent ou encore de biens – mais aussi sa dimension immatérielle. Les transferts de fonds de l'étranger (en net) vers l'Algérie, selon les données de la Banque d'Algérie (2011), s'élèvent à 2,630 milliards de dollars en fin 2010, soit 75% du montant des investissements directs étrangers (IDE) ou encore 56,2% des recettes d'exportation hors hydrocarbures. Ces transferts comprennent plusieurs rubriques : épargne de travailleurs, compensations des travailleurs, des retraités, des primes, mais aussi la rémunération des travailleurs auprès des institutions internationales en Algérie. La part de ces transferts, qui est traduite en investissements en Algérie, est inconnue. Il n'y a qu'un seul moyen d'évaluer cette contribution, c'est à partir d'enquêtes sur le terrain directement auprès des migrants ou des membres de leurs familles. Nos travaux sur le terrain nous renseignent que ce n'est pas tous les migrants qui effectuent des transferts d'argent vers l'Algérie. Puis parmi ceux qui transfèrent de l'argent, il y a une part qui va vers des projets d'investissement au pays.

- Les pouvoirs publics ont, depuis quelques années, manifesté leur intérêt pour la contribution des émigrés au développement économique par le biais notamment d'ouverture de filiales de banques à l'étranger et autres facilitations, cela a-t-il donné des résultats, selon vous ?
Il y a un intérêt manifeste des autorités pour maintenir et accroître la contribution de notre communauté. Ces deniers aussi ont prouvé leur disponibilité à apporter une plus grande contribution, ils s'organisent à l'étranger de mieux en mieux. Il y a eu quelques idées intéressantes de la part des autorités algériennes, mais aucune action concrète n'a été prise à ma connaissance. L'implication des migrants dans les activités économiques, politiques, sociales et culturelles se poursuit sans qu'il y ait encore des incitations directes soutenues de la part des autorités algériennes.

- Avez-vous des estimations sur les transferts financiers des émigrés vers l'Algérie et ne pensez-vous pas que le marché parallèle de la devise absorbe le plus gros des transferts ?
Le marché parallèle de la devise existe depuis très longtemps. C'est une activité connue par tout un chacun qui n'implique pas seulement les changes de notre communauté. Ils sont plusieurs acteurs qui animent ce marché – parfois même des étrangers. On ne peut pas savoir exactement quelle est la part des transferts qui proviennent de nos migrants. Tous les migrants ne sont pas systématiquement des remiseurs. De même, tous les remiseurs ne pas des migrants. Un travailleur en Algérie peut faire entrer de l'argent de l'étranger sans qu'il soit migrant. Un retraité de retour définitif n'est plus migrant. Il reçoit de l'argent de l'étranger. On peut relever d'après les données de l'ONS, dans nos opérations avec le reste du monde, qu'il y a une part infime des recettes qui proviennent de la «rémunération des salariés» résidant à l'étranger. Ou encore, selon le rapport de conjoncture de la Banque d'Algérie, l'essentiel des recettes proviendrait de la retraite des travailleurs migrants – vivant ou décédés. Revenons à l'estimation des transferts. C'est très passionnant. Nous avons réalisé une double enquête : nous avons interrogé le migrant en personne, d'une part, et aussi interrogé les familles des migrants, d'autre part. Des contradictions apparaissent souvent : c'est normal qu'ils ne disent pas toujours la même chose. Chacun essaie de positiver le comportement de l'autre. Il arrive parfois qu'il y ait des attitudes négatives qui sont relevées, mais c'est assez rare. Le migrant c'est l'honneur de la famille, même s'il est mal en point à l'étranger. Les résultats de nos enquêtes (2007) donnent une estimation qui me semble intéressante : il y a au moins 82% des migrants, autant d'hommes et de femmes (un très faible écart selon le sexe) qui affirment avoir effectué des transferts vers l'Algérie, directement ou non, quel que soit le mode d'envoi (bancaire, personnel, formel ou informel) ou encore envoyé des biens durables à la famille en Algérie. Au Maroc, d'après les travaux d'un collègue économiste, le taux de migrants-remiseurs est estimé à 67%. L'usage de la voie bancaire est très faible : d'après les familles des migrants, cette voie est empruntée par seulement 4% des migrants. Mais lorsqu'on a interrogé les migrants eux-mêmes, le taux des transferts par voie bancaire s'élève à 35%. Positivons, autrement dit, 65% des transferts d'argent se font par «les migrants eux-mêmes», selon la déclaration des migrants ou principalement par «des membres de la famille ou des amis», selon la déclaration des ménages. La prédominance des voies informelles n'est pas spécifique à l'Algérie. Selon l'enquête de la Banque africaine de développement (BAD) (2007), ces taux sont estimés à 82% pour les îles Comores, 73% pour le Mali, 46% pour le Sénégal et seulement 27% pour le Maroc. Le faible taux d'informel pour ce dernier pays s'explique par le fait qu'il existe 27 banques commerciales marocaines implantées à l'étranger et cinq sociétés de transfert rapide, sans compter les banques étrangères installées de longue date au Maroc.

