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De la libération aux libertés
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Publié dans El Watan le 15 - 08 - 2011

La veille du cinquantième anniversaire de l'indépendance suggère des arrêts sur certaines épopées du peuple algérien dans ses luttes et résistances lorsqu'il fut poussé au bord de l'abîme.
Ces fresques de l'histoire récente mettent en évidence les avancées, la maturation ou le niveau de conscience atteint à différentes périodes par nos aïeux et nos parents, en particulier lors de la colonisation, mais aussi lors de l'indépendance lorsqu'il fallait protéger le nouveau-né : Halte, sept années suffisent. Cette conscience et cette maturité cumulées de génération en génération ont amené le peuple, dans les années 1990, à prendre plus de risques que lors de la guerre de libération, pour sauver l'Etat, menacé dans son existence par le terrorisme. Ces événements indélébiles qu'a subis le peuple dans sa majorité, le haut niveau de maturité dont il fait preuve à chaque fois qu'il est sollicité, les mobilisations énormes exigées pour sa survie interpellent, aujourd'hui, le pouvoir à répondre à ses exigences par une solution de fond : la reconnaissance sociale et politique et non par des traitements symptomatiques.
Le commun des mortels peut considérer que puisque le peuple ne réclame pas de liberté, c'est qu'il n'en ressent pas la nécessité. Mais au niveau du pouvoir, on sait que ce silence n'est que le résultat de manipulations et d'intimidations tendant à annihiler la jonction des mécontents pour réduire l'idéal à une satisfaction du tube digestif et masquer, encore une fois, la défaillance du pouvoir incapable d'anticiper les exigences de sa société.
Cycles de maturation
Que ce soit en Algérie, au Vietnam, en Inde ou ailleurs, l'occupation par les forces coloniales fut le plus souvent progressive. Précédée par des voyages d'étude du territoire ciblé, des us et des coutumes de ses habitants et de leurs rapports au pouvoir en place, sous couvert de missions à caractère scientifique, commercial et/ou religieux, l'occupation gagnait du terrain par les armes et se consolidait par l'implantation d'officines de renseignement avant d'envahir la totalité du pays pour déborder ensuite sur son voisinage immédiat. Face à des armées européennes modernes, entraînées et bien organisées, les peuples, victimes de la colonisation, organisés en tribus ou en ethnies, apprirent, dans la douleur, l'archaïsme de leurs forces (le choc). En répondant à l'appel de leurs partis politiques d'envergure nationale, ils découvrirent l'obsolescence de leurs certitudes, mesurèrent alors les préjudices meurtriers de leurs anachronismes (le réveil) et prirent en charge leur destin (les révolutions).
Les Algériens s'engagèrent dans des luttes sanglantes qui vont s'avérer inadaptées aux techniques et moyens militaires déployés par l'envahisseur. Les insurrections ne vont cesser qu'en 1917 au Hoggar. La bataille de Oued Imhirou et Tin Hidhan est la dernière signalée. Les 26 soulèvements armés à travers le territoire, bien que sporadiques, auront montré que la malédiction était générale. L'armée et l'administration coloniales consolidaient l'occupation, les services de renseignement (SR) français encadraient et infiltraient la population. La vie était amère, les Algériens tirèrent leurs conclusions. L'absence d'organe directeur, national, devant mobiliser les forces et coordonner les soulèvements des tribus algériennes permit à l'armée coloniale de disposer, à tout moment, de tous ses effectifs et de conserver ses capacités de mobilisation et de destruction.
De la mobilisation tribale à la mobilisation nationale
Les soulèvements des tribus vont se succéder dans des bains de sang et ne cesseront qu'au début du XXe siècle. Après la Première Guerre mondiale, et à partir de 1919, les Algériens s'engagèrent dans une intense activité politique qui, à terme, devait regrouper le peuple autour de l'idéal national et amener l'occupant au dialogue. Les pires stratagèmes, les plus éhontés, dont la fraude électorale, qui furent pratiqués systématiquement et à grande échelle, finirent par désespérer les Algériens les plus convaincus de la démarche pacifique en vue de l'amélioration de la situation de leurs compatriotes.
Après la Deuxième Guerre mondiale, à laquelle les Algériens ont participé les armes à la main, à la libération de la France, et suite au reniement par cette dernière de ses promesses d'indépendance de l'Algérie, exprimé par les massacres du 8 mai 1945, les hommes du PPA (Parti du peuple algérien), sans doute victimes de leur culture ancestrale sacralisant la «promesse», prirent acte de la fourberie et s'engagèrent désormais sur la voie révolutionnaire. En effet, le 15 février 1947, le comité central du parti décida de la création de l'Organisation spéciale (OS), à laquelle il assigna la préparation du soulèvement armé pour la libération du pays.
