Les habitants de plusieurs quartiers se mobilisent pour lutter contre l'informel «qui a été rétabli par les mesures prises par le gouvernement concernant l'obligation d'utilisation des documents pour toute transaction commerciale», comme tiennent à le préciser un groupe d'habitants de Bab Ezzouar. Ces mesures visent, on l'a bien constaté, à apaiser les tensions, après les fameuses émeutes du début de l'année. Résultat : des méga-marchés informels envahissent toutes les villes. Des personnes s'enrichissent et continuent à créer de la richesse et une économie informelle qui se développe sans que les autorités en prennent conscience. Les habitants des quartiers rongés par ce mal, après avoir compris que les requêtes déposées au niveau des APC pour les délivrer de cette gangrène ne sont que des coups d'épée dans l'eau, ont commencé à s'organiser pour se réunir autour d'un seul mot d'ordre : dégager le marché informel. A Alger, ce sont les habitants de Baraki qui ont commencé à donner les premiers signaux. Des pétitions ont été lancées et des sit-in sont organisés régulièrement. Pas moins de 60 personnes se réunissent régulièrement devant le siège de la daïra, pour réclamer l'éradication de l'informel, mais dans l'indifférence générale. La violence banalisée L'APC et la daïra ainsi que la police locale ont été saisies pour faire régner un peu d'ordre. Mais la dernière action menée, fin juillet, a coupé court aux espoirs des représentants. Aucune réaction n'a été enregistrée au niveau local. Le dernier sit-in s'est tenu alors que les responsables locaux étaient en vacances. «La présidente de l'APC est en vacances, les élus aussi, même l'imam est en vacances. C'est vous dire que notre problème est le dernier souci de nos responsables», ironise un médecin exerçant à la clinique Mezli, une des victimes de ce souk anarchique. Les représentants de Baraki réclament le déblocage des rues principales de la ville (Saïd Yahyaoui et Ahmed Assas) lesquelles sont complètement rongées par l'informel. «Durant l'année scolaire, nos enfants n'arrivent plus à suivre leurs cours normalement. Les bruits assourdissants des vendeurs les empêchent de se concentrer», témoignent des parents. Toute la ville est paralysée. Sur les axes principaux de Baraki sont situés des écoles, une polyclinique, une pharmacie, une mosquée, une clinique privée et… un commissariat. Selon des représentants des comités de quartier, la seule décision prise à l'arrivée du nouveau commissaire a été la fermeture à la circulation de la rue mitoyenne au commissariat. «Une manière de se protéger contre les gangs de l'informel qui sèment la terreur. Tandis que pour nous, il faut faire encore preuve de patience», se plaint-on également. Les habitants de Baraki, qui tirent la sonnette d'alarme, espèrent en finir avec la violence qui est en train de se banaliser. Pas plus tard qu'avant-hier, une rixe a éclaté entre plusieurs vendeurs qui se disputaient un trottoir ; l'altercation s'est soldée par un affrontement à l'arme blanche. Plusieurs blessés, dont un grave, ont été enregistrés, apprenons-nous auprès des habitants. Afin de se constituer en interlocuteur «officiel», les représentants des quartiers de Baraki s'organisent maintenant en comités de quartier réguliers «afin de mettre toutes les chances de notre côté pour sauver notre ville». Car actuellement, disent les représentants de Baraki, «ni le maire ni le wali délégué, encore moins le chef de la sûreté, n'ont daigné nous écouter». A Bachdjarrah, les trabendistes ont eu le dernier mot. Tout comme à Baraki, on y dénonce l'informel. Après le retour des squatteurs de trottoirs, des voix se sont élevées contre les vendeurs anarchiques qui ont envahi l'avenue principale de la ville. «Nous nous sommes réjouis, fin décembre dernier, des réalisations de la police qui a réussi à dégager la rue