L'événement culturel majeur de l'été suisse, c'est toujours la tenue du Festival international du film de Locarno et l'atmosphère créée par la présence de milliers de cinéphiles enthousiastes, attirés sur les rives du Lac Majeur, dont les eaux limpides et fraîches invitent les baigneurs quand le temps se fait caniculaire. Mais on vient à Locarno pour d'abord voir les films... Sur les centaines de productions réparties entre plusieurs sections, mise à part la rétrospective Vincente Minelli, les hommages à Claudia Cardinale, Bruno Ganz, Isabelle Huppert, Abel Ferrara, vingt films constituent la section officielle et tentent de séduire le jury présidé par le producteur portugais Paulo Branco qui remettra le fameux Léopard d'or, le 13 août, au cinéaste jugé le plus talentueux. La ville de Locarno est non seulement belle mais elle possède aussi une étonnante Piazza Grande, unique au monde, qui peut contenir, dans une ambiance exaltante, 8000 spectateurs pour les projections nocturnes, sous les étoiles et sur écran géant. Le programme du Festival de Locarno, œuvre depuis deux ans de son directeur artistique Olivier Père, ex-responsable de la Quinzaine des réalisateurs, est typique de celui des cinéphiles intransigeants en matière de qualité, de nouveauté, de flair réel dans la recherche à travers le monde des œuvres les plus remarquables. Jetons un coup d'œil sur les trouvailles d'Olivier Père pour cette 64e session du Festival de Locarno. La première bonne surprise, c'est de retrouver le cinéaste algérien Rabah Ameur-Zaïmèche en piste pour le Léopard d'or avec Les Chants de Mandrin, long métrage fiction, sujet d'histoire de France, tourné dans les décors naturels de l'Aveyron et de l'Hérault, sur la vie de Louis Mandrin, célèbre capitaine général des contrebandiers au XVIIIe siècle (1725-1755). Mandrin avait séduit l'écolier Zaïmèche sur les bancs de sa classe dans la banlieue de Paris et il a fini par en faire une saga pour célébrer ce personnage à la fois contrebandier, héros populaire, justicier, gentilhomme, stratège soulevant une armée de fourches et de bâtons. Le défi de Rabah Ameur-Zaïmeche Ce révolutionnaire en haillons était acclamé par le peuple de France, ovationné avec des cris de joie par ceux qui aiment les bandits d'honneur. Sur son lit de mort, le Maréchal de Saxe a fini par avouer : «Pour sauver la France, c'est un chef comme Mandrin qu'il nous faudrait.» Après son arrestation et son exécution, ses compagnons repartaient vers de nouvelles aventures... En choisissant un sujet sérieux, historique, R-A Zaïmèche rejoint ainsi le cinéma élitaire, de qualité, celui de Rivette, Allio, Tavernier ou Francesco Rossi. Et Zaïmèche a dû voir aussi le chef d'œuvre de Fritz Lang : Les Contrebandiers de Moonfleet (1955), un classique souvent au programme de la cinémathèque d'Alger dans les années fastes. Autre présence algérienne, ou algéro-canadienne, c'est le grand comédien et humouriste Fellag qui joue le rôle principal dans Bachir Lazhar, film de Philippe Falardeau, hors-compétition, en première mondiale. A l'origine, c'est une pièce de théâtre qui a connu un grand succés au Canada et à Avignon, sur la vie d'un émigré algérien au Québec. L'incontestable richesse de la compétition réunit parmi les vingt films ceux qu'on guette avec impatience aux projections matinales de la salle du Casino : Beyrouth Hôtel de Danièle Arbid (Liban), Last Days in Jerusalem de Tawfik Abu Wael (Palestine), Low Life de Nicolas Klotz et Elisabeth Perceval (France), Dernière Séance de Laurent Achard (France). Tawfik Abu Wael a réalisé aussi Atash (soif) présenté à Cannes, semaine de la critique, en 2004, prix Fipreci. Et un autre film intitulé Retour à Haïfa. Laurent Achard, prix Jean Vigo et prix de la mise en scène à Locarnio en 2006 pour Le Dernier des Fous, avec Fettouma Bouamari, a filmé cette fois-ci la curieuse histoire d'un cinéphile, Sylvain, qui voue sa vie à un cinéma de quartier condamné à la fermeture mais qui a une double vie : chaque soir, comme dans les films noirs, il exécute une victime, jusqu'au jour où il tombe amoureux...Temps fort aussi dans Low Life, histoire de jeunes gens amoureux dont la vie mêle politique, art, amitié et désir... Le Festival de Locarno a aussi bâti sa bonne réputation sur la récente et excellente section Open Doors (portes ouvertes), soutenue financièrement par le ministère suisse des Affaires étrangères, qui sélectionne des films du Maghreb, Moyen-Orient, Afrique et Asie. Cette année, place à l'Inde ! Le continent du cinéma par excellence qui a vu naître le travail d'esthètes très raffinés comme Satyajit Ray à Calcuta, aussi bien que des films de Bollywood où l'on chante, danse et rit. A Locarno, grâce à Open Doors, le programme annonce une rétrospective unique, impressionnante des films de Satyajit Ray : Charulata, Mahanagar, Kapurush et bien d'autres dans des copies soigneusement restaurées. Au même programme, des films de Shyam Benegal, Raj Kapoor, Guru Dutt, Ritwik Ghatak, Aparna Sen, Adoor Gopalakrishnan (venu du lointain Kérala). Un panorama indien saisissant qui fait d'Open Doors encore une fois un maillon fort du Festival de Locarno.