C'est au sein de cette historique Organisation spéciale que se forgeront, dans la clandestinité, les irréductibles enfants de la liberté qui, après avoir milité inlassablement au sein de leur parti politique, étaient désormais convaincus que la libération du pays ne pouvait être acquise que par la voie des armes. Malgré l'infiltration des partis politiques algériens par la DST, l'existence de l'Organisation ne fut révélée que suite à un évènement qui relève du fait divers. Certes, l'élan n'est pas brisé, mais il faudra attendre l'avènement des enfants de la Toussaint qui, refusant de prolonger une situation où la vie était amère, l'espoir interdit et la mort une délivrance, diffusèrent la Déclaration du 1er Novembre 1954.
En effet, suite au travail politique mené dans la clandestinité, le sentiment d'appartenance national transcenda les clivages tribaux et régionaux et, le 1er novembre 1954, l'Algérie s'embrasa, répondant ainsi au défi que lui imposa son histoire. «L'explosion de la violence se comprend au contraire comme une manifestation suprême de la vie, tout autant qu'une célébration de celle-ci.» (M. V. Creveld)
La France mettra tous ses moyens pour reprendre l'initiative. Sept années de guerre, de famine, de violence, de sang, de cris et de larmes rythmeront la vie des Algériens qui consentiront les plus lourds sacrifices pour se réapproprier leur indépendance. Consacrer la répression et l'intimidation comme mode de négociation procède d'une politique criminelle et relève, dans le meilleur des cas, de la myopie.
Seules les forces de sécurité ne pouvaient traiter tous les aspects du problème. Dominer militairement la guerre ne signifie pas se diriger vers la paix ni vers un seuil de stabilité. Le résultat final est éloquent, les commentaires de certains observateurs français le subliment : «Le FLN a réussi, depuis sept ans, une prouesse, écrit Alain Peyreffite, il reste désincarné. Son royaume n'est pas de ce monde (…) Le colonel Lacheroy devra réviser son manuel de guerre subversive. La guerre d'Indochine avait montré que le dernier degré du processus était l'incarnation de l'adversaire sous forme de micro Etat. La guerre d'Algérie aura montré que le nec plus ultra de la guerre révolutionnaire est sa non-incarnation.» C'est ce que le peuple algérien exprimait sur tous les murs par : Un seul héro, le Peuple.
Le soleil des indépendances et du parti unique
L'Algérie indépendante entama sa marche par un coup d'Etat contre le GPRA et une guerre des wilayas. Benbella présida à la destinée d'un pays sorti exsangue d'une longue nuit coloniale. 1 500 000 martyrs, tombés au champ d'honneur ou morts sous la torture, des veuves et des orphelins, des estropiés, des sans-abris auxquels s'ajoutait un grand nombre de chômeurs pendant que les caisses du jeune Etat étaient vides. Le peuple se mobilisa et versa ce qu'il possédait au Trésor public. Première déception régionale : en 1963, l'infanterie mécanisée marocaine viole les frontières pour annexer la Saoura. L'ANP accourt, la rébellion en Kabylie cesse brutalement et ses unités de combat rejoignent le front, la jeunesse est mobilisée. On l'appelle «la guerre des sables».
Le 19 juin 1965, le colonel Boumediène, ministre de la Défense, déposa Benbella par un putsch militaire et s'empara du pouvoir.
Boumedène, président de la République, initia trois révolutions : agraire, industrielle et culturelle… trois échecs. Deux années plus tard, en 1967, le monde arabe est humilié suite à la déroute de ses armées face au Tsahal israélienne lors de la guerre de juin 1967. On l'appela «la guerre des 6 jours». Depuis, les peuples arabes vont vivre cette humiliation sous le joug de leurs dictateurs jusqu'au mois de janvier 2011, lorsque les Carthaginois se révoltent pour dire au dictateur Ben Ali «Dégage !». Le système économique en Algérie a atteint ses limites sous le président Chadli, la crise économique de 1986 le mit à nu, la vente concomitante le ridiculisa. Chadli le reconnaîtra devant le comité central du parti unique, le FLN, et proposa des réformes. Une fin de non-recevoir, confortée par l'intervention du porte-parole du MDN : «Le socialisme est un choix révolutionnaire qui ne saurait être remis en cause», lui fut opposée. Le Président est seul face à ses responsabilités. Le 16 septembre 1988, Chadli lance un appel au peuple pour le soutenir. Le 5 octobre de la même année, des émeutes éclatent dans toutes les villes d'Algérie hormis Constantine. Elles durent trois jours au cours desquelles 190 Algériens trouveront la mort.
