La mendicité est certes un indice de malaise social et de paupérisation qui a atteint des pans entiers de la société. Elle est aussi l'un des phénomènes révélateurs d'une dépravation des mœurs et d'une course pour le lucre où tous les subterfuges sont permis. Un hôtelier de la ville de Souk Ahras révèle à ce propos: «Chaque mois de Ramadhan je reçois plusieurs mendiants, des femmes, des enfants et quelques hommes handicapés. Ils paient leur location pour trente jours et repartent après la fête de l'Aïd. Ils sont tous originaires de la même région.» Un citoyen de la cité Ibn-Rochd loue durant ce mois sa bâtisse semi-construite à «des femmes en haillons et des enfants déguenillés qui s'acquittent le premier jour du loyer d'un mois». Les deux trouvent bizarre cette situation mais ne s'en formalisent guère du moment que tout est géré légalement. Ce sont ces mêmes familles qui débarquent d'une wilaya lointaine que l'on rencontre de jour comme de nuit au niveau des rues commerçantes de la ville, tendant la main et demandant charité aux passants. Les enfants vous collent carrément aux vêtements et ne lâchent prise que lorsque vous glissez la main dans la poche. Les femmes, elles, ont plus d'un tour dans leur besace. Si ce n'est pas une veuve qui doit nourrir six enfants, c'est une dame qui veille à la santé d'un mari handicapé. D'autres optent pour une allure impeccable pour simuler la détresse d'une famille aisée réduite à la disette. A la rue Abane Ramdane, une mendiante locale, prise par un pic de nerfs, crie à l'adresse des passants: «Ne l'écoutez pas, c'est une fausse mendiante. Elle ne manque de rien, je le jure !»