principale de Bachdjarrah, mais notre bonheur n'a duré que quelques jours. Les émeutes de début janvier ont eu pour effet de renforcer ces vendeurs dans leur quête des trottoirs. Aucun centimètre ne leur échappe aujourd'hui», déplore un vieil habitant qui a participé aux différents sit-in devant l'APC et la sûreté urbaine. Les représentants des comités de quartier, qui tentent de mobiliser les habitants contre ce fléau, semblent découragés par l'inertie du pouvoir local qui «se plie aux pilleurs et aux squatteurs de la République». De l'autre côté de la capitale, à Bab El Oued, une autre guerre est livrée contre le même ennemi. Les comités de quartier ont organisé plusieurs actions pour réclamer «le respect des lois de la République». C'est peine perdue, «rana ntebou fi hmar meyet», lâche un jeune représentant de ce quartier, devenu aujourd'hui un gigantesque marché informel. Bab El Oued : «Au moins, libérez les rues» Les sit-in organisés devant les instances administratives de cette commune ont failli tourner à l'émeute. La situation est peu maîtrisable, reconnaît un jeune représentant de quartier qui a requis l'anonymat : «La ville est livrée aux gros bonnets de l'informel qui font circuler leurs marchandises en toute impunité.» Les vendeurs, qui viennent d'un peu partout, sont à l'abri de tout contrôle ; ce ne sont pas des petits vendeurs en quête d'un moyen de subsistance. Le forcing de la population exercé à travers les différentes actions de protestation n'a eu aucun effet concret. Mais c'est loin de décourager les habitants dans leur action contre les «hors-la-loi». Pour Faycel et Ayad, deux représentants des comités de quartier de Bab El Oued, «la ville est étouffée. Toutes les ruelles sont bloquées par les marchands anarchiques». Nos interlocuteurs précisent : «Nous avons eu une rencontre avec la police suite au dernier sit-in. La partie représentant la DGSN s'est engagée à prendre des mesures. Aujourd'hui, certaines rues ont été débloquées. Nous réclamons aujourd'hui le déblocage des rues Ahmed Bouder et des Frères Merzouk.» Ce «premier pas» semble donner espoir à la population de Bab El Oued qui est «déterminée à continuer dans la mobilisation». Bab Ezzouar : rendez-nous notre dignité ! Si une grande partie des quartiers de la commune de Bab Ezzouar est infestée par l'informel, c'est la cité des 498 Logements qui semble la plus affectée. Le quartier est habité principalement par des familles d'enseignants et de chercheurs. Plusieurs actions ont été menées, vainement, à travers des pétitions et des appels à l'aide à l'adresse de l'APC et de la daïra. «Aujourd'hui, nous sommes contraints de nous terrer chez nous pour ne pas subir les agressions multiformes des marchands informels», désespère une mère de famille. «Ils sont plus d'une centaine à exercer sous nos fenêtres de 6 h du matin à 23 h. Ils entassent leurs marchandises sur les trottoirs et bloquent la circulation, mais ils refusent de rejoindre le marché qui a coûté 800 millions de centimes, avec toutes les commodités, situé au chef-lieu de la commune», précise une habitante qui a suivi l'évolution de ce phénomène dans sa cité. «Aujourd'hui, nous avons décidé d'agir. Nous ne savons pas comment, mais irons jusqu'au bout», martèle une fonctionnaire à la retraite qui s'est déplacé à notre journal pour «crier mon ras-le-bol de cette situation. Imaginez que vous êtes agressé verbalement, menacé dans votre sécurité, violé dans votre intimité. C'est ça, notre vécu au quotidien». «Où allons-nous ? Qui va nous délivrer de ce monstre qui se nourrit de l'inertie de nos responsables ?» s'interroge sa voisine qui l'accompagne. Ce sont les questions que se posent des millions d'Algérois qui ne savent plus à quel saint se vouer. Les autorités chargées de mettre les moyens de lutter contre ce phénomène semblent préoccupées par autre chose.