Le pouvoir vacille, mais Chadli est réélu pour un troisième mandat. Les résultats lui donnent les coudées franches pour engager le pays dans la voie des réformes. La situation internationale s'y prêtait : chute du Mur de Berlin, Gorbatchev lançait la perestroïka dans une ambiance de glasnost. L'Algérie était au rendez-vous de l'histoire. La joie était sans pareille… Mais le mouvement islamiste, en particulier le parti du FIS, mit fin au rêve. «Que le peuple sache que c'est la dernière fois qu'il vote (…) Le vote est une prérogative du majliss echouri», déclare R. Kebir, à 23h, à la TV algérienne, la veille des législatives. De son côté, A. Benhadj soutenait que la démocratie est kofr. Les partisans scandaient : «La mithaq, la doustour…»
L'attaque de la caserne de Guemar avec vol d'armes et assassinats par un groupe de terroristes dirigé par Méliani, ancien lieutenant de Bouyaâli, obscurcit l'horizon. Les événements vont s'accélérer, amenant à l'arrêt du processus électoral. Les partis politiques sont priés de se mettre en veille. Seul le FIS refusa d'obtempérer et engagea le bras de fer avec le pouvoir. Tout était fermé en face de nous. Tout le monde attendait pour voir l'immersion de la nation dans son sang. L'immersion du peuple qui, le 1er novembre 1954, a osé défier la puissance coloniale en un combat juste dans les chaînes montagneuses ébranlant leurs certitudes.
Toutes les puissances soutenaient le GIA, beaucoup d'imams donnaient des fetwa en faveur du crime, les banques refusaient les prêts. L'Algérie étouffait. Encore une fois, seul face à son destin, le peuple se mobilisa derrière son président L. Zeroual. La lutte antiterroriste s'engagea, entraînant en moyenne 10 000 morts par an et dura une décennie. Les terroristes furent vaincus, discrédités et leur capacité de nuisance fortement amoindrie. Mais le héros démissionna, non sans avoir déclaré toute sa reconnaissance au peuple à qui il laissa une belle Constitution. Le système qui a prévalu depuis l'indépendance fut donc remis en cause grâce au courage et à la vision anticipatrice de Chadli (n'en déplaise à ses détracteurs). Il sera reconstitué par petites touches par le nouveau président, A.
Bouteflika, venu réinstaurer la paix et la concorde entre les Algériens et redorer le blason du pays devant la communauté internationale. Il s'impliqua personnellement pour asseoir la stabilité et mit à contribution institutions et services de l'Etat (Ansej, PNDA, FNDA, banques…) pour répondre aux besoins des jeunes et booster l'agriculture. Ses efforts pour redresser l'économie et son obstination à doper la croissance par la dépense publique à coups de milliards de dollars n'ont pas atteint les résultats escomptés. Les jeunes continuent à chercher leur idéal au-delà de la Méditerranée, le phénomène de la corruption s'est généralisé, le détournement des deniers publics a atteint des dimensions dont le préjudice se traduit par la perte de confiance du citoyen envers son Etat et l'immolation apparaît comme une forme de délivrance ou une nouvelle forme d'offrande aux dieux pour solliciter l'ouverture des champs d'expression.
En 2008, le président réinstaura la possibilité du mandat à vie. Aujourd'hui, une autre Constitution se prépare. Conformément à la procédure mise en place, elle sera ce que voudra le centre unique dont l'oracle fait loi. C'est d'étape en étape, d'expérience en expérience, de sacrifice en sacrifice, processus de maturations et cumuls nécessaires que les peuples ont construit des Etats qu'ils ont définis, invariablement, comme étant «l'expression d'une conception de la justice qui rend son organisation intérieure légitime, et d'une projection de pouvoir qui lui permet de s'acquitter d'un certain nombre de fonctions minimales — c'est-à-dire de mettre sa population à l'abri des dangers extérieurs et des désordres intérieurs.» (H. Kissinger).
Ce sont ces Républiques démocratiques qui ont ouvert à leurs peuples la voie du savoir, du progrès et de l'épanouissement pour en faire des bâtisseurs, des conquérants. La Tunisie, l'Egypte, le Yémen et certainement aussi la Libye et la Syrie marqueront en lettres d'or leur reconnaissance envers leurs enfants qui leur ont offert leur deuxième libération. Cette jeunesse se projette déjà dans le futur. Elle chante : Bokra (tomorrow) : le We Are The World panarabe. Le peuple algérien, de génération en génération, a donné le meilleur de lui-même pour vivre libre, dans la dignité.


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