- Que donnent vos estimations en chiffres ?
Notre estimation des remises financières, selon les déclarations des familles, donne une moyenne annuelle de 3422 euros, soit 285 euros par mois par remiseur. Par contre, l'enquête auprès des migrants donne un montant annuel moyen de 1670 euros, soit une moyenne mensuelle de 139 euros. Les déclarations des ménages donnent ainsi un montant de plus de 2 fois supérieur à celui déclaré par le migrant. Ce constat confirme bien qu'il y a un biais introduit dans les déclarations des deux groupes de populations : on peut estimer qu'il y a une surestimation chez les familles ou qu'il y a une sous-estimation chez les migrants. Une moyenne entre les deux déclarations donnerait une somme annuelle de 2546 euros, soit 212 euros en moyenne mensuelle par migrant. La moyenne observée en Algérie est nettement supérieure à celles observées par la BAD – qui donne 103 euros pour le Maroc, 122 euros pour le Sénégal, 160 euros pour le Mali et enfin 103 euros pour les îles Comores.
- Les évaluations des contributions des diasporas maghrébines au développement de leur pays d'origine sont toujours en défaveur de l'Algérie. Cette évaluation est-elle justifiée ? Si oui, quelles en sont les causes ?
Les estimations récentes, sur la base d'enquêtes réalisées auprès des migrants de retour dans les trois pays du Maghreb, relativisent cette appréciation négative de l'apport de notre communauté. C'est une idée du passé à mon sens. Actuellement, nous avons constaté la suprématie des Tunisiens et une certaine égalité en termes relatifs entre les Marocains et les Algériens. Comme je l'ai dit auparavant, la part de l'argent des migrants qui va à l'investissement ne peut être connue qu'à travers des enquêtes approfondies auprès des migrants ou les membres de leur famille. Nous avons aussi une nouvelle catégorie d'investisseurs parmi notre communauté, ce sont les enfants des migrants algériens. Ils ne sont pas des migrants au sens onusien du terme. Ils sont encore peu nombreux à venir investir en Algérie. Ils sont souvent des binationaux ou encore des «birésidents», ici et dans le pays d'accueil. Nos enquêtes réalisées auprès des migrants de retour (1998-2006) dans les trois pays du Maghreb central donnent des résultats intéressants. En termes relatifs, en établissant le rapport du nombre de migrants employeurs avec le nombre de migrants de retour actifs, on obtient des taux de 41,5% pour l'Algérie, 42,2% pour le Maroc et 53,1% pour la Tunisie. Ces résultats sont intéressants, mais restent insuffisants pour comprendre réellement le niveau de l'apport de notre communauté au développement du pays, qui n'est pas que monétaire. Le groupe Anima, dans son rapport en 2010, atteste de l'existence de 40 réseaux algériens qui activent en direction de l'Algérie dans différents domaines selon leurs compétences. Cet apport «immatériel» est encore plus important que celui du strictement «matériel».


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