Les spectacles de théâtre montés dans le cadre de la manifestation «Tlemcen, capitale de la culture islamique» se succèdent avec de bonnes surprises. Donnée en avant-première à Aïn Témouchent, la pièce Hallaj El kheïr, Hallaj el fouqara, produite par le théâtre régional de Batna, en est une. Ecrit par le dramaturge et metteur en scène irakien Kacem Mohamed, mis en scène par Haïdar Ben Houcine, le texte débouche sur un spectacle prenant. Il y arrive comme d'ailleurs tous ceux qui convoquent un prétoire sur scène. Un tribunal n'est-il pas le lieu de la plus haute théâtralité ? Mais si la recette n'est pas nouvelle, exploitée qu'elle a été largement par le cinéma, avec El Hallaj, elle ne garantissait pas la performance. L'on sait d'avance que le coupable n'est pas celui dont on fait le procès. Ce sont les juges et leurs commanditaires qui le sont. L'on se retrouve dans les limites du théâtre à thèse. Il n'y a par ailleurs pas d'intrigue puisque l'histoire d'El Hallaj est connue. Cependant, pour rappel à ceux qui l'auraient oubliée ou vaguement entendu parler d'elle, Abou Abdallah al-Housseine Mansour Al Hallaj, dit Mansour Al Hallaj, après un long procès à Baghdad, avait été condamné le 27 mars 922 à mort, par flagellation. Et si cette dernière ne suffisait pas à entraîner son trépas, il devait, accroché à un gibet, subir des mutilations puis être décapité. Il endura tout cela. Son crime est d'avoir, en soufi qu'il était, et dans la logique de son accession au tawahoud, prononcé dans l'extase des propos que les tenants de l'Islam traditionnel ne pouvaient tolérer. C'était la guerre entre l'épée et le chapelet. Expression corporelle C'est dire que pour passer la rampe, le spectacle devait prévenir les écueils du déjà vu et entendu. Pour ce faire, dans son écriture scénique, Haïdar s'est ingénié à convoquer le présent et le passé, les comédiens étant vêtus selon la mode d'aujourd'hui. Et pour ajouter à l'actualisation du sujet, c'est jusqu'à une partie du système d'éclairage qui est placé sur scène, le décor étant nu. Il y a juste des chaises pour le jury et les témoins. Sous un éclairage des plus chiches, pour corser l'atmosphère, l'évolution des comédiens n'est pas limitée à l'espace de la scène, le public est alors comme transporté en scène. La forte présence des comédiens est également pour beaucoup dans l'illusion. La direction d'acteurs présente El Hallaj par moments dans la position du priant, tout dans la dévotion, et par d'autres écrivant de façon convulsive parce que lui, le poète mystique, est un producteur d'idées et de beauté. Il est constamment à répliquer avec fougue. Ses détracteurs, eux, sont dans des attitudes moins nobles, celles d'exécutants de basses œuvres. Leur jeu est cependant stylisé par une expression corporelle qui leur fait montre dans l'argumentaire ou les fait se mouvoir de façon reptilienne. Enfin, le verbe de Kacem Mohamed, parfois bruissant, parfois en éclat, rappelle combien la langue arabe classique n'est pas que celle de la poésie. Le 4e art lui sied à merveille. El Hallaj est à voir pour le plaisir et pour la méditation.